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Billet de blog 29 septembre 2011

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Marche des Indignés -19/09 - Indignados à la dérive

En tout, il y a eu environ quatre-vingt personnes arrêtées. On est trop nombreux pour un seul poste de police, et ils nous partagent entre le XI è et le XIX è arrondissement., jusqu'à huit personnes par cellule, pendant des heures, le temps de vérifier une par une nos identités. A minuit, nous sommes libres.

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En tout, il y a eu environ quatre-vingt personnes arrêtées. On est trop nombreux pour un seul poste de police, et ils nous partagent entre le XI è et le XIX è arrondissement., jusqu'à huit personnes par cellule, pendant des heures, le temps de vérifier une par une nos identités. A minuit, nous sommes libres.

Paris, 19 Septembre, 56 è jour de la Marche vers Bruxelles - Occuper la rue

Chers Tous,

Après un week-end d'apathie générale, nous avons fini par agir et ce fut impressionnant.

Dans la matinée nous nous sommes débrouillés pour réunir les trois marches en assemblée à Bercy afin de décider que faire. Cela prendrait toute la journée, je le savais, mais quelque chose devait à coup sûr se passer.

La police nous avait surveillés de très près. Ils ne se sentent pas rassurés tant qu'on est là. Il y avait sept camionnettes de police et environ cinq à huit dizaines d'agents prêts à intervenir dans une des rues voisines de l'assemblée. Il y avait en outre trois flics en civil qui espionnaient ce dont nous discutions, communiquant avec leurs états-majors au moyen d'émetteurs et d'oreillettes. Ils ont vite trouvé que nos assemblées étaient longues et barbantes. L'un d'eux fait un clin d'oeil aux deux autres: « Un café? » - Un café!! Et les voilà partis au troquet.

L'après-midi les choses commencent à devenir intéressantes. On décide finalement d'essayer de camper, tous ensemble, quelque part à Paris. Deux groupes de reconnaissance sont créés sous le terme « Commission touristique », une pour chaque rive de la Seine. En fait, c'est la commission du Renseignement, et nous allons vérifier les endroits susceptibles d'accueillir notre campement.

Je suis avec le Groupe Nord, explorant la Rive Droite. Nous n'avons que deux ou trois heures pour jouer les touristes. Nous expédions un petit détachement pour vérifier les possibilités près du Sacré-Coeur, et quant à nous, nous restons près de la Seine. En fin de compte, les lieux les plus panoramiques pour se rassembler sont l'Hôtel de Ville, ou carrément en face du Louvre. Mais pour des raisons pratiques, nous optons pour le Centre Pompidou. La place est entourée de cafés touristiques, il y a de l'eau et des toilettes tout près, et ce n'est pas facile aux véhicules de police d'arriver dans le coin.

À six heures, on est de retour. Les « Indignados » se sont peint le visage de couleurs guerrières, et ils sont prêts à décoller. La Commission du Tourisme approuve le Centre Pompidou comme cible principale. Mais quelques instants avant de démarrer, le camarade Geraldo arrive et chamboule tout. « On est trop dans ce groupe. La nouvelle va fuiter. On a une destination secrète sous le coude. Allons-y. »

Des heures, jours et semaines de plannification et d'assemblées sont oubliées alors que nous commençons à bouger avec joie et excitation. Geraldo et moi sommes les seuls à connaître la destination. Je saisis la carte et je choisis la route ad hoc. Il y a une agitation parmi les agents de police, qui embarquent rapidement dans leurs véhicules afin de nous suivre. On doit faire en sorte qu'ils ne devinent pas notre objectif, donc je commence à inventer diversion après diversion. Un tel jeu dans la grande ville de Paris est une expérience palpitante.

Nous traversons la Seine, et au pont suivant nous retraversons. Nous marchons en direction de La Bastille, à la première occasion nous faisons demi-tour et les cars de police sont perdus dans la circulation alors que notre marche retourne vers les quais. J'ai tout prévu. Nous prenons le pont vers l'Ile St Louis, où nous marchons dans les rues en clamant : “Nous sommes indignés, indignés, indignés!!

J'ai du mal à réaliser que tout ça est vrai. Une foule enjouée d'indignés crie « Liberté! Egalité! Fraternité! » pendant que je les guide au parvis de Notre-Dame. Une autre diversion, les touristes étonnés braquent les objectifs de leurs appareils vers notre parade au lieu de viser la cathédrale.

Nous traversons le parvis et revenons à droite. Mon idée est de nous diriger vers l'Hôtel de Ville, envahir le métro et rejoindre la Concorde, afin d'égarer les cars de police. A la Concorde, au lieu de sortir et d'envahir la place, on changera de métro et débouchera à nouveau à l'air libre à École militaire. De là, nous marcherons sur le Champ de Mars et camperons en face de la Tour Eiffel.

Je marche en tête avec ma carte touristique, et tout nous réussit, jusqu'à ce que les cars de police bloquent le pont et nous repoussent. Immédiatement, l'humeur festive tourne court. De mon expérience de chèvrier, j'ai retenu que quand un coup de tonnerre éclate, le troupeau s'enfuit en courant. Les gens sont assez semblables. Seule une vingtaine d'Indignés reste calme et s'active pour réunir le groupe. On continue à marcher. Le pont suivant va sûrement être bloqué lui aussi. Tous les plans tombent à l'eau. Nous nous dirigeons vers la rive droite. A partir de là, on improvise.

Nous pouvons longer la Seine ou continuer à marcher. J'étudie les possibilités et je décide une autre diversion. Nous nous dirigeons vers le jardin du Luxembourg. A la première occasion, on tourne à droite sur le Boulevard St Germain, à la grande surprise des gens assis dehors dans les cafés de luxe. De là, nous allons tout droit. Je veux voir le dôme des Invalides. Je veux saluer Napoléon.

On n'y arrivera jamais. A l'église St Germain des Prés, une petite escouade de police bloque la route. Ils n'ont pas de renforts pour le moment. Nous avançons vers eux, ils reculent. Pour nous repousser, ils se servent de gaz lacrymogène. Et de nouveau, dès que des gens crient: « Du gaz, du gaz! » une partie du groupe fait demi-tour et se met à courir.

Du calme! Regroupez-vous! Mais c'est trop tard. La police nous a rapidement séparés, des gens s'enfuient et le reste de la Marche est bloquée. Nous nous asseyons au moment où les cars de police arrivent avec des renforts et un gros bus, pour nous regrouper et nous emporter. Nous devons gagner du temps. Des packs de lait passent de main en main pour lutter contre les effets des gaz. Une d'entre nous en est gravement affectée, et elle s'évanouit. Pendant que les camarades de notre équipe médicale s'occupent d'elle, les agents surveillent, semblant ne savoir que faire. Pendant ce temps, on fait passer le mot sur les réseaux sociaux. On a des copains qui filment, et certaines vidéos parent directement sur la Toile. Un camarade prend le mégaphone. « Messieurs les agents, Souriez, vous êtes en direct sur Internet ». Les gens du coin se groupent autour de nous, ils commencent à crier par solidarité. Les forces de police doivent se partager pour les garder à distance.

Aujourd'hui ce sera une victoire pour le mouvement, nous le savons. Et pendant que nous nous préparons à être emmenés, nos camarades musiciens entament une de leurs fabuleuses représentations de barricade.

L'officier-chef nous propose de venir sans résistance. Nous n'avons pas besoin d'une longue assemblée pour décider que nous devons résister. Et c'est ainsi que le « desalojo » (expulsion) commence. La bande-son est super. Nos avons assez de copains pour enregistrer la scène. La police nous laisse faire. Je peux filmer par-dessus les épaules des agents et ils passent un moment pénible pour traîner les gens.

Je décide d'ôter la carte-mémoire de ma caméra, et puis vient mon tour. Jai la carte dans le creux de ma main fermée quand ils arrivent pour me tirer. Ils ne font pas vraiment attention au matériel. Ils veulent juste nous virer d'ici et nous embarquer au poste de police aussi vite que possible.

Le bilan final est de trois blessés et cinq arrestations. Mais les policiers ont été relativement polis. Quand le bus est plein, nous cognons sur les petites fenêtres, en scandant: « Liberté! Liberté! » Dehors une foule nous salue faisant le V de la victoire. Des gens essaient de bloquer la route pour empêcher le bus de s'éloigner.

A ce moment, la tension initiale est disparue. C'est comme si on était en camp de vacances avec le lycée. « Acclamons le chauffeur! Le chauffeur, bon sang! » On est pleins d'entrain quand on passe par la Bastille, et qu'on entend qu'à Madrid des gens s'attroupent devant l'ambassade de France.

En tout, il y a eu environ quatre-vingt personnes arrêtées. On est trop nombreux pour un seul poste de police, et ils nous partagent entre le XI è et le XIX è arrondissement., jusqu'à huit personnes par cellule, pendant des heures, le temps de vérifier une par une nos identités. A minuit, nous sommes libres.

Le point de rendez-vous que nous avions fixé était la Bastille. Au petit matin de petits groupes d'ex- « detenidos » arrivent. C'est une rencontre pleine d'émotion, consacrée par de chaleureuses étreintes. A distance, seuls trois policiers nous observent. On a fait quelque chose de grand aujourd'hui.

On attend encore et encore. Ce n'est que très lentement que des moyens de dormir sont trouvés pour les gens. Je suis stupéfié qu'il soit si difficile de trouver un hébergement pour un groupe de moins de cent indignés ici à Paris. L'organisation des Indignés de Paris peut ne pas être géniale, mais ceux qui sont là essaient de nous aider du mieux qu'ils peuvent. Le repas chaud qu'ils nous apportent est exceptionnel.

Finalement, nous repartons dans différentes directions en petits groupes. Je termine ma course au squatt des communications. Il est cinq heures du matin, et tous ceux qui ont filmé sont bien réveillés et envoient leurs images sur le net. Je suis content de voir que la Révolution ne dort jamais.

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Retrouvez l'original en anglais avec les photos sur le blog "Spanish Revolution"
Comme les autres billets sur la Marche, celui-ci n'est pas de moi, mais juste une traduction que j'en fais aussi souvent que je peux

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