En cette avant-veille de l’élection présidentielle, la discussion stratégique sur ce que devrait être une alternative aux politiques néolibérales apparaît en total décalage par rapport aux forces prêtes à la soutenir. Il y a peu, ou pas de débat sur la manière d’associer les travailleurs, intellectuels, chômeurs, précaires, citoyens de toutes sortes aux transformations radicales qui modifieraient en profondeur la donne sociale et politique.
L’exemple de quatre luttes qui se déroulent dans notre département du Tarn, m’a donné l’occasion de réfléchir à la nature de certaines mobilisations actuelles, à leur potentiel de transformation sociale, à la possibilité (à l’intérêt) de leur convergence, aux conditions de leur développement, aux questions qu’elles posent aux partis de « rupture ». Elles constituent à leur échelle une base empirique à partir de laquelle analyser l’état des luttes sociales réelles pour esquisser les éléments d’une alternative sociale et politique.
Quelles sont-elles ?
Le collectif TNE (Toutes Nos Energies) regroupe une trentaine d’associations d’opposants à l’implantation de plusieurs parcs d’éoliennes industrielles dans le Parc Naturel du Haut Languedoc. Au printemps ces associations ont réuni près de 700 personnes à Mazamet.
Le collectif PACT (Pas d’Autoroute Castres Toulouse) se mobilise contre la construction d’un équipement routier qui va à l’encontre des engagements nationaux pris après la COP 21 et est un des exemples de grands projets dont l’utilité est sans commune mesure avec les effets négatifs induits, l’Autorité Environnementale – organisme indépendant – vient de rendre un avis sévère contre ce projet.
Le Collectif Stop Linky Castres, avec l’appui de l’ONG Robin des Toits, organise la résistance contre la pose des nouveaux compteurs EDF, refusant de participer au contrôle en temps réel des consommations d’électricité sans prendre en compte les risques sanitaires et les atteintes à la vie privée des consommateurs.
La CGT cheminots et SUD rail ont appelé depuis plusieurs mois à un débrayage hebdomadaire contre la fermeture annoncée du train de nuit intercités Paris-Rodez-Carmaux-Albi, autrefois baptisé «le train de Jaurès», à partir d’octobre, non sans avoir proposé un certain nombre de mesures pour améliorer l’attractivité de ces trains.
Qu’ont-elles en commun ?
Elles présentent des caractéristiques propres (et nouvelles) avec leurs contradictions et leurs limites; elles regroupent des membres d’origine sociale, de tendances politiques extrêmement variées, aux motivations hétérogènes composant un mélange en équilibre fragile ; elles s’inscrivent dans le temps, indifférentes aux aléas de l’actualité, et elles n’apparaissent que dans les journaux locaux et régionaux ; elles forment un mélange inédit de diverses formes de lutte, démarches juridiques, institutionnelles, désobéissance civile, ZAD et autres formes de manifestations plus traditionnelles (pétitions, sit-in, grève, etc.).
Des militants de différents partis – souvent en rupture de ban avec les instances nationales – sont présents, mais il y a en fait peu de relais politique central ; rares sont les initiatives parlementaires qui s’en font l’écho.
Les raisons de se battre sont de toutes natures, des peurs parfois fantasmées, des effets secondaires redoutés, l’intuition sourde d’un abandon, le refus implicite d’une fuite en avant, rien qui justifierait le mépris dont on les accable ; en faisant référence à Jean-Baptiste Fressoz (L’apocalypse joyeuse, 2012), Bruno Latour évoque les mouvements de résistance – qui ont ponctué l’histoire de ces derniers siècles – condamnés au motif de peurs imaginaires, alors que ce qui était en jeu « c’était l’opposition à des entreprises de domination auxquelles il était tout à fait sain de vouloir s’opposer » (Face à Gaïa, 2015)
En effet, ces luttes posent pêle-mêle un certain nombre de questions concernant la défense de l'environnement réel, celle des territoires sur lesquels on choisit de vivre et de travailler ; l'injustice environnementale, qui fait peser sur les plus vulnérables les nuisances imposées pour le bénéfice des plus favorisés ; l'inégalité des territoires, qui se creuse au fur et à mesure de la métropolisation des sociétés ; la démocratie locale, dont les mécanismes délicats pèsent peu face aux pressions des lobbys puissants. Elles peuvent être interprétées comme des formes de résistance au capitalisme financier (éolien industriel, SNCF), au contrôle étatique au service de la rationalité marchande (Linky), aux dérives de la croissance (autoroute), pour la défense des territoires, la place des instances locales face à toutes les déréglementations.
Peut-on penser une convergence ?
Spontanément non, d’ailleurs est-ce nécessaire ? Les participants à chacune de ces différentes luttes ont des points de vue divergents sur les autres. L’un se bat contre les éoliennes mais est favorable à l’autoroute, l’autre craint pour sa vie privée avec les compteurs Linky, mais n’a jamais pris le train ! Vouloir aller plus loin serait prendre le risque d’une incompréhension, voire d’une désaffection sur le terrain.
Quel est alors l’intérêt de ces luttes si elles doivent rester isolées ? Elles sont à contre-courant de l’idéologie néo-libérale du progrès à tout prix ; et elles posent implicitement la question de modèles de développement différent, associant la prise en compte des populations et des territoires les plus fragiles, ainsi que des réactions souvent imprévisibles de notre environnement. Elles sont des révélateurs, des signes de ce que peut être aujourd’hui une résistance locale, aux objectifs limités mais capable de mobiliser largement.
Le soutien à ces luttes est vital – s’il ne doit pas être aveugle. Perspective à ras de terre, loin des envolées lyriques des candidats aux présidentielles mais enracinée au plus près des préoccupations citoyennes.