Voici ce que nous disions avec Rémi Lefebvre, dans une tribune publiée dans Libération. Rien n'a changé avec les résultats de la primaire mais l'on voit mieux les trois candidats qui doivent faire une différence pour gagner, à condition qu'ils adoptent une proposition unique qui attirera toute la gauche, les abstentionnistes et les gilets jaunes: une constituante, pour #degagerla5eme!
Ceci n’est pas une élection présidentielle. C’est un plébiscite. La constitution de la Vème République favorise ce modèle d’une supposée rencontre d’ « un homme » (toujours) et de « la France ». Mais les plateformes de réseaux sociaux ont amplifié ces travers à l’extrême pour réduire l’élection à une phrase associée à un homme (la fracture sociale, travailler plus pour gagner plus, mon ennemi c’est la finance) jusqu’au dégagisme macronien. L’élection présidentielle de la Vème République, amplifiée par ce que nous avons appelé le réchauffement médiatique des réseaux sociaux, est devenue une machine populiste infernale, pour une campagne toujours plus courte, avec des idées toujours plus résumées à des hashtags, et toujours plus dégagiste (dégager Sarkozy puis Hollande).
Forts de ce constat, prolongeons donc cette tendance dégagiste pour dégager cette fois-ci… la constitution de la Vème République. Exploitons les dérives de ces campagnes présidentielles pour résumer celle-ci à une proposition unique : la constituante. C’est la seule façon d’unir la gauche mais aussi tous les abstentionnistes qui n’en peuvent plus de ces fausses alternatives, autour d’un projet fort, simple et mobilisateur, comme au Chili. Faisons de l’élection présidentielle non pas un plébiscite mais un référendum pour une constituante, autour d’une candidature totalement centrée sur ce projet, qui peut fédérer des volontés de changement, dans toute la gauche et au-delà.
La question concerne tout un pays qui sort épuisé, méprisé et ulcéré par des années de macronie, de hollandisme et de sarkozysme. La gauche semble discuter de différences de programmes comme si les gilets jaunes n’avaient jamais existé, le mouvement social le plus long, massif et violent depuis Mai 68. Comme si l’espace public n’avait pas été laminé par dix ans de réseaux sociaux et de formatage des expressions et des débats. Comme si les crises contemporaines, faites de propagations et de points de bascule incontrôlables (terrorisme, climat, finance, covid) pouvaient encore être traitées avec les routines d’un gouvernement centralisé, technocratique et autoritaire qu’a engendré la Vème République. Comme si le personnel politique n’était pas globalement enkysté dans un moule produit par la révolution financière qui date des années 80 et reproduit dans les « grandes » écoles.
Les institutions de la Vème République sont au bout du rouleau et le fait qu’elles rendent fous tous les partis et tous les candidats (que l’on pourrait trouver avisés par ailleurs) en est un signe indubitable. Aucun débat programmatique n’a plus lieu (le réchauffement climatique, où ça ?), tant les mécanismes du réchauffement médiatique des réseaux sociaux ont renforcé la personnalisation de l’élection, déjà au cœur même du dispositif de la Ve. Aucune alliance entre partis n’a de sens depuis que les élections législatives, replacées aussitôt après la présidentielle, ne servent plus que de plébiscite pour le nouveau président.
Ces institutions à tendance populiste ne peuvent que favoriser l’autoritarisme (de Sarkozy à Macron en passant par Valls) ainsi que le discrédit de toutes les assemblées et corps intermédiaires. L’alternative vers laquelle nous nous dirigeons risque de se résumer à différentes versions de la toute-puissance présidentielle. A cela, il faut opposer un véritable renouveau démocratique. Sans ignorer les dérives institutionnelles et médiatiques de la Vème République mais en les utilisant contre elle. Pour cela, un ressort bien connu des analystes des populismes mérite d’être pris au sérieux dans le contexte spécifique de fin de règne de la Vème République : la proposition unique. Koïzumi en présentait la version la plus extrême au Japon en 2005 lorsque sa proposition unique consistait à…. privatiser la Poste (voir la thèse de Xavier Mellet, professeur associé à Waseda University, sur ces questions)! Les campagnes électorales japonaises sont courtes (un mois) et cela permet de focaliser l’attention sur un seul slogan, répété, facile à identifier, qui doit faire une différence et recadrer tout le débat pour obliger les autres candidats à venir sur ce terrain.
Il faut l’admettre, le modèle des élections présidentielles de la Ve République ne parvient plus à engendrer un vrai débat programmatique. Plus grave, cette supposée fascination pour la présidentielle ne parvient même plus à attirer les électeurs et l’abstention est même devenue le problème majeur de toutes les élections. Transformer l’élection présidentielle en quasi référendum pour dégager la Vème république et ses institutions peut en revanche devenir mobilisateur car clair et significatif pour tous ceux qui rejettent une politique qui parait identique quels que soient les gouvernements. Ces électeurs ne seront plus condamnés à s’abstenir, à voter blanc (pour rien) ou à voter pour un candidat uniquement pour dégager le précédent. Les gilets jaunes eux-mêmes pourraient ainsi se retrouver dans un projet de constituante. Combattre l’abstention est un objectif louable à condition d’accepter les nouvelles conditions médiatiques de la vie politique et de jouer la carte des hashtag #constituante, #6eme et #degagerla5eme. Il n’est plus temps de prétendre séduire les électeurs secteur par secteur en composant un programme techniquement parfait mais politiquement inopérant. Toute la gauche écologiste peut s’unir sur cette proposition unique puisque la nécessité d’une VIème République est plutôt partagée dans toutes les formations politiques et au-delà. Il est toujours possible de parler de programme pour les législatives et ce travail doit être commencé dès maintenant puisqu’il sera ainsi dissocié de l’enjeu de la présidentielle.
Il faut cependant trouver un/une candidat/e puisque l’incarnation est la clé du jeu politique représentatif et d’autant plus sous la Vème République. Mais ce/cette candidat/e devra se déclarer prêt/e à et capable de porter cet objectif de la constituante qui contraint radicalement celui ou celle qui se présente : il/elle devra en effet garantir qu’il/elle se retirera une fois les nouvelles institutions établies pour relancer un processus électoral. Une nouvelle constitution ne devrait plus comporter d’élection présidentielle du tout puisqu’il est temps de revenir à une forme ou une autre de parlementarisme, contre toute tentation, toujours plus présente, de bonapartisme. C’est pourquoi une telle campagne sur une proposition unique devrait afficher clairement un projet de constituante pour une constitution sociale et écologique. Taubira pourrait sans doute se saisir de cette perche. Mélenchon a depuis longtemps porté ce projet et il pourrait aussi fédérer plus largement s’il acceptait de dissocier la présidentielle centrée sur la constituante et les législatives qui porteraient le programme. Mais ceci n’est pas une élection présidentielle : ceci doit devenir un référendum pour démocratiser nos institutions à la dérive grâce à une constituante pour une VIème République.