Est-ce à lire certains commentaires fielleux sur les fonctionnaires et leurs congés obèses, ou la réminiscence de voix qui, il y a peu encore, proclamaient qu’une autre politique était possible pour tout un chacun, sans pour autant avoir à s’inscrire dans les schémas complexes de l’altermondialisme ou du néo-ruralisme?
Peu importe mais le constat est sans appel: on peut aujourd’hui faire de la politique sans projet de société et, pour ceux qui ne s’y résolvent pas, n’avoir d’autre choix que s’effacer doucement. Le retrait progressif de Martine Aubry est en le plus triste symbole: par deux fois au moins elle a tenté de sortir des doxas pour promouvoir des solutions originales et pragmatiques. Les 35 heures, en 2000 (quatorze ans et on dirait un siècle!), furent pour beaucoup le signe que le travail n’était pas la valeur refuge tant rebattue mais bien une part de l’existence de chacun susceptible d’être interpelée. Même si le prétexte premier était la création d’emplois, la RTT avait la saveur des prémisses et laissait augurer d’autres lendemains où le temps serait mieux partagé entre le labeur et le temps libre. On sait comment les choses se sont délitées. Non pas tant en termes de pérennité, le dispositif se survit vaille que vaille, mais bien dans l’absence de continuité dans les ambitions. Quel homme politique aujourd’hui se risquerait à revendiquer 30 heures de travail payés 40, sans d’emblée invoquer l’utopie facile de la décroissance comme ligne d’horizon, toujours en vue mais jamais atteinte?
En 2010, dans ces colonnes même, Martine Aubry revenait à la charge avec sa « société du care » ou comment prendre soin de soi en prenant soin des autres. Les noms d’oiseaux et les quolibets fusèrent et pourtant le propos avait de la force et de la gueule, comparé à la grisaille des constats pragmatiques et des propositions sans âme de ses collègues. Le temps d’une possible politique du sensible, dégagé du relent machiste des effluves politiciennes, aura vécu aussitôt qu’annoncé. Quatre ans après, l’heure est plus que jamais à la testostérone, on lutte mais ne pense décidément plus, l’avenir se lit dans le marc des chiffres de l’INSEE et des sondages.
En cette veille d’élections européennes, avec le FN au coin du bois, on ne peut que regretter cette atonie et s’attrister du mutisme de la Maire de Lille quand d’autres n’hésitent pas à porter la voix pour ne rien dire.