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La population afro-descendante est largement présente le long des côtes du Pacifique, à 90% sur la côte pacifique et 60% la côte atlantique. On connaît le Palenque de San Basilio, proche de Cartagena de Indias, ancien village d’esclaves marrons totalement afro-descendant et qui parle créole. Le Salon du Livre de San Andrés, île colombienne, au milieu du Pacifique, à deux heures d’avion de Bogota, présente Trinidad y Tobago comme invité d’honneur et la question du créole se retrouve au cœur des discussions, elle est incontournable. Parler de culture des Caraïbes sans mettre le créole au centre des discussions, c’est-à-dire accepter de représenter la culture afro-descendante qui dans son créole a gardé les traces de la colonisation, de la déportation, de l ‘esclavage, de la violence et dont les racines même de la langue vont puiser dans le traumatisme historique.
Les Afro-Colombiens ont été divisés en quatre groupes, Noirs, Afro-Colombiens, Raizal et les communautés palenqueros chacune d’elles parle son propre créole. Dans l’archipel de San Andrés, le criollo est la langue parlée par les communautés Raizal. Il est clair que tous les regards se tournent vers les Antilles où penseurs et intellectuels ont défini la langue créole; Édouard Glissant la pose comme la langue constituante et historique des Caraîbes. Elle est la conscience même du processus esclavagiste défini par les victimes; révolutionnaire et subversive, elle participe activement à la transformation créative de l’identité caribéenne.
De nature subversive? J’ai posé la question de la présence créole au Salon du Livre, un auteur a cité un premier livre traduit à Trinidad et Tobago sur la médecine traditionnelle créole. Un ouvrage très fouillé sur les remèdes utilisés par les esclaves et qui soignaient humains et animaux.Un autre recueil de poésies a été entièrement publié en criollo, Di Kriol Man, par un poète de San Andrés, Axel Christopher Livingston décédé il y a deux ans. Après avoir obtenu le recueil, j’ai quitté le Salon du Livre pour faire lire à des pêcheurs et des vendeurs de nourriture ce recueil et entendre ce criollo encore si discret. Quand on rappelle que l’espagnol reste quand même la langue des Conquistadores espagnols et qu’elle véhicule le passé vu du conquérant, il y a comme une gêne et pourtant ce n’est pas une fatalité, il suffirait de tendre le micro aux afro-descendants qui eux aussi ont quelque chose à dire.
Ma présence au Salon du Livre de San Andrès avait pour but de trouver un éditeur colombien pour traduire et diffuser mon roman Benkos Biohò, esclave marron de Colombie, et à l’origine de la création du Palenque San Basilio. La question s’est naturellement imposée comment finalement le faire traduire en criollo? Langue d’abord orale. La solution consiste tout simplement à revenir au récit oral qui passera de l’espagnol au criollo. Un récit qui courra de bouche en bouche sans que l’auteur y mette la main. La plus belle leçon d’humilité pour un écrivain, une langue le fait disparaître et seule la puissance du récit demeure, au plus on m’offrira un poisson roulé dans la farine et frit accompagné de bananes plantain et de riz coco, mais je me console, ce sera toujours plus que ce qu’un éditeur parisien qui vous roule dans la farine ne vous aura jamais donné.
San Andrés
Sur la route des boucaniers
S'offre aux vents San Andrés
L'île aux mirages
Aux rêves brisés
D'esclaves
Attachés aux chaînes
De leurs souvenirs
Dans l'azur du Pacifique
Se noie la terre d'Afrique
Seuls les chants
Racontent cette autre mémoire
Les Raizals crient au coeur du criollo
Leur révolte cachée
Dans ce mélange de mots volés
Naît une langue nouvelle
Aux ailes de liberté
L'île n'est qu'un souffle dans l'histoire
Un point à l'horizon
De nos nostalgies d'esclaves