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Billet de blog 25 septembre 2017

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Les "exclus de la culture" ou une bonne raison de se fâcher

Ainsi « le Monde » se préoccupe des « exclus de la culture » et propose d’en débattre ( à noter qu’on est passé des « personnes éloignées » aux « exclus » en quelques années, pour bien marqué les esprits).

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Ce 24 septembre aux Bouffes du Nord, Philippe Torreton aura sans doute, avec sa clairvoyance et sa connaissance habituelle du sujet, dit tout le mal qu’il pense des élites artistiques et de leur mépris pour la culture populaire. J’imagine que Francis Huster n’était pas disponible, sinon ils auraient pu faire un duo d’exception sur le sujet. Pour célébrer l’évènement, Michel Guerrin, rédacteur en chef du journal, reprend sa très vieille antienne sur la faillite de la démocratisation culturelle dans sa chronique du 23 septembre, intitulée « Nyssen ou les sujets qui fâchent ». Sans se lasser (mais comment fait-il?), il recycle ce qu’il qualifie lui-même de formule brutale et qui mérite d’être citée telle que: « La culture est le seul secteur où les gens pauvres, mais pas seulement, paient des impôts qui contribuent à construire une offre qui profite toujours plus aux riches cultivés. » Et d’opposer les grands établissements culturels, et leurs budgets indécents qui phagocytent celui du ministère, aux acteurs de ce qu’il n’a même pas la décence d’appeler l’éducation populaire ou socio-culturelle, ce n’est pourtant pas un gros mot. Monsieur Guerrin est un habitué du fait, il aime l’amalgame, le bon sens qui ne s’embarrasse pas de nuance et encore moins de chiffres précis et contextualisés.

Pour ceux que le sujet intéresserait, la documentation française vient de publier, dans sa collection « Les Notices », un point très complet et très à jour sur les politiques et pratiques culturelles; rien de tel pour relativiser et mettre en perspective la doxa dominante dont M. Guerrin est l’un des apologues dévoué et, malheureusement, écouté.

Une vertu de cet ouvrage est de mettre en évidence un fait établi et pourtant ignoré du plus grand nombre: L’Etat, depuis une vingtaine d’années, n’est plus le grand argentier de la Culture, la décentralisation étant passée par là. Un simple chiffre l’atteste: sur les 10 milliards consacrés à la dépense culturelle chaque année, 7 milliards sont financés par les collectivités dont environ 5 milliards par les communes et les intercommunalités. S’il est légitime de porter regard sur les évolutions du budget du ministère de la Culture, il l’est plus encore de s’alerter des coupes sombres faites dans les dotations versées par l’état aux collectivités, ces fameuses économies, qui d’ores et déjà produisent leurs effets et n’ont pas fini de le faire.

Quoiqu’en pense M. Guerrin, la France a des politiques publiques de la culture, nationale ou locale, qui restent des plus ambitieuses et qui continuent à porter leurs fruits, encore faudrait-il qu’on ne les sacrifient pas sur l’autel de l’austérité budgétaire.

Pour finir qu'il me soit permis, en quelques lignes, de citer mon modeste exemple qui, à l’échelle d’un département en l’occurrence la Seine-Saint-Denis, peut avoir valeur de contre-témoignage:

Depuis 2008 existe, au sein de la Direction de la Culture du Conseil Départemental, une mission dénommée « La culture et l’art au collège » (MICACO de son petit nom) dont j’ai la responsabilité et que j’anime avec 4 collègues, soit 5 fonctionnaires territoriaux dédiés à longueur d’année à la mise en place et à l’accompagnement de projets d’éducation artistique et culturelle dans les 125 collèges du Département (dont près de 70 % en éducation prioritaire). Pour ce faire, nous disposons d’un budget total annuel de 3 millions d’euros, qui représentent environ 20 % de la dépense culturelle du Département. Dès le départ, il a été décidé de construire des actions et des parcours qui mettraient les artistes et les processus de création au cœur de l’institution scolaire (pendant les cours), dont la durée oscilleraient entre 40 et 200 heures, en mobilisant partenaires grands et petits dans tous les champs et thématiques possibles. Résultats 10 ans après: 100 résidences d’artistes, 3000 parcours artistiques et scientifiques, une centaine de parcours d’éducation aux regards ou à la ville, et au total plus de 200 000 collégiens impliqués. Pour que ces actions existent, il a fallu que se mobilisent des partenaires aussi variés que des centres dramatiques nationaux, des scènes conventionnées ou nationales, des festivals, des théâtres de ville, des associations qui ont fait une place à ces actions aux côtés des leurs, déjà nombreuses. De Seine-Saint-Denis, bien sûr, mais aussi d’ailleurs, à l’image d’établissements parisiens comme le CentQuatre, la Gaité lyrique ou la Maison du Geste et de l’Image. Et aussi, au risque de contredire une nouvelle fois, M. Guerrin, d’établissements publics nationaux au premier rang desquels la Philharmonie, très en pointe en ce domaine, Le Louvre ou le Centre Pompidou (liste non exhaustive).

Une chose est de dire que l’écart est grand entre ce qui est et ce qui devrait être, une autre est de promouvoir une forme de négation de l’attention portée à tous les publics, qui pourrait se transformer en prophétie auto réalisatrice et faire du mirage d’un pseudo désert de l’action culturelle et artistique une réalité.

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