En une semaine « Je suis Charlie » est devenu une seconde devise républicaine, offrant à des millions de français (dont je fus et suis encore) un étendard tout autant qu’une armure contre la violence terroriste.
Et les autres? Visiblement il y a tout à perdre et rien à gagner pour tous ceux qui, quels qu’ils soient, ne sont en tout cas pas « Charlie ». On ne discutera pas les 4 ans fermes pris par l’ivrogne en comparution immédiate, même si on peut se demander si, désormais, tous les propos délirants ont vocation à se voir qualifier d’apologie d’actes terroristes s’ils sont en lien avec des faits désignés comme tels.
Plus inquiétant, et signe d’une société qui a peur quoiqu’elle en dise, la quarantaine de signalements, faite à la justice par l’Education Nationale, de propos ou actes relevant de la même incrimination. Là encore, laissons de côté les insultes accompagnées de coups de ces lycéens à l’encontre d’un autre élève qui avait publié « Je suis Charlie » sur Facebook, ils seront punis et c’est bien ainsi.
Je pense plutôt à la majorité de ceux qui, parmi ces quarante, ont franchi, par fanfaronnade, provocation suivisme, conformisme, le seuil de l’inacceptable en outrant un propos que d’autres de leurs camarades ont exprimés de façon plus pondérée.
On s’en souvient, le fait générateur, et le détonateur médiatique, a été le refus d’honorer les victimes par une minute de silence.La violence faite au symbole était forte, fallait-il encore l’amplifier en la surinterprétant? Pourquoi ressortir cette formule rance de « territoires perdus de la République » où ces paroles proliféreraient, en écho sinistre à ces « enfants perdus de la République » dont on affuble les trois terroristes français?
Comme souvent, le débat est devenu inaudible et se résume désormais à une succession de témoignages de professeurs et d’élèves et de commentaires de spécialistes, les uns et les autres n’hésitant pas à se contredire.
Mais que disent au fond ces élèves « anti-Charlie », en utilisant les grands mots,« blasphème », "mépris de la religion" , ou dans un autre registre en érigeant Dieudonné en victime expiatoire? Nous parlent-t-ils seulement de cela? N'évoquent-ils pas tout autant un profond sentiment d’injustice et d’iniquité qui ne trouve pas à s’exprimer autrement, parce que les mots ou les oreilles attentives manquent, habitués que nous sommes au fatalisme social qui frappent les zones de relégation et ceux qui les habitent?
A ma très humble mesure, je veux voir dans ces mots d’adolescent l’encouragement à dépasser la colère qu’ils suscitent et à, non dénoncer leurs postures -après tout à chacun son armure (cf supra)- mais à leur proposer d’autres modes d’expression, de ceux qui ouvrent plus qu’ils enferment.
Dans les prochaines semaines les ministres de la Culture et de l’Education devraient dévoiler une nouvelle feuille de route pour l’éducation artistique et culturelle à l’école mais pas seulement. Qui sait si une partie de la solution, moins infime que certains le croient, n’est pas là?