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Auteure, chercheure sur l 'Emir Abdelkader l 'Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

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Billet de blog 25 août 2022

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Antonin Artaud Ecrits sur le théâtre, Fragments choisis par Monique Borie.

Rassemblés en un seul volume par Monique Borie, spécialiste reconnue d‘Antonin Artaud (1896-1948), ces textes ont de quoi surprendre, émerveiller et fasciner.

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Antonin Artaud Ecrits sur le théâtre, Fragments choisis et présentés par Monique Borie, Editions Les Solitaires intempestifs, 2022, 125 p.

©Antonin Artaud Man Ray 2015 Telimage Paris

Rassemblés en un seul volume par Monique Borie, spécialiste reconnue d‘Antonin Artaud (1896-1948), et plus généralement sur le rapport entre l‘anthropologie et le théâtre, ces textes ont de quoi surprendre, émerveiller et fasciner au point de se demander comment l‘homme et son œuvre restent une référence de l‘évolution du mouvement du théâtre français.

 Pour faire le portrait et le parcours d’Antonin Artaud il faudrait sans doute commencer par citer l‘introduction de l‘auteure qui précise que c’est «  un homme qui cherche des réponses ». Pour cela, très tôt, il écrit beaucoup, c’est un être « dialogique par excellence», s‘adressant à des destinataires réels tel Jean Paulhan, ou fictifs avec de très nombreuses lettres non - envoyées, peut-être à lui-même.

Et Monique Borie d’ajouter «  comme si nous étions cet autre dont il réclame l‘écoute de sa pensée », capable de nous laisser soulever par ses textes comme il le souhaite pour le Tao tö King ».

L’auteure utilise le vocabulaire océanique pour évoquer les œuvres complètes d’Artaud, jalonnées de grands repères c’est une traversée dit-elle qui « ont longtemps nourri ma réflexion sur le théâtre et ses défis ».

Ainsi, ce montage de textes met l‘accent sur les axes définis par Artaud, ses revendications essentielles au service d’un théâtre qui serait davantage une « pensée de l‘unité », porté par un nouveau langage posant une autre vision, une autre efficacité des mots. Il a tenté l‘expérience avec les manifestes du Théâtre Alfred Jarry en 1920, définissant sa «  radicalité à venir» en rupture avec le théâtre français de son époque. Il tiendra des rôles importants avec de nombreux metteurs en scène dont Charles Dullin qui l’accueille dans sa compagnie théâtrale, avec L’avare de Molière en 1922 au théâtre de l‘Atelier à Paris, théâtre toujours en activité.

«  Artaud est un poète du théâtre, c’est-à-dire un poète des possibilités »Jerzy Grotowski.

Puis vint le cinéma où il a joué des rôles inoubliables dans « La passion Jeanne d’Arc » de Carl Dreyer en 1927 et notamment celui du rôle-titre d’Abel Gance « Napoléon ».

En réalité Artaud «  touche » à tous les arts, image, parole, peinture, sculpture, musique,  poésie, littérature, dadaïsme avec Max Jacob, …Il cherche, il tente, il se brûle, il pense, il vit chacune de ces expressions artistiques dans l‘attente, la recherche de ce qui sera le cheminement à l‘intérieur de lui-même et pour lequel il subira des enfermements, exclusions, sa santé est fragile, il fera le cobaye pour des tests de traitements, d’électrochocs, d’égarements…jusqu‘au mouroir de l‘hôpital psychiatrique de Rodez où il se sauvera par l‘écriture autorisée par le directeur de l‘établissement.

Il comprend bien vite ce qu‘il représente, ce qui se passe et il le dit : « il y a des malades parce qu‘il y a des médecins, autrement dit, c’est le médecin qui crée la maladie » !

Son visage change, son regard se creuse, vieillit prématurément,  s‘émacie au gré des tentatives de soins et de son usage de diverses drogues, sa voix reste emphatique, théâtrale, solennelle …

Il découvre le théâtre balinais, qui est « un état d‘avant le langage et qui peut choisir son langage : musique, gestes, mouvements, mots » présenté dans le cadre de l‘Exposition Coloniale de 1931 à Paris. Puis en 1936, il se rend au Mexique, où religion et art ne font qu‘un : il reviendra totalement changé, métamorphosé pourrait-on dire. Il croit  beaucoup à ce séjour lointain pour y « chercher la force, les forces, de pousser au changement »,(…) « à la recherche de l‘impossible ».Il parle « d’une langue perdue et qui pourrait se retrouver par le théâtre », parce que« l’arme d’une exceptionnelle puissance et d’une inépuisable fécondité, c’est le théâtre ».Et enfin,« on oublie que le théâtre est un acte sacré ». 

Le théâtre de la cruauté, le théâtre et son double…

Artaud ne fait l‘économie d‘aucune expérience aussi lointaine soi-telle, aussi radicale soit-elle !

Le livre de Monique Borie redore le blason, donne des lettres de noblesse à celui qui fut un marginal et qui pourtant reste une expérience unique au théâtre français, adopté par plusieurs artistes d’hier tels Peter Brook, Grotowski, le Living theatre … et aujourd’hui Romeo Castelucci et Angelica Liddell  notamment.

En effet, c’est pour avoir poussé le théâtre dans ses retranchements les plus profonds afin d‘en extirper une autre langue, « sans nécessairement utiliser les mots courants, une autre invention, une poésie de l‘espace, une pantomime non pervertie où les gestes au lieu de représenter des mots, des européenne vieille de cinquante ans seulement, et qui n‘est qu‘une déformation des parties muettes de la comédie italienne, représentent des idées, des attitudes de l‘esprit, des aspects de la nature, et cela d‘une manière effective,  concrète, c’est-à-dire en évoquant toujours des objets ou détails naturels comme ce langage oriental qui représente la nuit par un arbre sur lequel un oiseau qui a déjà fermé un œil commence à fermer l‘autre ».

Je pourrais citer d‘autres éléments de la pensée d’Antonin Artaud issus de ce sublime livre de Monique Borie et du travail titanesque accompli pour lequel elle a dû lire des quantité de volumes édités. Je voudrais la remercie pour avoir mis à notre disposition la quintessence de ce grand auteur qui s’est servi de ses ailes de géant au-dessus de nos têtes, explorant de nouvelles contrées, loin des sentiers battus. 

«  Nous concevons le théâtre comme une véritable opération de magie ». 

« Le théâtre de la cruauté a été créé pour ramener au théâtre la notion d’une vie passionnée et convulsive ; et c’est sans doute dans ce sens de rigueur violente, de condensation extrême des éléments scéniques qu‘il faut entendre la cruauté sur laquelle il veut s’appuyer ».

«  Car si le théâtre double la vie, la vie double le vrai théâtre et ça n ‘a rien à voir avec  les idées d’Oscar Wilde sur l‘art. Ce titre répondra à tous les doubles du théâtre que j‘ai cru trouver depuis tant d’années : la métaphysique, la peste, la cruauté ».

Sa pensée, ses écrits sont sa révolte, son désir de théâtre-danse, de théâtre-poésie ne sont pas pensés pour rester un vœu pieux. C’est « la victoire de la lumière sur le chaos ».

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