En fait mon seul souci c’est d’en finir avec la confiscation de la démocratie qu’a institué la démocratie représentative et qu’a redoublé la toute-puissance financière des quarante dernières années. En finir donc avec l’oligarchie sur le plan politique et institutionnel et sur le plan économique à la fois. Changement radical des institutions avec tirage au sort des délégués et changement radical du modèle économique avec interdiction de la spéculation sous toutes ses formes et plafonnement des écarts de revenus (tous les revenus !) de 1 à 20 par exemple. J’attendais donc d’abord un candidat qui remplisse le cahier des charges sur ces deux points, les institutions et la finance. J’y rajouterai l’écologie car l’obligation de la responsabilité à long terme et d’une solidarité avec tout le vivant est la conséquence ou le prérequis des deux autres mesures. Pas de démocratie réelle si l’on n’étend pas la prise en compte à tous les êtres vivants et à la planète, et si l’on ne dégage pas les ressources pour l’action à long terme à partir des richesses produites actuellement (via l’impôt en grande partie). J’avais en effet abandonné tout espoir de réelle transformation écologique à partir du moment où toutes les richesses avaient été dilapidées avec la crise financière pour renflouer les banques ( le même montant pour renflouer la banqu..ise et ce sera parfait !)
Finalement, je pense que Mélenchon représente une vraie chance de faire avancer ces trois domaines à la fois et il les a bien associés, lui :
- · Constituante,
- · Mesures structurelles contre la finance, contre le chômage et pour la réduction des inégalités,
- · Transformation écologiste.
J’aurais préféré qu’il se centre sur la seule constituante car le ras-le-bol des français vis-à-vis des institutions et de leurs représentants est énorme et la capacité des institutions à préserver une oligarchie et la toute puissance de la finance a été amplement démontrée par la lâcheté totale de Hollande sur ce point. En effet, tous les autres points seront des occasions d’attaques de tous ceux qui veulent discréditer la visée principale, la fin de l’oligarchie. Moi-même, je ne suis pas d’accord avec des points secondaires des approches de Mélenchon mais sur les points clés, il est le seul à affirmer une vision cohérente, et une vision construite avec un mouvement. Et ce point est important. Je soutiens en effet l’approche de Chantal Mouffe sur le populisme de gauche. Je n’ai pas de « pudeur de gazelle » vis-à-vis du populisme, terme dénonciateur a priori et disqualifiant de tout adversaire, alors que la démocratie comporte intrinsèquement une obligation de connexion au peuple comme l’a montré X. Mellet dans sa thèse (dont j’étais le directeur !). Je pense même que la « proposition unique » à la mode Koizumi au Japon peut devenir une forme de focalisation du débat, en l’occurrence ici sur la constituante. Mais tout cela doit se faire avec une mobilisation collective hors des partis qu’il faut désormais abandonner comme forme de sélection des candidats car ils n’ont fait que générer une reproduction des élites. L’incapacité à rassembler que je reprochais à Mélenchon peut venir largement de l’échec de toute forme de cartel de partis (2012) et de la nécessité d’inventer les formes de contribution comme l’a fait le mouvement de le France insoumise.
Les autres points positifs du programme de France Insoumise :
La fin de la dictature de la dette ( qui est une opération historique des années 70 qui a signé la défaite des Etats face à la finance, voir Benjamin Lemoine). Tout argument sur l’augmentation de la dette est manipulatoire ( et non respecté par les USA et le Japon au moins dans tous les cas !)
Une vraie stratégie pour faire pression sur l’Allemagne (la sortie de traités) car Hamon avec ses bonnes idées par exemple du parlement de la zone euro n’a aucun moyen de l’imposer et il devra se coucher comme l’a fait Hollande.
Une compréhension réelle des enjeux du numérique (même si cela reste une approche un peu trop productiviste -moyens, tuyaux, Etat- et pas assez en réseaux informels et en contenus) et notamment des jeux vidéo.
Un souci ancien de la formation professionnelle comme élément clé de réindustralisation et comme changement majeur dans les pratiques de l’éducation nationale ( apprendre en faisant).
Une priorité sur la mer, qui est une ressource fondamentale, bien plus proche et riche que l’espace et qui n’est pas « moderne » ( avec la conquête de l’espace on croit dominer le monde en s’en extrayant, alors que la mer impose l’humilité et l’immersion, elle suppose d’être à l’intérieur, programme cosmopolitique par excellence et expérience fondatrice du plongeur et du breton que je suis !).
Son protectionnisme solidaire. Son soutien sans faille à l’ouverture aux migrants nous fait honneur de même que l’impératif de solidarité avec les pays en crise dont ils sont originaires. De ce point de vue, le bilan du quinquennat de Hollande ne fait aucune différence avec les autres, malgré les bonnes intentions de P. Canfin qui avait bien identifié les problèmes. Le protectionnisme commercial est inévitable désormais face aux dérives de la supposée concurrence libre qui est toujours faussée. Les représailles seront certaines, mais il faudra faire agir la diplomatie et des accords égalitaires et non dans le cadre de traités où ce sont toujours les mêmes qui perdent puisqu’ils dérégulent à tout va pour ouvrir les marchés.
Son insistance sur la paix et sur la nécessité de remettre la diplomatie au cœur du dispositif de relations internationales. C’est sur ce point que j’ai le plus évolué en le lisant et en l’écoutant. Je suis toujours aussi révolté par les dictatures (pas tellement Chavez qui avait gardé la liberté de la presse pendant longtemps que la Chine par exemple, mais celle là tout le monde la courtise !!), par le massacre du peuple syrien par Bachar al Assad puis par Daech, etc. Mais j’avais toujours tendance à penser qu’on devait « à tout prix » réagir et sanctionner militairement (je n’ai jamais été pacifiste de ce point de vue). Or, le bilan des interventions des trente dernières années est catastrophique, mis à part quelques situations justifiées comme le Tchad peut être. Toutes les interventions ont été des non-sens politiques pour le long terme de ces pays et n’ont généré que des guerres supplémentaires. Les militaristes américains ont tué la diplomatie ce qui est une victoire pour les terroristes puisque de cette façon aucun dialogue ni aucun compromis ne sont plus possibles. Donc une politique d’intervention minimale, très encadrée et sous conditions de plans politiques clairs me convient tout à fait. Il m’est impossible par exemple de soutenir l’intervention d’un danger public comme Trump, sous prétexte qu’il faut châtier Bachar, ce que fait Hollande sans vergogne. Entre Bachar, Trump, Daech et Poutine, je ne choisis pas, je demande qu’on active la diplomatie et tous les moyens qui empêchent les guerres.
Et les autres?
Par comparaison, Macron ne fait que du Hollande revisité Uber, avec le look conquérant d’une supposée nouvelle économie, qui s’avère bien souvent n’être qu’une économie de prédation. Son charisme est un artefact qui mobilise même Telegram de façon caricaturale pendant ses meetings pour susciter de la ferveur. C’est extrêmement inquiétant car je pense que Macron a une vision technocratique du monde, avec certitudes et autoritarisme à la clé. Son désintérêt profond pour l’écologie n’en est qu’un des indices. Tout le reste est d’un conformisme sidérant par rapport à l’état où en est la France et le monde, et la capacité à agréger tout et son contraire sont typiques d’une politique de réputation qui fonctionne comme support de projection où tout le monde projette ce qu’il veut. Mais le retour à la réalité sera terrible et l’évitement des conflits ne fera que les amplifier.
Par comparaison, Benoit Hamon fait une campagne de refondation du parti socialiste, qui n’avait plus d’idées si ce n’est la conformité au TINA libéral et la soumission à la pression de tous les puissants pour rester au pouvoir, club autoentretenu d’interconnaissances de plus en plus contaminé par la finance. Mais il va aboutir à sa ruine et à une défaite électorale sévère. Car lancer des idées comme le revenu universel perturbe tout le monde car on sait que le sujet est complexe et demandera des années de précision, de négociations, etc, ce qu’il n’annonce pas. De même sur les sujets écologiques comme les perturbateurs endocriniens qui sont justes ou comme le burn out, qui n’ont aucune chance d’être réellement facteurs de transformation si le principe des rapports de travail et de l’écologie n’est pas appuyé sur une reprise de contrôle face aux lobbies financiers. Je pense qu’il est bon que cela soit le signal de la fin des partis, ce qui est en train de se passer avec Macron et avec Mélenchon. Les formes à inventer peuvent être incertaines et imparfaites mais elles doivent aller avec la relance de la démocratie par une nouvelle constitution.
Les critiques faites à Mélenchon :
Son manque de « réalisme » : tant mieux si par réalisme on entend soumission à l’ordre financier existant. Tant mieux si cela veut dire qu’il faut de la volonté et aller au conflit quand il faut avec les alliés. La crainte de la réaction des marchés financiers est un chantage qu’on a trop subi et qui dit exactement l’état de dépossession des pouvoirs dans lesquels nous sommes. Le réalisme de ceux qui acceptent les millions de chômeurs et qui veulent accentuer les politiques libérales qui ont créé cette situation est au mieux irresponsable. D’autres pays s’en sortent apparemment mieux, nous dit-on, parce qu’ils ont libéralisé le marché du travail, oui, en sous-payant de larges franges et en créant une précarité (travail sans contrat de travail en GB) qui est l’avenir idéal de la finance, qui demande toujours plus de fluidité.
La dette et l’inflation : oui il faut arrêter avec ce chantage à la dette et à l’austérité, oui il faut que la BCE reprenne ces dettes, oui l’inflation est préférable au crédit généralisé qui a été le seul moteur de croissance depuis ces années, et donc la relance par le pouvoir d’achat est indispensable , selon un modèle keynesien bien connu et particulièrement pertinent en période de très faible croissance. Le seul bémol c’est que je pense qu’il n’existera plus jamais de croissance forte, pas même les deux pour cent imaginés par l’équipe de Mélenchon pour des raisons de financiarisation de l’économie. Tous les surplus sont désormais reversés en dividendes. L’idée du dividende social de Varoufakis me parait de ce point de vue une bonne présentation de quelque chose qui s’approche du revenu universel mais avec une source de financement très bien identifiée. Mais il faudra être très offensifs sur cette redistribution des richesses y compris pour les cadres dirigeants qui ont été depuis 1980 intégré aux actionnaires de fait par les stock options et autres intéressements. Il faut agir là-dessus pour les désolidariser du capital et leur faire retrouver leur rôle de gestionnaires du bien social qu’est l’entreprise ( sans priorité au capital et encore moins aux financiers qui exigent des rendements impossibles et une fluidité maximale). C’est d’ailleurs sur cette ligne antiactionnaires et antifinanciarisation que l’on peut capter l’adhésion des entrepreneurs de PME qui ont de vraies logiques industrielles. Un vrai clivage doit être introduit au sein des instances patronales comme chez les agriculteurs d’ailleurs (qui avaient quand même élu leur plus grand ennemi Xavier Belin à leur tête !!).
Plus d’impôts : La réforme fiscale que Piketty avait livrée clés en mains à Hollande est restée dans les tiroirs, la lutte contre la fraude fiscale n’a avancé que grâce aux lanceurs d’alerte (les divers leaks successifs). La lâcheté générale sur ce point et le discours convenu et suicidaire de la baisse permanente des impôts ne peuvent plus continuer. Oui on peut et on doit taxer les richesses où elles sont. On pourra même alléger le coût social du travail, en reportant certaines charges sur cet impôt étendu, mais ce n’est pas en détruisant la protection sociale ou les retraites qu’on fera repartir l’économie car tous les surplus (y compris les crédits d’impôts) sont captés par les actionnaires et seront toujours plus captés par eux, car il n’existe plus de limites à leur appât du gain, à cette folie générée par la financiarisation et l’économie casino. C’est en ponctionnant les dividendes, rétablissant les équilibres avec la rémunération du travail, en interdisant la spéculation (comme le dit Jorion, plutôt qu’en la taxant d’ailleurs comme il est dit dans la proposition 51 du programme de Mélenchon) que l’on rend au peuple la richesse qu’il crée ( car il y en a toujours plus !!)
La politique internationale conflictuelle et souverainiste. C’est en effet sur ce point que j’étais le plus réticent et que je reste méfiant sur l’attitude de Mélenchon plus que sur son programme. Son plan d’action vis-à-vis de l’Europe est une vraie stratégie et non une suite de vœux pieux qu’on irait présenter à Mme Merkel pour approbation. En cela c’est un avantage. Elle met l’Europe sous tension et en risque, certes, mais l’inaction et le consensus mou pour un libéralisme permanent sont précisément ce qui a produit cette situation et c’est seulement au moment de la crise grecque que quelques dogmes sur la banque centrale européenne ont commencé à être assouplis pour augmenter le gouvernement politique des budgets européens. Je pense qu’il faut être vigilant sur la nécessité d’avoir une stratégie gagnante pour l’Europe et pour son renforcement et pour ne pas utiliser les arguments du retrait des traités pour fourguer un Frexit déguisé. Car je pense qu’il existe un courant de ce type dans le mouvement autour de Mélenchon c’est certain. Mais toute la re fondation de l’Europe à laquelle j’ai aspiré n’est jamais venu et a conduit à cette méfiance totale chez les peuples vis-à-vis de patrimoine commun pourtant inédit, la construction d’une nouvelle entité dans la paix. Il faudra être vigilant mais ceux qui veulent se servir de ce risque pour ne rien changer à l’Europe préparent à coup sûr son effondrement.
L’alliance bolivarienne : c’est vraiment un point de détail concernant la Guyane et les Antilles mais évidemment cela donne une impression très « cubophile », dictature pour laquelle je n’ai aucune sympathie (comme pour toutes les autres) et ça, ça ne me plait pas.
La grande lessiveuse des esprits que sont les sondages en période d'incertitude signe bien la panne de la démocratie représentative
J’admets pourtant une chose étrange et qui dit bien la faillite de la démocratie représentative : si j’ai changé d’avis, c’est non seulement à cause des arguments, de la bonne campagne de Mélenchon, mais aussi parce que les sondages me laissent croire qu’on peut arriver à un résultat inattendu, comme ce fut le cas en Grande Bretagne et aux Etats-Unis mais cette fois-ci dans le bon sens (comme aurait pu le faire Bernie Sanders d’ailleurs). Le discrédit de la classe politique est tel que l’agrégation des rejets peut peut être provoquer pour une fois un mouvement non régressif nationaliste mais un changement qui cible l’ennemi clé, la finance.
Mais c’est inquiétant de se dire que l’on finit par jouer à la roulette sur des changements de ce type et que si les sondages mettaient Mélenchon à 10% je ne me déplacerais pas. Etrange effet performatif des sondages que l’on connaissait déjà mais qui peut dans ce cas, avoir des effets très conséquents. Je ne pense pas être le seul dans cette situation, et le phénomène de fin des allégeances et des appartenances durables s’est généralisé : la démocratie représentative était déjà oligarchique mais lorsqu’elle est contaminée par la démocratie d’opinion, ça devient un concours de circonstances. Si par chance les circonstances tournaient en faveur d’un vrai renouveau, je ne veux pas la laisser passer. Mais toute la question sera ensuite de savoir naviguer dans la tempête, car elle est assurée. Au moins, avec Mélenchon, nous aurons quelqu’un qui assume les conflits et non comme je l’avais dit pour Hollande sur ce blog quelqu’un qui veut fuir la bagarre sans pitié que mènera le 1% et, plus grave, tous ceux qui croient avoir une chance d’en faire partie un jour ! Accrochons nos ceintures ! ( et cela quel que soit le résultat!)