La marche d' aujourd'hui dans la vallée de la Loire a été très agréable. Pour la décrire, je pourrais parler du contraste entre les villas et les maisons troglodytes dans les falaises, je pourrais parler des pittoresques potagers et des vergers. Mais je ne le ferai pas. Je vais plutôt parler du chaos que j'ai trouvé quand nous sommes arrivés.
Comme les autres billets sur la Marche, celui-ci n'est pas de moi, mais juste une traduction que j'en fais aussi souvent que je peux (voir le lien en bas de billet)
Monteaux, 9 Septembre, 46 ème jour de la Marche vers Bruxelles, 34 km de Tours
Chers Tous,
La marche d' aujourd'hui dans la vallée de la Loire a été très agréable. Pour la décrire, je pourrais parler du contraste entre les villas et les maisons troglodytes dans les falaises, je pourrais parler des pittoresques potagers et des vergers. Mais je ne le ferai pas. Je vais plutôt parler du chaos que j'ai trouvé quand nous sommes arrivés.
Révolte ouverte, et guerre civile. Cela ne pourrait pas être plus symbolique. Nous nous étions installés dans une pette prairie traversée par un canal. Les deux factions campaient sur les berges opposées.
J'ai parlé avec les deux camps, j'ai essayé de comprendre ce qui se passait, et bien que le tableau ne soit pas encore cent pour cent clair, je crois que j'ai saisi l'essentiel.
En gros, il y a trois factions. Les « Assemblistes », les « Prétoriens » et les « Français ».
Les Assemblistes sont majoritaires, ils sont principalement Espagnols, proviennnet de diverses « acampadas » et marches populaires, et essaient de décider ensemble en assemblée.
Les Prétoriens -sans comparaison historique- sont les types coriaces habitués aux luttes. Ils constituent une petite minorité, comptant principalement le camarade Cubano, le camarade Legionario et le camarade Felix, qui conduit la petite camionnette. En dehors de Cubano, ils ne participent généralement pas aux assemblées.
Les Français se chargent de la camionnette de communication et du point d'information. A cause de la barrière linguistique, ils ne sont pas pleinement intégrés.
Eh bien, aujourd'hui, quand nous sommes arrivés, le camarade Felix était saoûl. Il s'est approché du bar en titubant et en criant que le poulet était à lui, et que la cuisine devait le lui rendre. Il assortit ceci d'insultes et dit qu'il quittait la marche. « Tu peux prendre tes sacs et te tirer! »
Cela a été sur le point d'échapper à tout contrôle. Certains des Assemblistes ont proposé des mesures d'urgence incluant la mise en veille de nos principes pacifiques et le relogement des Prétoriens de la prairie vers le canal.
La plupart des gens gardaient leur calme, heureusement. Et ça s'est terminé par quelques apostrophes d'une poignée d'entre nous: « Très bien! Du balai! On ira mieux sans vous! »
Les Français étaient désespérés de la situation, et avaient l'air de se préparer eux aussi à abandonner la marche dès le lendemain matin.
A la racine du mal, il y a je pense, le fait que l'assemblée interne ne fonctionne pas. On perd des heures entières à fixer les règles de fonctionnement et il ne reste plus de temps pour parler des vrais problèmes. Et quand on ne peut pas tous ensemble parler des choses, les gens commencent à murmurer en apparté.
C'est ainsi que le camarade Cubano a été l'objet de critiques sournoises pendant des semaines.Les gens disent qu'il ne fait pas grand chose d'autre que picoler et gaspiller l'argent du carburant. Aujourd'hui, il a fait trois voyages, chargeant et déchargeant la cuisine et les sacs. Il y avait toujours des gens et des sacs qui restaient à Tours quand … Il avait demandé aux Français de la camionnette de communication de l'aider, et il est parti au bistrot pour s'envoyer une bière. Un des camarades l'a trouvé là-bas, et lui a dit sans ménagement qu'ils avaient besoin d'aide à la cuisine. A ce moment, le camarade Felix a craqué.
« Allez au diable, vous et vos foutues assemblées! Tout ce que vous faites, c'est de parler, parler, parler. Mais à part ça vous ne faites que de la merde! »
Felix a sa façon à lui de dire les choses. Excepté Cubano, les Prétoriens et lui-même (Félix) ne sont pas les intellectuels du groupe. On ne peut pas les saoûler en décidant ce qui est à faire. Ils font les choses, sans en discuter à perte de vue auparavant.
Le groupe des Assemblistes est très idéologique, ils prétendent que tous les membres du groupe participent à égalité. Mais en pratique seuls dominent les réunions ceux qui sont rompus à la dialectique dans un groupe. La plupart des gens les abandonnent bien avant la fin, moi y compris. Seuls les purs et durs restent pour prendre les décisions, quand tous les autres sont déjà partis dormir.
C'est la société à refaire à chaque fois. Les gens apprécient ce qu'ils font par eux-mêmes, mais ils ont du mal à comprendre et apprécier ce que les autres font. C'est ce que j'entends, quand je dis que pour le moment le tout est moins que la somme des parties.
Étrangement, après que j'aie discuté avec les divres groupes, je suis plus optiùmiste que je ne l'étais ce matin. Tout le monde dit la même chose en fin de compte. « On continue. C'est notre putain de révolution à nous, et on ne va pas la laisser foutre en l'air par une poignée de crétins. »
Même les Français le disaient. Pas question qu'ils abandonnent la marche. Ils ne communiquent pas beaucoup avec les Assemblistes sur ce qu'ils font, mais ils sont occupés à construire un réseau, préparant l'arrivée à Paris et diffusant les informations. Ils sont prêts à quelque chose, et ils bossent comme des pros.
Tout ce dont on a besoin, c'est d'un peu d'empathie. On a un but commun, et chacun d'entre nous -sauf deux ou trois éventuels infiltrés- joue un rôle dans sa réalisation. Certains rôles sont plus importants que d'autres, mais ce n'est pas une raison pour accuser les autres, ou encore se vanter.
La camarade Vera a déjà rencontré tous ces problèmes dans le passé. Elle a travaillé avec des gens à la Nouvelle Orléans à la suite de l'ouragan Katrina, essayant de reconstruire un des quartiers dévastés. Là-bas ils ont mis sur pied une assemblée qui était supposée donner forme à un centre communautaire où tous les gens différents du voisinage, blancs ou noirs, riches ou pauvres, pourraient se sentir représentés.
Cela leur a pris cinq ans. Ils ont dû surmonter d'innombrables problèmes et conflits, mais ils ont réussi.
« C'est un processus d'apprentissage , dit Vera pendant que les gens se crient dessus par-dessus le canal. On a besoin de temps, mais ça finira par bien aller. »
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Retrouvez l'original en anglais, avec les photos, sur le blog "Spanish Revolution"