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Billet de blog 13 juillet 2012

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L'efficacité du dispositif de l'aide personnalisée à l'école primaire à l’heure de la refondation de l’école

Dans son hors-série nº 4 de 2012, la revue Recherches en éducation publiée par le Centre de recherches en éducation de l'université de Nantes (CREN) propose un article sur l'approche didactique dans les pratiques d'Aide personnalisée à l'école primaire. Cet article rend compte d'une recherche conduite par deux maîtres de conférences de l'université de Nantes et de l'université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand1. À notre connaissance (qui peut évidemment être prise en défaut), cette étude scientifique, rigoureuse et très charpentée sur le plan épistémologique, est la première et la seule à avoir été publiée dans une revue.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son hors-série nº 4 de 2012, la revue Recherches en éducation publiée par le Centre de recherches en éducation de l'université de Nantes (CREN) propose un article sur l'approche didactique dans les pratiques d'Aide personnalisée à l'école primaire. Cet article rend compte d'une recherche conduite par deux maîtres de conférences de l'université de Nantes et de l'université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand1. À notre connaissance (qui peut évidemment être prise en défaut), cette étude scientifique, rigoureuse et très charpentée sur le plan épistémologique, est la première et la seule à avoir été publiée dans une revue.

On se souvient que ce dispositif est apparu en 2008 dans le cadre de la réforme conduite par le ministre de l'Éducation nationale Xavier Darcos au nom de la Révolution scolaire prônée par le président de la République Nicolas Sarkozy. Cette réforme s'inscrivait dans un ensemble visant explicitement à recadrer les programmes scolaires dans un corpus simplifié accessible à tous les parents, mais aussi à justifier la suppression programmée des postes d'enseignants spécialisés affectés dans les Réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté (Rased). Partant, et de façon moins explicite, cette réforme touchait aussi aux obligations de service des enseignants des écoles en accroissant de manière importante le temps de service annualisé et en développant de fait l'autonomisation des écoles tout en déconstruisant l'institution de l'école primaire obligatoire avec l'introduction pour la première fois d'un temps scolaire différencié soumis à l'initiative des enseignants et à l'accord des parents. Les deux auteurs de l'article nous rappellent que cette réforme s'inscrivait dans un courant de politique éducative structuré sur la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école et la loi de cohésion sociale, lois toutes deux promulguées en 2005. Avec ces deux lois, la France s'emparait de l'objectif d'égalité des chances introduit par la loi d'orientation pour l'école de 1989 en privilégiant les dispositifs de personnalisation du parcours scolaire en vue de lutter contre l'échec scolaire et de promouvoir la réussite de tous les élèves. Le dernier ministre de l'Éducation nationale du président Sarkozy affirmait d'ailleurs avec force que la personnalisation serait la 3e grande révolution du système scolaire après la démocratisation et la massification.

On ne s'étonnera donc pas de l'utilisation du thème de la personnalisation dans l'intitulé de ce nouveau dispositif destiné à intégrer la panoplie des dispositifs d'aide et de soutien mis en place par la loi d'orientation de 2005 aux côtés des Programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE) et du retour du redoublement à tout moment du parcours scolaire (contre le maintien en fin de cycle mis en place par la loi d'orientation de 1989).

Mais les deux universitaires n'ont pas développé leur recherche sur le terrain des concepts idéologiques donnant du sens aux réformes des structures. Elles se sont intéressées à la valeur didactique observée dans la mise en œuvre de l'aide personnalisée depuis 2008. Il s'agissait pour elle de mettre en évidence d'éventuels changements et d'interroger l'efficacité des pratiques d'enseignement liées à ce dispositif.

Leur premier constat ne surprendra que les naïfs : dans les quatre circulaires qui ont accompagné de fait la réforme de l'aide personnalisée, comme dans le guide pratique édité par le ministère à destination des parents d'élève pour leur expliquer la scolarisation de leur enfant, on constate l'indigence des prescriptions pédagogiques propres à l'aide personnalisée. À l'évidence, dans l'esprit des concepteurs de ce dispositif, la forme supplantait le fond ou bien était censée l'inspirer sans qu'il y ait besoin d'y revenir, au titre de la confiance didactique due par principe aux enseignants. Il en ressort néanmoins trois dominantes : l'aide s'effectue en groupe restreint homogène, l'aide est externalisée, et l'aide est un dédoublement du temps didactique.

Les deux universitaires ont construit un protocole d'étude structuré sur deux étapes : d'une part l'observation et la détermination de pratiques d'aide effectuée par les enseignants pendant le temps de classe ordinaire ; d'autre part, l'observation et la détermination de pratiques d'aide par ces mêmes enseignants pendant le dispositif de l'aide personnalisée (AP). Elles ont ensuite cherché à répondre à une série de sept questionnements :

  1. Les mêmes théories de l'apprentissage sont-elles mobilisées dans le cadre de l'AP ? et quelles en sont les épistémologies pratiques sous-jacentes ?
  2. L'AP se fonde-t-elle sur une analyse des difficultés ? Comment ces difficultés sont-elles évaluées ? Quels sont les indicateurs de la difficulté mobilisés par les professeurs ?
  3. Le caractère différé des AP favorise-t-il la construction en amont de la séance ?
  4. Quelles sont les situations utilisées en AP ?
  5. Quels sont les différents types d'aménagement que proposent les professeurs ?
  6. Y a-t-il réduction de la distance entre la réalité de l'apprentissage et l'objectif initial de l'enseignement dans l'AP ?
  7. Le souci de l'avancée collective du temps didactique constaté dans la classe reste-t-il présent afin de permettre aux élèves de se réinsérer dans le temps didactique de leur classe ?

La description fine des observations et leur analyse sont développées dans l'article que l'on pourra utilement consulter. Plusieurs éléments de réponse sont mis en évidence.

Les mêmes théories de l'apprentissage sont investies en classe et en AP : la connaissance se construit de manière linéaire selon une progression du simple au complexe ; et l'idée de prérequis demeure dominante. L'épistémologie pratique se structure sur le principe de la simplification.

Les auteurs ont identifié deux types d’analyse des difficultés des élèves. Un type d'analyse des difficultés s'appuie sur une évaluation en amont de certains éléments de savoir ; il induit un travail en AP sur des compétences spécifiques. Un autre type s'appuie sur le rapport de l'élève à l'école, à son comportement, à ses manques ; lui, induit un travail en AP sur des difficultés globales. On obtient selon ces deux types des milieux de l'aide très dissemblables.

Concernant la préparation en amont des situations d’aide personnalisée, il apparaît une divergence d’investissement très prononcée entre les professeurs qui s’appuient sur une évaluation en amont et ceux qui poursuivent leur travail comme en classe.

L’intention des professeurs est de pratiquer autrement en aide personnalisée que ce qui se passe en classe. Pour cela, ils tendent à recourir à un habillage plutôt ludique. Mais là encore, on retrouve deux types de professeurs selon la même dichotomie que précédemment. Le premier type (qui évalue finement et prépare en amont) focalise son action sur les progrès des élèves et construit un carnet de suivi. Il établit un lien entre le travail de classe et celui de l’aide personnalisée avec des supports utilisés en classe. Le second type de professeurs (qui s’appuie sur le rapport de l’élève à l’école et poursuit son travail comme en classe) focalise son action sur la tâche elle-même sans mise en perspective. Seul le manuel scolaire assure le lien avec le travail en classe, sans que cela soit médiatisé explicitement.

Dans les deux cas, la mise en œuvre des échanges verbaux pendant l’aide personnalisée adopte le modèle qui prévaut en classe : des interactions entre le professeur et chacun des élèves, avec un guidage très serré pour faire apprendre une procédure efficace. Les professeurs laissent peu de place à l’expérience, à la prise d’initiative des élèves et aux échanges interactifs entre eux, alors qu’on travaille en petit groupe.

Pour les auteurs, cette caractéristique compromet l’efficacité de l’aide personnalisée, car le guidage serré vers la bonne réponse réduit le milieu d’étude, fragmente la tâche et l’éparpille, ce qui démultiplie et éloigne progressivement l’apprentissage réalisé de l’objectif initial, jusqu’à s’en déconnecter totalement.

Si les professeurs restent attentifs à l’avancée collective du temps didactique en aide personnalisée par rapport à ce qui se fait en classe, les situations observées ne sont finalement pas en mesure de permettre aux élèves de se réinsérer efficacement dans le temps de la classe. La cause en est l’investissement dans les procédures de bas niveau avec des procédures de stimuli-réponse qui sont assimilées à des automatismes. On en reste aux traits de surface de la notion étudiée. On se limite à la dimension lexicale au détriment de la dimension conceptuelle. Les compétences langagières prennent le pas sur les compétences notionnelles. Les auteurs font l’hypothèse que cette dérive provient des prescriptions officielles récentes qui ont mis en avant la maîtrise de la langue, l’interdisciplinarité et l’aide comme espace de réassurance par la parole. Les professeurs sont alors prisonniers de prêts-à-penser sur la difficulté scolaire et l’aide qui doit être donnée.

Ce que nous apprend cette recherche revêt une importance considérable. 

D’abord, elle confirme bien que notre modèle didactique usuel est fondé sur une ingénierie  essentiellement en phase avec les élèves qui apprennent sans difficulté. Les professeurs ordinaires ne disposent pas d’un outillage didactique comportant des procédures efficaces pour les élèves qui n’apprennent pas aisément. Dès lors, l’idée initiale d’instaurer le dispositif de l’aide personnalisée pour supprimer les Rased avec leurs enseignants  spécialement qualifiés pour les difficultés d’apprentissage était une ineptie totale. À cet égard, l’immense majorité des enseignants et des parents l’ont spontanément perçue. Ensuite, cette étude confirme que le dispositif de l’aide personnalisée constitue une procédure d’externalisation de la difficulté scolaire hors de la classe, tant sur la dimension logistique (un autre temps, voire un autre lieu, un autre environnement humain) que sur la dimension didactique (on y simplifie et on éparpille à outrance l’apprentissage jusqu’à le déconnecter des objectifs initiaux). Cette externalisation produit des résultats peu efficaces. On pourrait même redouter qu’elle ne constitue le marquage tangible d’une nouvelle qualification essentiellement administrative : élève qui n’apprend pas bien et subit de l’aide personnalisée.

Enfin, cette étude montre qu’il ne suffit pas de placer les professeurs dans une situation d’enseignement nouvelle pour qu’ils soient en mesure de mettre en œuvre une pédagogie nouvelle. Au contraire, il apparaît en l’occurrence que ce sont les invariants les plus éculés qui sont mis en valeur : la simplification aliénante, l’habillage ludique superficiel, le dressage par la parole descendante de l’enseignant et le processus du stimuli-réponse (en tout bien, tout honneur et sans arrière-pensée idéologique, évidemment).

En conclusion, on doit s’interroger sérieusement sur la pérennité de ce dispositif. Mais c’est aussi toute la formation initiale et continue des enseignants qui est interrogée : pourquoi n’apporte-t-elle pas aux enseignants ordinaires l’outillage didactique en phase avec les élèves qui n’apprennent pas aisément avec le modèle d’enseignement classique ? Et d’ailleurs, pourquoi n’interroge-t-on pas plus la pertinence et la légitimité didactiques de ce modèle né chez les Frères des écoles chrétiennes et les Jésuites dont les objectifs n’étaient pas la réussite de tous, l’autonomie culturelle et la libre citoyenneté ? À l’heure de la refondation de l’école, il est sans doute temps de se confronter à ces questions pour redonner de l’efficacité à la formation professionnelle des enseignants actuels et à venir en fonction des finalités réelles que la République assigne à son système éducatif. Comme aimait à le dire une ancienne candidate à la présidence de la République, « tout est lié ». On le perçoit bien à l’occasion de l’analyse de l’efficacité didactique de l’aide personnalisée.

  Cet article a été initialement publié sur le site du Syndicat national des personnels d'inspection (SNPI-FSU) dont je suis secrétaire général adjoint.


1 Marie Toullec-Théry du CRE de Nantes et Corinne Marlot du laboratoire Acté de Clermont-Ferrand

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