Roland Goigoux, universitaire, enseignant tout autant que chercheur au laboratoire PAEDI de l'IUFM d'Auvergne (pas encore mort ! ) vient de répondre aux questions des militants du SNUipp dans un récent dossier de leur revue consacré à la question de l'hétérogénéité dans les classes. J'ai la chance de connaître Roland depuis quelques décennies. Il nous arrive encore de partager quelques moments professionnels. J'apprécie en général sa valeur intellectuelle et son dynamisme remarquable. De quoi banaliser le regard que je lui porte. Mais là, je ne peux m'empêcher de dire : chapeau !
Roland prend un risque en affirmant des choses comme « Il s’agit aussi d’un manque de compétences pédagogiques, mis notamment en évidence par le dispositif d’aide personnalisée, la "différenciation pédagogique" enfin à la portée de tous. » ou « L’aide personnalisée a mis à l’épreuve la valeur professionnelle des maîtres ». Mais son regard n'est pas un jugement hautain et méprisant. Au contraire ! Roland a consacré sa vie à chercher comment aider les maîtres de nos écoles à mieux enseigner. Devenu professeur d'université, il n'a jamais cessé de fréquenter le terrain au plus près pour observer, comprendre, expérimenter, inventer et proposer. Il y a chez lui une générosité inépuisable envers les enseignants (peut-être aussi motivée par la connaissance intime des besoins ressentis par le jeune instituteur qu'il fut dans les années 1980).
L'analyse qu'il nous livre dans cette interview met en évidence à quel point le paradigme de notre école a changé dans les deux dernières décennies. L'ambition de l'égalité des chances et la quête de la réussite de tous ont profondément bouleversé la mission générale de l'enseignant en France. Or, tout cela s'est fait sans que notre pays et son institution « Éducation nationale » ne le prennent clairement en considération dans la formation initiale et continue des enseignants. On vit encore leur professionnalisme sur des bases antérieures, périmées, dépassées. Dès lors, confrontés à ces attentes parfois comminatoires, souvent mêlées d'une angoisse plus ou moins crue, les enseignants ne peuvent que se retrouver dans une situation inconfortable : comment enseigner à des cohortes toujours plus nombreuses dans les classes tout en veillant avec la plus grande attention à la réussite de chaque élève, y compris et surtout ceux qui ont le plus de mal avec l'univers scolaire ?
Alors oui, il y a un manque général de culture didactique, de connaissances scientifiques, de savoir-faire psycho-social, bref de compétences pédagogiques. Ce manque n'est en rien de la faute des enseignants, qu'ils soient « chevronnés » ou néophytes. Ne pas en avoir conscience, c'est se priver de la possibilité d'améliorer grandement notre système scolaire, aussi bien dans son efficacité purement cognitive et culturelle que dans sa qualité de fabrique sociale et citoyenne. Oui, il faut aider les enseignants ! C'est une nécessité actuelle. Au quotidien, c'est sans doute la première mission des équipes d'inspection (inspecteurs et conseillers pédagogiques). Ils doivent en avoir conscience, au-delà de leurs missions de contrôle et d'évaluation qui tendent à devenir trop prépondérantes de nos jours. Mais c'est aussi le devoir des politiques qui gouvernent ou prétendent gouverner à court terme notre Éducation nationale. Il faut investir dans un plan massif de formation pédagogique, un plan cohérent, global et ambitieux pour permettre aux enseignants de remplir les missions que la société leur assigne maintenant. Ce n'est pas en se coupant du terrain des classes et en économisant de manière technocratique sur les moyens de la formation et de la recherche que l'on y arrivera.
J'ai la chance de connaître et de croiser fréquemment Roland Goigoux. Cela me permet de constater à quel point ses travaux et ceux de ses collègues chercheurs du laboratoire PAEDI (Processus d'Action des Enseignants, Déterminants et Impacts) sont importants pour l'avenir. Bref, en lisant l'interview de Roland, je ne peux pas m'empêcher de la souligner et de la promouvoir dans ce petit billet. Elle touche à quelque chose de majeur. J'y suis sensible en tant que professionnel.
