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L'ethnologue nous brosse un tableau de la présence rrom en Ukraine représenté par 15 ethnies, une population évaluée à 47'000 personnes et tout en sachant que par principe de précaution les rroms ne s'affichent jamais comme tels lors de recensements; ce chiffre peut être aisément triplé ou quadruplé. Les différents groupes ballotés par l'histoire sont arrivés entre le début du XVII ème et la moitié du XXème siècle. Le plus ancien groupe est arrivé de Valachie nommé les Servi ou Servuria fuyant l'esclavage et présent en Transcarpatie, région frontalière de la Hongrie, où, - aujourd'hui, «on les trouve trop ukrainiens pour les Russes, trop hongrois pour les Ukrainiens, trop gitans pour les Hongrois*» - et en Bessarabie. Les nomades Vlaxurja suivirent, forgerons et tamiseurs, ils se mêlent en partie aux Servi. Le XIXème siècle voit arriver les Rroms de Bessarabie et un peu plus tard les Kalderash, forgerons et les Lovara, vendeurs de chevaux. Les rroms des Balkans arrivèrent ensuite, éleveurs d'ours comme les Ursarja et les Kîrîmlides installés plutôt en Crimée, une population déplacée que les Russes confondront avec des Tatars de Crimée et passeront au fil de l'épée. Les Rroms du Nord issus de Russie ou de l'Allemagne arrivent ensuite fuyant les persécutions dès le XVIII ème siècle, les Xaladytka Roma surnommés les Allemands. Après la deuxième guerre mondiale, débarquent en Ukraine les Rroms des Carpathes qui parlent Hongrois en grande partie et détenteurs parfois de ce passeport.
Lorsque la guerre est arrivée en Ukraine toutes ces populations rroms se sont retrouvées prises sous les feux de la guerre qui faisait rage entre la Russie et l'Ukraine et pris sous les feux de toutes les discriminations. Certains en tentant de fuir se sont retrouvés laissés-pour-compte comme en Pologne où les trains partaient sans eux, empêchés de passer les frontières, rejetés. En Suisse comme ailleurs, ils sont soupçonnés de montrer de faux documents ukrainiens, accusés largement par la presse, à tort, pour obtenir un sésame rare, à savoir le statut permis S qui accordait des droits qu'aucun réfugié n'avait obtenu si facilement, auparavant, et qui permet de s'interroger sur l'orchestration d'une bienveillance, d'une grande compassion, d'une charité et d'une commisération qui ne s'adressaient qu'à un type particulier d'Ukrainiens. Cette mise en scène pouvait être assimilable à un combat civilisationnel pour reblanchir l'Europe. Donc le Rrom, ou tout autre profil n'entrait pas dans cette manifestation de la grande bienveillance et de l'accueil charitable de pauvres réfugiés battus par les grands méchants russes. Il fallait sauver des gens mais pas n'importe qui! Un tri sur le volet s'est imposé. Et il a fallu faire des contorsions extraordinaires pour rejeter ces Rroms d'Ukraine et leur refuser le statut de réfugié et nous savons tous comment les administrations s'y prennent; une hypocrisie feutrée qui réduit à néant toute démarche administrative.
Certains n'avaient, en effet, aucun document à montrer car ils n'en avaient jamais eus; quelques uns ne parlaient pas ukrainien mais un dialecte, non déclarés dès la naissance, nés dans des camps de fortune sans adresse, d'autres possédaient un vieux passeport hongrois en Ukraine ou de l'ex-URSS, autant d'exemples de précarité et de documents laissés à l'abandon sans mise à jour.
Ce sont donc les NGO rrom elles-mêmes, particulièrement actives qui ont effectué des déplacements de population pour sauver les leurs, en procédant à des déplacements internes. D'autres ont pu se réfugier principalement au Danemark, en Irlande, en Pologne, en Allemagne, en Autriche, en Roumanie, en Moldavie.
Pour prouver qu'ils sont aussi ukrainiens, quatre mille rroms se sont enrôlés comme volontaires dans l'armée ukrainienne rappelant qu'ils défendaient eux aussi leur pays. Un grand fait d'armes leur a valu une admiration générale bien que de courte durée lorsqu'ils ont volé un char russe et qui leur a offert l'opportunité de monter une pièce de théâtre: Comment faire disparaître un tank russe.
Le futur s'annonce tout aussi sombre, les Rroms ont eu de la peine à sortir de l'Ukraine pour fuir le conflit, mais le retour risque de s'annoncer tout aussi difficile si retour il y a, un jour. Une occasion de ne plus les laisser revenir chez eux.
Cette autre guerre constante pour les Rroms sous la forme d'une intenable discrimination s'est révélée à la lumière de la plus grande violence faite à leur égard et pour nous d'apprendre que certaines vies valent plus que d'autres et se rappeler que le meilleur geste d'humanité est la justice pour tous.
*Eszter György Maîtresse de conférences Eötvös Loránd (ELTE) - Institut d’études historiques)

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