Ce professeur débutant, à l’époque, avait bénéficié d’une formation professionnelle de deux ans en IUFM. Il n’arrivait pas dans sa classe dénué de tout bagage.
L’objectif de ce travail était de tirer parti de l’expérience d’un inspecteur de terrain, c’est-à-dire qui visite et accompagne régulièrement de jeunes enseignants stagiaires en deuxième année d’IUFM ou qui suit de jeunes professeurs titularisés dans leur première et leur deuxième années d’exercice en pleine responsabilité. De cette expérience, il s’agissait de faire émerger cinq conseils opérationnels susceptibles de renforcer l’efficacité des débutants et ainsi de leur permettre de mieux faire face à la complexité de leur mission.
Évidemment, il y a une part de subjectivité dans cet exercice. Et puis cinq conseils, c’est un peu court. Pourquoi cinq, pourquoi pas sept ou dix ? Il y a de l’arbitraire dans ce choix. Mais l’exercice était là comme un défi. J’ai cherché à y répondre avec sincérité, en toute conscience et avec l’envie de produire quelque chose d’utile. Pour y parvenir, je me suis replongé dans tous mes rapports de visite et de suivi sur plusieurs années. J’ai cherché à identifier ce qui faisait le plus souvent défaut aux débutants de cette époque, pourtant encore tout imprégnés de didactique et de savoirs en psychologie cognitive.
Ces cinq conseils pragmatiques concernent le cœur du professionnalisme des enseignants à l’école primaire. En les relisant, je me rends compte qu’ils peuvent aussi aider des enseignants débutants du second degré. Il leur suffira de remplacer « cahier journal » par « cahier de textes », fut-il numérique, « conseil des maîtres » par « équipe pédagogique », etc. De même, il me semble que ces cinq conseils pourront aussi aider les débutants de cette nouvelle génération armée d’un seul master plus ou moins adapté à l’enseignement. Voici donc ces conseils. Ils ne sont pas limitatifs, mais ils me paraissent vraiment opérationnels.
- 1. Travailler en équipe. La solitude est un désavantage professionnel et humain redoutable pour l'enseignant qui débute. Il ne faut pas hésiter à tirer parti de la présence des collègues et des partenaires pour construire son enseignement : dans le cadre des programmations de cycle, dans le cadre du projet d'école, avec le conseil des maîtres, avec le Rased, avec les conseillers pédagogiques et l'inspecteur chargé de la circonscription. L'école est un réseau vivant et dynamique. On s’y enrichit de la fréquentation des points de vue des autres, de tous les autres. Enseigner, c’est d’abord une relation humaine. On ne peut enseigner qu’en s’imprégnant des atouts de la société que l’on fréquente. L’autisme est le pire des ennemis. Il invite rapidement à la dépression.
- 2. Toujours identifier avec précision ce que l'on veut enseigner et ce que les élèves ont appris. Le cœur du métier se situe dans cette dialectique. L'oublier, c'est risquer de se perdre dans les tâches machinales au détriment des progrès réels de tous les élèves. C’est ne s’occuper que de la forme au détriment du fond. C'est surtout risquer de laisser les élèves les moins avancés sans assistance pédagogique, au bord du chemin sans perspective de raccrocher la caravane du savoir. Et puis surtout, un élève qui sait ce qu'il apprend, ce qu’il a appris et ce qu’il va encore apprendre est un élève motivé pour vivre en classe. La question de la discipline (au sens du comportement) ne se pose plus pour lui.
- 3. Garder en permanence en mémoire ses responsabilités d'adulte ayant autorité morale sur les élèves. On doit donc soigner son langage et son attitude. On ne doit jamais oublier ses obligations de surveillance et l'interdiction absolue de violence physique ou psychologique envers les enfants. Un enseignant dynamique, curieux, humaniste, tempéré, tolérant et ambitieux pour ses élèves engage ceux-ci dans la même dynamique. Ta manière d’enseigner reflète ta manière de voir l’homme et sa société. Comme le disait Jaurès, « On n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est ».
- 4. Soigner les conditions matérielles de l'enseignement. L'information nécessaire aux élèves pour leurs apprentissages passe par la voie visuelle et par la voie auditive. Négliger la qualité de ces deux vecteurs de l'apprentissage, c'est risquer de défavoriser les élèves qui ont du mal à apprendre. On doit donc soigner l'éclairage, le tableau, les supports écrits (affiches, cahiers, reproductions), mais aussi le confort sonore de la classe. C'est en cela que la classe est un espace particulier qui se distingue du reste de l'école. Tout y est conçu pour favoriser les apprentissages. Devenir élève, c'est le comprendre et le respecter. L'enseignant à un rôle majeur dans ce projet permanent qui lie le rapport à la loi et le rapport au savoir sur des bases matérielles soignées.
- 5. Enfin, soigner le cahier journal. C'est le principal outil professionnel de l’enseignant. Il permet de structurer la préparation de la classe en amont et sur la continuité, et il participe à deux missions essentielles de la fonction publique : assurer justement la continuité du service d’enseignement délivré (par le partage avec les collègues concernés par la classe) et rendre compte en toute transparence de ce qui a été réalisé. Et surtout, il structure toute la vie de la classe au fil de l'année scolaire. C'est un appui précieux pour les enseignants débutants, sinon le principal appui pour arriver à dominer le foisonnement de tout ce qu’il y a à faire.