Les élections locales ont ceci de bon qu'elles rendent béante la quasi-invisibilité des collectivités territoriales en tant qu'entités agissantes et autonomes. L'acte 3 ( 3bis, ter voire quater...) de la décentralisation n'est pas pour rien dans cet état de fait, en ayant brouillés les rares repères qui permettaient d'avoir l'impression d'y comprendre encore quelque chose.
Les Départements, d'abord condamnés, puis en sursis pour finalement finir dans un entre deux mortifère, sont les premiers concernés.
Le discours ambiant baigne désormais dans un populisme qui se nourrit de schématisme dont ne sont pas exempts certains chercheurs de renom. Ainsi en va-t-il d'économistes qui, tout à leur compétence technique, se sentent autorisés à tenir des propos radicaux sur l'inutilité de tel niveau de collectivités et donc appeler à sa disparition.
Pour n'en citer qu'un, prenons le tout récent prix Nobel, Jean Tirole, s'exprimant dans le magazine "Challenges" de décembre 2014: "l’élimination des doublons et une prise de décision simplifiée économiseraient des coûts et, dégageant des moyens, pourraient, au contraire, améliorer le service public".
En une phrase, l'éminent (?) chercheur pratique la concentration d'idées reçues à haute dose. Porosité aux lieux communs, parole facile pour média peu regardant, absence de curiosité pour d'autres domaines de recherche que le sien, qui sait vraiment ?
Alors répétons le encore une fois: S'inscrire en complémentarité ou en partenariat sur un projet, tant en termes d'apport d'expertises que de financements, ce n'est pas doublonner. Lorsqu'il s'agit de politique publique, oeuvrant pour le bien commun, la prise de décision est par nature complexe; ne pas s'en remettre à un seul est plutôt rassurant, quand on voit ce que donnent les dérives de certains potentats locaux. Et il est vraiment audacieux de prétendre que dégager des moyens en rationalisant l'activité des collectivités contribuerait à plus de service public alors que les décisions prises en ce sens, de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) sarkosyste à la Modernisation de l'Action publique (MAP) hollandaise, prouvent le contraire.
La seule relecture des lignes qui précèdent illustre la complexité à rendre compte de la vitalité des collectivités, de leurs élus, de leurs administrations. Nous sommes en 2015 et perdure, contre vents et marées, une vision courtelinesque de l'administration qui rend inaudible toute tentative d'évocation de la réalité au quotidien, de la proximité avec le terrain , de l'appréhension subtile des attentes loin de tout clientélisme.
J'entends déjà les ricanements et les dénigrements. Pourtant, pour avoir fait toute ma carrière dans des conseils généraux, de droite comme de gauche, je peux attester que la grande majorité de mes collègues, quels que soient leurs grades, ancrent l'esprit de service public au coeur de leurs missions et, comme moi, sont atterrés de l'image poussiéreuse qui leur colle à la peau.
Telles qu'elles s'annoncent, ces élections départementales connaitront un double fiasco: politique, nul n'en doute plus, mais aussi institutionnel en n'ayant pas su expliciter et positionner les enjeux là où ils sont d'ores et déjà sans que personne ne le sache. Et c'est vraiment dommage.