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Billet de blog 6 février 2025

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Cernés entre éthique et recherche fondamentale

Discuter avec Brigitte Pépin-Donat, ancienne directrice de recherche au CNRS et chercheuse passionnée de particules amène un éclairage nouveau sur la recherche fondamentale. Elle est captivée par ces particules élémentaires que sont les électrons et plus particulièrement par les électrons dits ‘ libres’, qui bougent sans cesse sur de grands espaces ou se cachent pour le rester.

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Brigitte Pépin-Donat est catégorique, la recherche fondamentale , belle aventure humaine qui constitue un socle patrimonial de connaissances depuis l’arrivée des êtres humains sur terre et l’éthique doivent avancer main dans la main et être au service de la société, d’autant plus que cette dernière lui accorde des moyens .

La chercheuse rappelle deux extraits de l’article 43 (de 2022) du Comets, le comité d’éthique  du CNRS constitué en 1994 :" Le COMETS estime d’abord que la prise en compte des impacts environnementaux de la recherche doit être considérée comme relevant de l’éthique de la recherche, au même titre que le respect de la personne humaine ou de l’animal d’expérimentation. " ......« Le monde de la recherche doit ainsi se demander dans quelle mesure le fait d’utiliser ou de développer tel grand équipement (jumeau numérique, accélérateur de particules, grand calculateur) ou de travailler sur telle thématique (biologie synthétique, édition du génome des plantes) est susceptible d’engendrer des impacts néfastes pour la biosphère, de conforter à moyen ou long terme des modes de production ou de consommation non durables. »

Sur cette lancée et sous l’angle éthique, le projet FCC du CERN pose problème, un projet gigantesque de collisionneur de particules pour poursuivre leurs recherches, le CERN envisage la construction, à cheval entre l’Ain, la Haute-Savoie et sous le Léman en Suisse, d’un futur collisionneur circulaire (FCC) : un tunnel souterrain en anneau, de 91 km, à 240 m sous terre accessible par 12 puits avec en surface 8 installations de 5 hectares. Il nécessiterait à terme 4 tWh (1 térawattheure : 1 milliard de kilowattheure) de consommation électrique annuelle (soit plus que celle de tout le canton de Genève), qui induirait d’énormes émissions de chaleur et de gaz à effet de serre. Pour le construire, il faudrait excaver environ 9 millions de m3 de matériaux (soit 4 pyramides de Chéops) et les émissions de CO2 d’ici 2055 atteindraient quelques 20 millions de tonnes. Le tout pour quelques 60 milliards d’euros selon les estimations des associations opposantes.  Les études de faisabilité devraient être rendues fin 2025, elles sont faites aux frais des citoyen.ne.s avant même que le projet ne soit validé (2027-2028) . Les travaux de creusement commenceraient autour de 2030. Les travaux d’installation d’un premier, puis d’un deuxième collisionneur, se poursuivraient jusqu’au-delà de 2060. Inutile de décrire les dégâts environnementaux dans des zones principalement rurales. Le CERN ne se pose pas la question des impacts négatifs sur le climat et l’environnement. Et c’est là que le bât blesse.

La chercheuse comme beaucoup d’autres rappelle qu’avant de se lancer dans ce projet de nouveau collisionneur FCC; il serait intéressant d’obtenir un bilan (apport /coût) concernant l’accélérateur actuel le LHC (Large Hadron Collider) qui a déjà beaucoup coûté à la société,  une argumentation sur la légitimité de continuer à utiliser le LHC dont la consommation en énergie supérieure au TWh annuelle est considérable dans le contexte actuel et à aller dans un avenir très proche vers un LHC de plus haute luminosité encore plus consommateur d’énergie. Il serait bon que le CERN prouve que toutes les données fournies par le LHC ont été utilisées ou durablement stockées. Autant de questions sans réponse claire, à ce jour.

Il y a aussi d’autres alternatives, après la découverte du boson de Higgs, les scientifiques se proposent désormais d’en étudier les caractéristiques les plus intimes. Pour cela, la construction d’une usine à boson de Higgs trouverait son sens mais elle ne nécessite pas de creuser un tunnel de 91 km de circonférence (FCC ee), le Japon parle depuis plusieurs années déjà de construire sa propre usine à Higgs. Un projet nommé ILC (pour International linear collider). Si ce projet se réalise un autre projet du CERN nommé Clic, collisionneur linéaire compact qui s’ajouterait au complexe d’accélérateurs actuels du CERN deviendrait caduc. Les scientifiques européens participeraient alors à la fabrication des détecteurs de l’instrument japonais. En alternative au FCC haute énergie (FCC hh) qui pourrait être opérationnel en 2070 sous réserve de futurs développements technologiques à ce jour non garantis, on peut évoquer l’expérience Awake (Advanced Proton Driven Plasma Wakefield Acceleration Experiment) du CERN qui étudie l’utilisation des champs de sillage plasma entraînés par des paquets de proton en vue d’accélérer des particules chargées serait une autre alternative au FCC . Par ailleurs, les Chinois proposent eux aussi la construction d’un FCC qui serait réalisé dans les prochaines années ( à noter que des citoyen.ne.s et scientifiques Chinois, dont un prix Nobel, s’y opposent ), le CERN qui se veut un organisme de paix, apolitique et collaboratif devrait collaborer avec les Chinois. Mais voilà, derrière le paravent se jouent probablement bien d’autres intérêts dont le but n’est pas celui de la recherche fondamentale: construire un socle patrimonial de connaissances pour l’humanité.  Les investisseurs privés ne cachent pas leur intérêt, notamment pour l’utilisation de l’anti-matière pour la propulsion dans l’espace de vaisseaux spatiaux et probablement d'autres objectifs. Ce mixte privé-public est dangereux et malsain pour  la recherche fondamentale et donc pour l’humanité, elle ne serait plus au service de la société mais au service de lobbies économiques, anti-éthique par excellence. Financer la recherche pour des applications souhaitées c’est empêcher la recherche de l’inconnu, l’ADN même de la recherche fondamentale.

Pour Brigitte Pépin-Donat ce qui est également criant dans le projet du CERN est le manque d’interdisciplinarité, les chercheurs travaillent dans l’entre-soi . Cependant la recherche fondamentale n’est pas compatible avec le cloisonnement des savoirs qui empêche d’aborder les questions avec une indispensable vue d’ensemble. Autant de pièges pour une éthique de la recherche fondamentale et à la scientifique de conclure qu’avant toute étude de faisabilité technologique payée par les citoyen.ne.s il conviendrait de démontrer que le projet FFC est éthique et utile pour la société, une démonstration qui n’a nullement été faite. Les buts affichés de ce projet ne semblent pas du tout être à la hauteur des atteintes qu’il engendre envers la nature, le vivant, le bien être du vivant.

Pour la chercheuse, "la recherche fondamentale sans éthique équivaudrait en quelque sorte  à martyriser la nature pour lui faire avouer les lois qui la régissent au lieu de l'observer avec modestie pour en découvrir la beauté cachée."

Deux autres articles passionnants de Brigitte Pépin-Donat 

De la recherche fondamentale à l'intelligence artificielle 

https://cheminvagabond.com/recherche-fondamentale-vs-fcc/

Le Web un bien commun au service du Cern

https://cheminvagabond.com/le-web-un-bien-commun-au-service-du-cern/

Associations engagées à suivre le projet FCC du CERN

https://www.noe21.org/

https://co-cernes.com/

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