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Billet de blog 13 janvier 2024

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Macron disrupteur en chef radicalisé

Les éléments de langage qui ont filtré de l’intervention de Macron pendant le premier conseil des ministres après le remaniement sont très révélateurs d’un maintien voire même d’une radicalisation de la disruption que porte Emmanuel Macron. Aucun contenu programmatique mais un concentré de management de commando contre la société.

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N'oublions pas que c’est ce président qui avait choisi « Révolution » comme titre de son livre programme en 2017. À l’époque, d’aucuns trouvaient qu’il préemptait quelque peu rapidement un discours typique de la gauche et que c’était abusif car finalement, il semblait plus probable qu’il deviendrait lui aussi un réformiste social-démocrate à la Hollande, c’est-à-dire adepte de cette politique de soumission aux puissants, aux riches, aux grands groupes, au libéralisme, mâtinée pendant les campagnes électorales de trémolos sur la solidarité avec les plus faibles, vite oubliée au profit d’un modèle gestionnaire et autoritaire contre toutes les revendications pour plus de justice sociale.

Ils ont vite déchanté car Macron n’a jamais été un social-démocrate mais bien un révolutionnaire d’un style qu’on ne connaissait pas encore, une version disruptive libertarienne. C’est bien le « retour à ces sources »-là, « l’esprit de 2017 », pas moins,  qui est attendu voire exigé de la part des ministres.

Et tous les mots-clé de ce nouveau conseil des ministres sont bien issus de la même matrice idéologique de la côte Ouest américaine : révolution et non gestion, vitesse, efficacité, résultats encore des résultats. Bref, on croirait entendre du Kalanick dans le texte, le patron sadique de Uber, qu’E. Macron a longuement écouté et largement soutenu lorsqu’il était ministre.

Tout cela pour créer un esprit de commando qui va bien avec la répétition du lexique de la guerre et du réarmement, à tout propos, même à propos de civisme, c’est dire l’inversion totale de la vision de l’Etat, qui n’a plus rien de providence, surtout pas, mais bien de père fouettard de l’ordre républicain au plus près de chaque citoyen bien surveillé. Et cela se retrouve dans son deuxième registre, celui de la « discipline », « sans états d’âme », celui des « états de service » (terme encore militaire).

Ce discours est un condensé parfait du libéralisme autoritaire qui domine désormais dans le monde, avec plus ou moins d’autorité selon que les pays sauvegardent les formes du droit et de la démocratie. Mieux, c’est un libertarianisme sadique (voir mes billets précédents sur ce sujet sur ce blog). Car l’idée de révolution à la mode libertarienne s’entend exactement comme Travis Kalanick le faisait, c’est-à-dire la disruption à tout prix, la destruction de tout cadre légal, de tout concurrent, de tout ce qui ressemble à une réglementation et de tous les représentants de l’Etat.

Cette révolution disruptive est une nouvelle déclaration de guerre (oui, à nouveau !) contre tous ceux qui voudraient encore préserver les principes de la république et de l’action publique, qui sont tous méprisés en tant que « gestionnaires », c’est-à-dire défenseurs d’avantages acquis et de rentes qui doivent être précisément la cible de toute l’action des ministres. Et pour cela, le grand disrupteur en chef commence par harceler ses propres ministres en les menaçant quasiment, s’ils ne sont pas « efficaces », s’ils n’ont pas de « « résultats » et s’ils ont des « états d’âme ».

Autrement dit, s’ils se préoccupent de penser trop, d’expliquer et de comprendre avant d’agir, alors qu’il faut agir, agir, agir, dogme du passage à l’acte bien connu en psychanalyse, qui court-circuite le désir, la construction lente, souvent différée et paradoxale d’un objet du désir, au profit de la satisfaction immédiate de la pulsion. 

Or, dans l’action gouvernementale, si l’on sait quelque chose, c’est que de véritables « solutions » aux problèmes demandent du temps, des consultations, des partenariats, un contrôle juridique et des compromis pour avoir une chance d’instituer un nouvel état du monde durable, dont les principes seront partagés.

Rien de cela ici puisqu’il s’agit de gagner des points de réputation, car ça ce sont des « résultats » : pas d’institution d’un nouvel accord de vie commune mais des scores de réputation ! Car c’est comme cela qu’il faut comprendre la sélection des ministres récente : après Dupont-Moretti, Rachida Dati, aux côtés de Gabriel Attal, tous ceux qui passent sur les plateaux télé et sur les réseaux sociaux, parce que c’est là où se joue « la guerre » pour la réputation de la France et de son gouvernement, avec des coups politiciens de prises « de guerre », comme ces ministres LR.

Des passages à l’acte, qui sont autant de coups de communication, qu’on oublie aussi vite qu’on les a lancés, laissant les gens du terrain amers et désillusionnés lorsque ce sont de bonnes idées, et amers et furieux lorsque cela permet de faire passer des réformes sans aucune compréhension du problème. Macron agit en fait comme toute agence de communication dans la finance, hypersensible à la réputation, sans intérêt pour les effets durables des investissements (la réforme des retraites???) puisqu’il s’agit seulement de spéculation, ici, politique, où l’on gagne très peu mais souvent, à haute fréquence, en saturant les évaluations possibles par un bombardement de signaux qui se propagent bien plus vite que l’élaboration lente d’un compromis entre partenaires sociaux ou d’une réforme structurelle qui anticipe tous les effets secondaires. 

À ces processus démocratiques contradictoires, Macron préfère le 49.3, l’instrument illibéral par excellence, qui matraque toute opposition à l’assemblée avec un plaisir sadique non feint face à ces politiciens d’une autre génération (même si les opposants sont aussi jeunes que les godillots de Renaissance). Ce n’est plus un gouvernement, c’est un commando uberisé dont rêve Macron et pour cela il dispose à la fois du soutien continu des puissances financières (à condition qu’on les préserve de toute influence écologiste, et les signaux abondent dans ce sens) et de sa police et de son armée, qui seront toutes choyées, sans aucun doute. 

Le problème avec le clone de Kalanick au pouvoir, c’est qu’il peut finir par saboter les bases même d’un commerce supposé adoucir les mœurs.

C’est seulement lorsque Kalanick se permit de tromper Apple (propriétaire de l’iOS qui prélève sa rente) que son PDG, Tim Cook, dût le convoquer et s’arranger pour le débrancher. A nous de faire en sorte que les souteneurs de Macron finissent par se lasser de cette guerre imposée à tous, et de l’instabilité qu’elle va générer inévitablement, comme pendant tout le règne du disrupteur en chef jusqu’ici.

Ce n’est pas parce que le pays a été divisé et violenté qu’il faut s’arrêter, il faut au contraire passer encore un cran au-dessus, voilà la radicalisation du loup solitaire en marche…

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