Ali est un réfugié kurdo-syrien, géologue et journaliste de formation. Installé en Suisse depuis plusieurs années, il raconte la traversée Turquie-Grèce comme si c’était hier, les yeux grand ouverts, encore emplis de ce cauchemar. Il tenait tout contre lui son ordinateur de crainte de le laisser tomber dans l’eau dans cette houle menaçante et sa fille de le tirer par la manche de sa veste en criant :
⁃ Papa, tiens-moi fort contre toi; est-ce que ton ordinateur est plus important que moi? Et lui de se justifier ensuite, toute ma vie était dans cet objet, mes articles, mes recherches, il devait contribuer à planter mes racines ailleurs.
Amoureux de la nature, il s’est mis en tête de réintroduire des abeilles noires dans le Canton de Genève connues pour leur meilleure endurance. L’apis mellifera mellifera est appréciée des apiculteurs car elle est douce, rarement agressive, ses performances en matière de pollinisation sont nombreuses, elle supporte mieux le froid que les autres races et est l’abeille des miellées tardives qui vont au-delà du mois d’août. Après avoir essuyé plusieurs échecs pour les demandes de fonds, il dit en rigolant :
⁃ Quand on s’appelle Ali, les choses sont plus compliquées que si on s’appelait Pierre. On le persuade qu’il ne trouvera pas d’abeilles noires, qu’il ne sait pas faire, sans expérience, sans argent, sans relation, la liste des sans est infinie. Mais sa volonté, elle, reste implacable. Il trouve et achète trois colonies d’abeilles noires, des vignerons encaveurs lui font confiance et lui mettent à disposition un terrain dans la campagne genevoise. Lorsqu’il installe ses trois colonies dans les trois ruches qu’il a fabriquées dans sa chambrette de réfugié ; une d’elles tue leur reine et les abeilles de se répartir sur les deux autres ruches. Sous après sous, il a économisé sur ce projet parfois même en réduisant sa nourriture quotidienne. Je lui demande ce qu’il a ressenti à la mort de cette reine et lui de me répondre :
⁃ J’ai perdu tant d’êtres chers en Syrie que la mort de cette abeille me laisse indifférent. C’est la nature qui agit, cette reine devait être malade ou peu prolifique, les abeilles ouvrières l’ont achevée pour la survie de leur colonie.
Tous les jours, il leur prépare un litre de sirop avec les mirabelles cueillies sur les arbres, les pluies abondantes ont réduit dangereusement le pollen et les apiculteurs suppléent en les nourrissant. Quelle joie, cette vie avec les abeilles, après un trajet de deux heures par jour, il en prend soin, les nourrit, les surveille d’un regard amoureux, sa vie est devenue couleur miel, enfin solaire! Elles devraient se reproduire en grands nombres chaque colonie étant composée en moyenne de quinze mille abeilles, il rajoutera en septembre trois autres ruchers.
Avec la somme qu’il a demandée auprès de différents organismes, il était question d’installer des capteurs pour empêcher les varroas de détruire les abeilles, ce n’est il l’espère que partie remise.
Une histoire d’abeilles qui adoucit comme le miel le destin d'Ali qui maintenant se met à rire plus souvent aux éclats, c’est sa première grande victoire depuis son exil. Les abeilles l’ont sauvé.
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