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Billet de blog 16 juillet 2022

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Guerre d'Ukraine : une démission de la CGT

Dans "entre les lignes entre les mots " Claude Debons : Depuis que je suis engagé, il y a 54 années, je suis toujours parti d’un principe simple : être du côté des opprimés, jamais du côté des oppresseurs. Ainsi on est sûr de ne pas se tromper de combat.

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Lettre de démission de la CGT suite à la dernière déclaration du CCN du 11 mai 2022.

Claude DEBONS 43 rue Jean Jaurès 93200 Saint-Denis à
Confédération CGT Fédération des cheminots CGT 263 rue de Paris 93516 Montreuil Cedex

C’est avec consternation que j’ai pris connaissance de l’Appel du dernier CCN du 11 mai 2022. Les positions développées concernant l’Ukraine sont pour moi honteuses et je ne souhaite plus adhérer à une organisation qui soutient un tel point de vue. C’est pourquoi j’ai arrêté le prélèvement automatique de ma cotisation qui sera utilement réorienté vers des organisations humanitaires et vous informe de ma démission de la CGT à compter de ce jour.

Concernant la guerre en Ukraine les contorsions sémantiques peinent à masquer une approche :
– qui n’exprime aucune compassion pour les victimes ukrainiennes d’une guerre d’agression, qui ne condamne pas explicitement les massacres de civils, les viols de masse et les crimes de guerres en tous genre (sauf une mention de « mettre fin aux tueries »), perpétrés par l’agresseur, à savoir la Fédération de Russie qui n’est même pas citée dans ce texte, et qui ne propose aucune initiative de solidarité (même simplement humanitaire),
– qui prétend hypocritement appeler à la paix et à « mettre fin aux tueries en commençant par l’arrêt des livraisons d’armes aux belligérants » c’est à dire en réalité aux seuls Ukrainiens puisque à ce que l’on sache la Russie n’est pas dépendante d’une aide militaire extérieure ; manière de hâter la fin de la guerre par l’écrasement de l’agressé en lui refusant les moyens de se défendre ; ce qui revient à de la complaisance avec l’agresseur. Même si les circonstances historiques sont différentes, fallait-il donc approuver à l’époque la politique de « non intervention » aux côtés de la République espagnole en 1936, ou applaudir Daladier et Chamberlain livrant la Tchécoslovaquie à Hitler en 1938 à Munich, dans les deux cas « pour ne pas provoquer les dictatures » ? On connaît le résultat : la guerre malgré tout et la honte en plus.
– qui met en avant « un conflit impérialiste » en n’insistant curieusement que sur le rôle de l’OTAN, comme s’il n’y avait qu’un seul impérialisme dans le monde, celui des Etats-Unis et de ses alliés. Désolé mais il y a aussi un impérialisme chinois qui se déploie en mer de Chine au détriment de ses voisins (Vietnam, etc) et dans le monde à travers « la stratégie des routes de la soie » qui vise maîtrise des ressources, des voies de communication, etc. Il y a un impérialisme français, même s’il est de plus en plus en difficulté dans son champ d’influence traditionnel en Afrique. Il y a un impérialisme britannique… Et il y a un impérialisme russe, présentement déclencheur de cette guerre, dont le président (Poutine) a clairement et publiquement exprimé son ambition expansionniste visant à restaurer la Russie dans les frontières de l’ex URSS (ce qui inclut notamment Ukraine, Biélorussie et Pays Baltes) mais aussi de l’Empire tzariste (ce qui inclut la Finlande et une partie de la Pologne !) et qui, via ses mercenaires, se déploie au Moyen Orient et en Afrique pour la maitrise des ressources, etc. A qui la faute si des peuples européens historiquement pacifistes, se sentant menacés, se précipitent maintenant pour adhérer à l’Alliance atlantique ?
– quelle crédibilité accorder après ces « analyses » à la pétition de principe que je partage : « La CGT réaffirme la nécessité d’un cessez le feu immédiat, le respect des frontières et l’ouverture de négociations sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ? Mais comment y parvient-on sans rapport de force face à l’agresseur ?

Depuis que je suis engagé, il y a 54 années, je suis toujours parti d’un principe simple : être du côté des opprimés, jamais du côté des oppresseurs. Ainsi on est sûr de ne pas se tromper de combat. Je constate que ce principe n’a pas guidé la rédaction de cet appel et je le regrette.

Une vision unilatérale et manichéenne du monde ne permet pas de saisir la réalité bien plus complexe d’aujourd’hui et interdit un positionnement conséquent. La compétition entre les blocs s’est renforcée ces dernières années pour un nouveau partage du monde et des zones d’influence. Les risques de confrontation sont accrus et les mobilisations pour la paix sont nécessaires pour les écarter. Mais quand une guerre d’agression est déclarée, on ne peut que soutenir la lutte du peuple qui s’oppose aux velléités de domination d’un impérialisme car la mise en échec de l’agresseur permettra de renforcer le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est pourquoi, on peut, on doit soutenir l’Ukraine agressée (y compris militairement) tout en dénonçant les menées des différents impérialismes : Russie, USA/OTAN, Chine, etc.

Je profite de ce courrier pour regretter la « discrétion » de la CGT pendant la campagne présidentielle. Malgré la pandémie et la guerre, il aurait été opportun de profiter de cette échéance pour engager une grande campagne syndicale (tracts, argumentaires, tribunes, meetings, etc) en direction des citoyens (et pas seulement dans les entreprises où nous sommes présents), une bataille « idéologique », « culturelle », « programmatique », « revendicative », pour desserrer l’étau entre le néo-libéralisme thatchérien incarné par Macron et le néo-fascisme xénophobe incarné par Le Pen et Zemmour. Leurs idéologies respectives et les lieux communs qu’ils propagent pénètrent les esprits et brouillent la conscience de classe. Les abstentions et les votes illustrent ces confusions. Une journée d’action interprofessionnelle ne peut suffire à combattre cela. On pouvait mener cette campagne seuls ou, mieux, avec les organisations syndicales, les associations et ONG amies.

Sur le racisme la CGT a toujours défendu des positions claires et fermes, mais sans doute faut-il améliorer les arguments pour convaincre plus largement. Sur des sujets essentiels qui constituaient le socle du programme du Conseil national de la Résistance que le Capital et ses fondés de pouvoir se sont employés à déconstruire méthodiquement ces dernières années et qu’ils prétendent mettre à bas dans ce nouveau quinquennat, un travail pédagogique méthodique à très large échelle et de longue durée est nécessaire car la compréhension des principes de solidarité a beaucoup reculé dans les esprits sous les effets conjugués de la mondialisation, des mutations productives et du travail, de l’éclatement du salariat. Le capitalisme néolibéral prend appui sur ces transformations en même temps qu’il les amplifie par sa politique pour affaiblir le salariat au bénéfice du Capital.

Cette bataille culturelle pour démonter les fausses évidences du « il n’y a qu’une seule politique possible » est nécessaire pour recrédibiliser les réponses solidaires face à l’individualisme libéral : services publics, sécurité sociale, Smic, conventions collectives, assurance chômage, prestations sociales, etc. La reconstruction d’une hégémonie culturelle (au sens gramscien) autour de ces questions est essentielle à la reconstruction d’un rapport de force plus favorable au monde du travail pour mettre en échec les attaques antisociales et faire prévaloir d’autres choix. Ce travail relève des responsabilités du syndicalisme et du mouvement associatif, il n’incombe pas qu’au seuls partis politiques de gauche. Le chantier est immense mais indispensable si l’on ne veut pas se retrouver dans des luttes défensives certes courageuses (exemple SNCF) mais qui, ne bénéficiant pas du soutien de l’opinion publique, restent isolées et ne peuvent l’emporter. Le prochain congrès confédéral pourra-t-il se saisir de cette ambition ?

Avec mes sincères salutations.

Claude DEBONS. Adhérent CGT depuis 2004. Militant syndical, associatif, politique, depuis 1968. Secrétaire Général de la FGTE CFDT jusqu’en 2003

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