Appelé "bissap" au Sénégal, au Mali ou au Burkina Faso, l’hibiscus sabdariffa est depuis longtemps utilisé en Afrique de l’Ouest pour ses vertus médicinales et nutritionnelles. Mais depuis quelques années, il connaît un essor fulgurant dans les industries du bien-être, de la beauté et de l’alimentation fonctionnelle. Du thé glacé à l’hibiscus chez Starbucks aux soins capillaires de L’Oréal, en passant par les infusions bio de Kusmi Tea, cette fleur africaine est presque partout.
Mais comment expliquer cette ascension fulgurante ? C’est justement ce que l’on peut lire dans une étude intitulée “L’Hibiscus Africain : Propriétés santé, dynamiques de marché et défis pour les producteurs africains”, qui met en lumière les bienfaits avérés de la plante, mais aussi les déséquilibres criants de la chaîne de valeur.
Une plante aux propriétés reconnues, un marché dopé
Antioxydant puissant, hypotenseur naturel, soutien digestif, allié immunitaire… les propriétés médicinales de l’hibiscus sont largement validés par des recherches cliniques. L’étude mentionnée recense de nombreuses publications scientifiques qui attestent de ses effets sur la régulation de la pression artérielle, la réduction des lipides sanguins, la protection du foie et l’équilibre du métabolisme.
Et c’est justement ce profil de "superaliment" qui attire les marques du monde entier. Et pour cause, le marché mondial de l’hibiscus en poudre connaît un taux de croissance annuel estimé à 6,1 % entre 2019 et 2025, notamment porté par la demande bio en Europe et aux États-Unis.
Des coopératives africaines sous pression… et un système de certification à double tranchant
Derrière le succès international de l’hibiscus, les producteurs ouest-africains font face à des défis systémiques. Pour exporter sur les marchés bio ou équitables, il ne suffit pas de cultiver sans pesticides : encore faut-il obtenir les certifications exigées par les clients du Nord.
Or, ces labels ont un coût. Dossier initial, audits annuels, formation des membres, mise aux normes des installations… La facture peut rapidement grimper. À la moindre non-conformité, le certificat est suspendu — et c’est toute la filière qui s’effondre.
Mein Eugène Millogo, président de la coopérative UPROMABIO/HBS au Burkina Faso, en témoigne :
« En 2023, certains de nos lots ont été contaminés. Cela a suspendu notre certification bio. Plusieurs producteurs se sont découragés. La production a chuté à 1,5 tonne. »
Les contraintes ne s’arrêtent pas là. Faute d’infrastructures de séchage et de stockage adaptées, certaines coopératives humidifient les calices pour en augmenter le poids. D’autres voient leurs lots rejetés à l’importation pour cause de moisissures ou de résidus au-dessus des normes européennes. La qualité post-récolte devient un enjeu crucial… mais peu soutenu.
Il faut aussi le rappeler : les marques européennes doivent elles aussi se conformer à ces exigences. Pour afficher un label bio ou équitable sur leurs packagings, elles paient des droits d’usage, adaptent leurs formulations, font auditer leurs chaînes d’approvisionnement.
Mais au fond, le véritable gagnant de ce système est souvent l’organisme certificateur lui-même.
Ce dernier encaisse à la fois les frais des coopératives du Sud et ceux des marques du Nord. Dans cette configuration, la certification devient un service marchandisé, plus qu’un véritable levier d’émancipation. Le pouvoir de valider ou d’invalider une filière reste concentré entre les mains d’acteurs tiers, extérieurs, généralement basés en Europe. Et ce sont les maillons les plus vulnérables — les producteurs — qui en subissent les conséquences les plus dures.
Pour une décolonisation des filières naturelles
L’étude citée en début d’introduction propose plusieurs leviers pour rééquilibrer la filière hibiscus et renforcer la souveraineté économique des producteurs africains.
- Création de labels panafricains certifiés localement
Des systèmes de certification bio ou équitable contrôlés sur le continent permettraient de réduire les coûts, de favoriser l’ancrage local et de valoriser des pratiques adaptées aux réalités agricoles africaines. Des initiatives comme l’Eco-mark Africa porté par l’ARSO et la GIZ, ou le East African Organic Products Standard (EAOPS) montrent que cette voie est déjà explorée dans plusieurs régions du continent. - Déploiement de systèmes de traçabilité souverains
Des outils numériques comme la blockchain ou des QR codes certifiés localement peuvent garantir la transparence des pratiques, sans dépendre d’organismes tiers européens. Le Ghana, par exemple, a déployé un système national de traçabilité du cacao conforme aux exigences anti-déforestation de l’Union européenne, avec des expérimentations autour de la blockchain en partenariat avec l’ONUDI. - Stratégies Sud-Sud et marques locales
Encourager la transformation sur place, la création de marques africaines, la consommation régionale et la valorisation des savoirs locaux permettrait de sortir de la simple logique exportatrice. Des entreprises comme Zena Exotic Fruits(Sénégal) ou Yvaya Farm (Ghana) illustrent déjà cette dynamique : elles transforment localement des produits agricoles, créent de l’emploi, et exportent des produits à haute valeur ajoutée depuis le continent. - Investissements ciblés dans les infrastructures
Centres de séchage, entrepôts ventilés, formations post-récolte… Les infrastructures jouent un rôle clé pour améliorer la qualité, réduire les pertes et se conformer aux standards internationaux. Pourtant, ces investissements — souvent moins visibles — restent absents des grandes politiques d’aide ou des financements à impact.
Conclusion
L’hibiscus est aujourd’hui l’une des plantes médicinales les plus prometteuses du marché mondial du bien-être. Mais son succès ne pourra être durable que s’il repose sur des modèles de production justes, ancrés localement et pensés avec les producteurs eux-mêmes.
Tant que les coopératives africaines seront cantonnées à des fonctions d’approvisionnement, sans pouvoir réel sur la transformation, la certification ou la distribution, l’“or rouge” d’Afrique enrichira surtout les acteurs les plus éloignés du terrain. Pourtant, les alternatives existent déjà : labels panafricains, blockchain locale, marques africaines émergentes, infrastructures adaptées… Ce ne sont pas des utopies, mais des leviers concrets pour une filière souveraine.
Repenser les chaînes de valeur, c’est aussi repenser nos habitudes de consommation, nos politiques commerciales, et la place que nous accordons aux savoirs agricoles et médicinaux africains.
L’hibiscus n’est pas qu’un ingrédient tendance. Il est un symbole de souveraineté. Celui d’une Afrique capable de produire, transformer, certifier et valoriser selon ses propres règles, pour que chaque calice cultivé là-bas porte, ici comme ailleurs, la juste reconnaissance de ses origines.
Sources et références :
https://www.arso-oran.org/eco-mark-africa-2/
https://standardsmap.org/en/factsheet/144/overview
https://www.sustainable-supply-chains.org/news/from-pilot-to-national-rollout-ghanas-cocoa-traceability-system
https://africabusinesscommunities.com/agribusiness/ghana-unido-pilots-blockchain-technology-adoption-in-cocoa-value-chain/
https://www.mdpi.com/2071-1050/14/13/8044
https://www.cbi.eu/news/zena-exotic-fruits-role-model-export-success-social-responsibility