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Djalila Dechache

Auteure, chercheure sur l 'Emir Abdelkader l 'Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

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Billet de blog 25 février 2022

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Jabbour Douaihy, Le roi des Indes,roman

C’est le premier livre qu‘il m’a été possible de lire de cet auteur et une constatation émerge : les orientaux de cette génération sont de vrais conteurs avec des histoires à tiroirs, à l‘image de leur vie la leur et celle de leurs aïeux.

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Jabbour Douaihy, Le roi des Indes,roman, traduit par Stéphanie Dujols, Editions Actes Sud - l‘Orient des livres, 2021, 222 p.

C’est le premier livre qu‘il m’a été possible de lire de cet auteur et une constatation émerge : les orientaux de cette génération sont de vrais conteurs avec des histoires à tiroirs. Jabbour Douaihy (1949-2021) n‘échappe pas à cette « tradition », véhiculée également par les Français « Barhtélémy était convaincu que les Orientaux étaient friands d‘histoires ».Il est né à Zhgarta au nord du Liban. Il a été professeur à l‘université de Tripoli, traducteur et critique à l‘Orient littéraire. Avec le roi des Indes, (titre original Malak al-Hind, le roi de l‘Inde), il explore l’histoire de Zakaria Moubarak, dépositaire « d’une tradition vieille de plusieurs siècles « qui consiste à prendre la mer, un homme désoeuvré, un dilettante qui ne s’attache à rien ni à personne qui a parcouru le monde et surtout apprécie les femmes qu‘il ne peut s’empêcher de consommer. Le lecteur pourrait interpréter ce vide existentiel qui est en lui et le mépriser ou mal le juger. Ce serait une erreur d’appréciation, tout le talent de l‘auteur se développe, nous rend attachant la plupart des personnages. A ce moment là, on se surprend à considérer Zakaria différemment. Il est tout cela et il n‘est pas que cela. Zakaria est un homme terrassé «  la vie le terrassa, puis il rentra » p 108. Cette phrase le résume.Un jour, sans prévenir, il rentre au pays, dans son village natal Tall Safra du mont Liban. Au bout de quelques temps, il est retrouvé mort sans motif apparent, sauf qu‘il est lié au tableau volé de Marc Chagall « Le joueur de flûte » qu‘une de ses maîtresses rencontrée à Paris a accroché dans une chambre de son hôtel à Saint Paul de Vence.

Une enquête policière est diligentée, convoquant famille et voisins et surtout réanimant les vieilles querelles opposant Druzes et chrétiens maronites en1860 pendant l’occupation ottomane. Ce conflit gagna Tall Safra, situé à «  quinze miles à l‘est de Beyrouth » est bien connu des libanais, des syriens, des historiens voire davantage, Jabbour Douaihy en donne d‘abondants détails en se basant sur un ouvrage de 1892.Il ne dit pas que, gagnant Damas, ce conflit a mis en avant l‘intervention de l‘Emir Abdelkader l‘Algérien et sa milice qui a accueilli chez lui et sauvé un grand nombre de chrétiens, sans attendre l‘intervention française. C’est l‘histoire individuelle qui rejoint la grande Histoire.

Lors de sa rencontre avec le journaliste Edgar Davidian du journal L’orient-Le jour en date du 15 mai 2019, l‘auteur lui a dit que dans ses livres il n’y a «Pas de message, pas de métalangage dans ce que j'écris  ». Il rejoint bien la génération d’écrivains-conteurs d’histoires à rebondissements, de règlements de comptes, de conflits mal réglés et mal digérés, tous les personnages ont un rôle à jouer dans le sens où il n‘a pas de petits rôles ou de rôle inférieur. On pourrait même ajouter ce sont les femmes de la famille qui mènent le jeu, qui mènent la barque pour changer le destin.

Ainsi Philomène, la grand-mère arc-boutée son pactole et sur le domaine d’Al Mahmoudiyeh qui s’est rendue, seule, en Amérique pour se constituer un pécule, ainsi sa soeur Martha, tante Rachel au jargon incompréhensible, les cousins avides, prêts à bondir sur l’héritage, l‘Albinos rencontré à Paris, trafiquant en tous genres derrière son restaurant parisien des beaux quartiers….Et puis il y a ce pays, cette verdure, cette nature  opulente, on la sentirait presque, les boissons et les mets libanais raffinés avec trois fois rien, au fumet intense…

 Revenons aux propos de l‘auteur : «  (…)Il y a la liberté de l'écrivain, mais aussi l'importance de servir quelque chose de cohérent au lecteur. Il n'y a rien de politique dans ce que j'écris, ni de poétique non plus. La poésie, c'est un condensé de la vie et le roman c'est un étalement. Je ne sais pas faire de la poésie. Je suis peut-être un conteur. Dans ce livre, l'histoire se répand en divers points » .

Écrire, c'est quoi ?s’est-il demandé : « C'est participer au monde. Non à son perfectionnement, mais à sa reproduction fictive ou réelle. Écrire, c'est le plus grand plaisir de ma vie. »

Le lecteur ressent à son tour ce plaisir qu‘il a eu à écrire ce livre qui se lit comme un conte, une enquête policière, une tranche de vie quotidienne, une page d’histoire et une carte postale vivante du Liban.

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