J’ai cherché immédiatement à lire et à chroniquer ce livre dès sa parution, davantage pour la profession de foi de madame La Procureure et parce que je pensais que je connaissais bien ce département.
« Quand on arrive en Seine-Saint-Denis pour exercer une fonction telle que la mienne, l’envie de prendre les choses en main vous saisit immédiatement. De même qu’une sorte de vertige en mesurant l’investissement nécessaire ».
De même, le titre du livre n‘est pas banal, l‘intituler par le verbe poursuivre recouvre plusieurs sens, notamment le premier qui consiste à « rechercher l‘équilibre social, article 130-1 du Code pénal ».
« Quand on arrive en Seine-Saint-Denis pour exercer une fonction telle que la mienne, l’envie de prendre les choses en main vous saisit immédiatement. De même qu’une sorte de vertige en mesurant l’investissement nécessaire. »

Un travail ? une vocation ? Un sacerdoce ?
Ce n‘est pas rien d’être Procureure de la République a fortiori en restant en Seine-Saint-Denis, le département le plus connu dans le monde entier, le parquet le plus important après Paris et surtout parce que ce département est et reste stigmatisé.
« Ce département ne compte pas moins de 240 cités ou quartiers, dont un quart où la population se sent piégée comme dans un ghetto. Personne n’en ignore les raisons ».
C’est la phrase-clé, si personne n‘en ignore les raisons, pourquoi cet immobilisme, pourquoi la même situation persiste ?
A cela est-il avantageux ? Qu‘est ce que cela recouvre ? C’est que la criminalité y est plus importante qu’ailleurs et les moyens pour l’endiguer les plus faibles qu‘ailleurs !
Des statistiques nationales viennent corroborer au fil des années, les propos alarmistes stigmatisant à souhait des médias qui se réjouissent de remplir leurs colonnes, accablent en jugeant et en montrant du doigt, en fait ne proposent rien de constructif.
La justice est une question de moyens humains, matériels et financiers. Or, il se trouve que sur les trois niveaux, elle ne peut s’exercer efficacement avec un nombre de 57 magistrats affectés au tribunal de Bobigny afin de protéger le citoyen lambda par l’autorité judiciaire qui applique la Loi. Pas plus que le bâtiment du tribunal, en photo de couverture, ne montre pas la vétusté et l’état inopérant des bureaux, des chambres correctionnelles et de la cour d’assises.
« Les moyens alloués au tribunal judiciaire de Bobigny pour lutter contre l‘ampleur et la diversité de la criminalité ont longtemps été sous-estimés et sont donc insuffisants. En tous cas, la réalité et l‘avenir de la Seine-Saint-Denis n‘ont pas été suffisamment pris en compte ». p17.
Ce qui signifie aussi que le temps est un facteur pénalisant « quand il faut des mois pour que justice soit rendue, c’est la justice qui est discréditée » et pas seulement a-t-on envie d‘ajouter.
« L’administration centrale à une vision nationale et effectue une distribution de la pénurie » certes, sauf que la pénurie de tout en Seine-Saint Denis lui est fatale : justice, école, emploi, insertion, santé, naissances…et c’est une paupérisation généralisée insupportable.
Je n‘évoque pas la dimension culture pourtant véritable levier d’élévation sociale, qui ne profite pas assez au plus grand nombre.
« Nous arrivons quand le mal est fait ».
La mise en œuvre de la politique pénale consiste à mettre en place deux objectifs essentiellement : « veiller à ce que chaque citoyen ait le sentiment que l‘on s’occupe de lui lorsqu’il est victime et que les délinquants ne restent pas impunis »,
Et
« La mettre en œuvre par les instructions du ministre de la Justice en tenant compte du « contexte propre à (m) son ressort ».
Deux enjeux fondamentaux par la répression et la prévention.
Lors de sa conférence de rentrée de 2018 au tribunal de Bobigny madame la Procureure, a lancé un appel au secours sur les moyens trop restreints de la justice.
« Le Monde » du 01 février 2018 reproduit le textelu par la procureure de la République de Bobigny, Fabienne Klein-Donati, lundi 29 janvier, lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Bobigny. En 2017, 168 888 affaires ont été traitées avec les 56,6 postes de magistrats du parquet de Seine-Saint-Denis. Elle reconnaît que la « réponse pénale » de la justice se dégrade et dresse un bilan inquiétant de l’évolution de la délinquance dans ce département où la pauvreté et le chômage battent des records nationaux. Elle réclame des « mesures exceptionnelles pour un département exceptionnel » (…).
En réponse, aucun poste n‘a été créé en 2018, « les postes effectifs seront à peine pourvus », on lui donnera un poste et demie en plus.
Il faut se contenter des substituts sortant de l‘école de la Magistrature classés parmi les meilleurs qui choisissent Bobigny comme école d‘application pour la diversité des affaires à traiter. Ils y restent 3 ans puis demandent leur mutation ».p21.
Alors comme cela, il y aurait avantage à se trouver en Seine-Saint-Denis ? Il n ‘y a que les séquano-dionysiens qui ignorent qu‘ils constituent un laboratoire d’études et d’expériences qui auront des effets positifs sur un CV !
Madame La procureure évoque également le budget du Conseil départemental en ces termes : « pour colossal qu‘il soit, il ne suffit pas à assurer ses nombreuses priorités » du champ social p129.
En d’autres termes, le transfert croissant des charges sociales de l‘Etat sur les collectivités territoriales devient dangereux pour la population de Seine-Saint-Denis, dans le sens où il joue se transforme en pompier afin d’éteindre le feu de l‘urgence. Une situation insoluble !
Et ensuite ?
En 2019, le gouvernement a voulu frapper « un grand coup » en instaurant en Seine-Saint-Denis un changement significatif avec le rebond économique, qualifié de « Big bang ».
Malheureusement pour ce département, les confinements successifs liés à la pandémie du covid 19, ont fortement gelés leurs effets.
Bien sûr, il y a eu la création du Stade de France à Saint-Denis, puis de Paris Métropole qui redore le blason des villes situées aux portes de Paris et les Jeux Olympiques de 2024 qui utiliseront un bon nombre d’équipements sportifs et la création du village olympique.
Il y a aussi un bon nombre de sièges sociaux d’entreprises du CAC 40 installés en Seine-Saint-Denis ainsi que des équipements artistiques et culturels nationaux.
Ces éléments réunis représentent un paradoxe pour la population départementale qui n’en connaît pas toujours la réalité. C’est la vitrine de la France à venir avec une capitale qui va pousser ses murs, toujours prépondérante et privilégiée de toutes parts.
Il semble que c’est la première fois qu‘une femme procureure de la république donne à lire un « récit immersif » entre audiences, huis clos, travail avec les différents partenaires de terrain entre police et secteurs sociaux, comparutions immédiates, foi et convictions etc…du tribunal de Bobigny confrontée à la violence ordinaire.
J’ai appris énormément en lisant ce livre, j’ai été confrontée au quotidien de la justice française et surtout à cette société livrée à elle-même dans le plus grand dénuement à une encablure de la capitale. Me revient à l‘esprit le livre de François Maspéro, « Les passagers du Roissy-Express », journal de bord à travers la ligne du RER du nord au sud, qui s’était rendu compte du dénuement des villes jugées rurales de la grande banlieue dans les années 90.Le processus s ‘est considérablement accéléré depuis.
Ce département du 93 pourtant si dynamique et si créatif, le plus jeune et le plus peuplé de la métropole compte près de 1,6 million d‘habitants.
En haut lieu on commence à réaliser que c’est une richesse.