À l’occasion de ce 15 août, dans le cadre du flot des rediffusions estivales peu onéreuses, la première chaîne de télévision vient de proposer à ses téléspectateurs de revoir le film de Claude Berri, Le Maître d’École, sorti au cinéma en octobre 1981. Coluche en était l’acteur principal. Cette gentille comédie connut à l’époque un beau succès. Elle met en scène un jeune vendeur de vêtements licencié pour avoir pris la défense d’un gamin de dix ans chapardeur. Ne sachant que faire, mais constatant qu’il possède un bac et a fait une année de droit, il décide de devenir instituteur suppléant et découvre un métier dont il ne connaissait pas grand-chose, dans une école de banlieue.
Le film fut tourné dans l’été 1980. Alain Peyrefitte était alors Garde des Sceaux de Giscard d’Estaing et dissertait à la télévision pour expliquer en quoi la peine de mort était nécessaire malgré l’horreur qu’elle lui inspirait. Coluche au sommet de sa gloire s'apprêtait à présenter sa candidature iconoclaste à la présidentielle de mai 1981. Charlotte de Turkheim était encore très mince, Josiane Balasko déjà très drôle. Richard Gotainer et Alain Souchon, jeunes trentenaires, mettaient leur gloire et leurs chansons au service du film (Le Sampa pour l’un, Le Maître d’École pour l’autre).
Il y a trente ans, déjà. À la sortie du film, en octobre 1981, je venais d’être reçu au concours d’entrée à l’école normale d’instituteurs, et j’allais bientôt me retrouver chargé d’une classe de CE2 dans une école d’un quartier difficile d’une petite ville, pour un stage de découverte de six semaines en responsabilité. Et ce film prit alors à mes yeux une importance singulière. Trente ans après, je me rends compte qu’il y avait de quoi.
Au cinéma, comme à la télévision, si l’école sert parfois de décor à une histoire, on reste bien souvent au niveau des clichés superficiels. À la limite, le spectateur français en sait plus sur ce qui se passe dans les classes américaines que dans les classes françaises. En France, on se souvient de Topaze et de sa dictée dans laquelle le « s » de « moutons » se prononce. Et puis surtout de la série « L’instit » qui met en scène un improbable juge des enfants devenu instituteur remplaçant sur toute la France, mais qu’on ne voit jamais enseigner ou même préparer son enseignement, trop occupé qu’il est à rejouer son rôle de magistrat humaniste en marge de l’école.
Le Maître d’École de Claude Berri se distingue curieusement de ces clichés. Certes, le style est celui d’une comédie, avec ses nécessaires outrances et invraisemblances et ses personnages caricaturaux (on pourra apprécier l’affiche du film, dessinée dans le style de Dubout). Mais Claude Berri revendiquait un objectif plus ambitieux, sans renier l’évidence que faire rire est une ambition salutaire. Dans le magazine Première, à la sortie du film, il déclarait vouloir montrer la difficulté du métier d’enseignant, et notamment que « la frontière est fragile entre la liberté et la discipline ». Pour écrire le scénario, Claude Berri s’était appuyé sur la collaboration d’un certain Jules Celma. Celui-ci avait été instituteur suppléant durant l’année scolaire 1968-1969. Sans formation pédagogique, mais adepte d’une relation fondée sur la liberté et la spontanéité qu’il eut beaucoup de difficulté à mettre en œuvre, il porta un regard sévère sur un système scolaire qui, selon lui, formatait les élèves sur un mode autoritaire et aliénant. Il en fit un livre très contestataire sorti en 1971 : Le Journal d'un éducastreur (Champ libre, épuisé). Claude Berri décida donc de s’inspirer librement de cette expérience.
Au final, on obtient un film riche de plusieurs thématiques qui gardent encore une singulière pertinence : quelle école pour quelle société ; la formation professionnelle des enseignants ; les remplacements ; le positionnement des directeurs d’école, des conseillers pédagogiques et des inspecteurs ; le syndicalisme. On pourrait y consacrer une étude complète.
Ici, je me limiterai à évoquer une seule thématique qui me tient à cœur : l’extraordinaire implication des enseignants dans leur métier. Dans Le Maître d’École, on voit à plusieurs reprises Coluche enseigner, comme on le voit préparer ses cours, et douter, et se tromper, et persévérer par ambition pour les élèves. En quelques scènes, tout est présenté.
Ainsi donc, on se rend compte qu’il ne suffit pas d’entrer dans la salle de classe et de dire « Prenez votre livre page 35. », ou « Sortez vos cahiers et commençons la dictée ». Enseigner se prépare. Et cela se prépare sérieusement en dehors de la classe.
C’est d’abord une recension du savoir à faire acquérir qui demande une mise au point personnelle sans cesse réitérée. C’est ensuite une construction didactique méthodique pour véhiculer ces savoirs dans une situation pédagogique adaptée aux élèves. Cela se travaille à tout moment, hors de la classe. On n’a jamais achevé cette œuvre essentielle qui empiète sur la vie familiale et la vie matérielle ordinaire.
On s’aperçoit aussi qu’enseigner, c’est se montrer rigoureux, vigilant et réactif pendant le temps de classe. Face aux enfants, il est indispensable d’être disponible à leurs réactions, d’être attentif au foisonnement de leurs différences, sans pour autant perdre le fil du projet d’enseignement que l’on s’est fixé. Il est indispensable de pouvoir rebondir et de s’adapter « en direct » sans renoncer à faire découvrir et apprendre. Il est enfin indispensable de ne jamais perdre de vue que ce sont des enfants, avec tout ce que cela implique sur le plan psychologique. On doit comprendre pourquoi un enfant ne comprend pas comme un adulte. C’est là une très lourde responsabilité, tant sur le plan intellectuel que sur le plan nerveux. Dans ce domaine, l’erreur se traduit bien souvent par un problème de discipline. La capacité de discernement constitue alors un élément de compétence professionnelle essentiel.
Il me semble que ces aspects du métier d’enseignant sont trop méconnus du public et des responsables politiques en France. On en reste malheureusement souvent aux clichés réduisant l’enseignement à une simple transmission de connaissances inspirée par une vocation ou un don qui libèrerait de tout investissement concret. La réalité de ce métier est pourtant bien concrète pour ses pratiquants. C’est un investissement intellectuel, nerveux et logistique immense et jamais terminé. C’est une charge sociale insigne sans laquelle l’école ne pourrait pas assurer sa mission émancipatrice.
Pour cela et avant toute autre considération, le corps social doit aux enseignants un respect citoyen essentiel. Confrontés à cette prise de conscience de l’investissement concret que nécessite l’enseignement, les anathèmes et les sentences péjoratives poujadistes contre leur catégorie socioprofessionnelle apparaissent alors bien incongrus. Sur cette base, peut-être pourrait-on réfléchir plus sereinement aux problèmes que nous nous posons tous.
P.-S. Je ne saurais trop conseiller de prendre connaissance du très intéressant billet de Philippe Watrelot (CRAP-Cahiers Pédagogiques) sur son blog : Qu’est-ce qu’un bon prof ?
Le Maître d’École : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=5517.html
Claude Berri : http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Berri
Première : http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema
Dubout : http://www.dubout.fr/
Coluche : http://archives.tsr.ch/dossier-coluche
Charlotte de Turkheim : http://charlottedeturckheim.fr/index2.html
Josiane Balasko : http://www.imdb.fr/name/nm0001929/
Alain Peyrefitte : http://www.alainpeyrefitte.fr/
Richard Gotainer : http://www.gotainer.com/web/
Alain Souchon : http://www.alainsouchon.net/
Jules Celma : http://elindio.unblog.fr/
Topaze : http://www.marcel-pagnol.com/film-topaze-1ere-version,4.html
L’instit : http://www.imdb.fr/title/tt0169456/combined
Qu’est-ce qu’un bon prof ? : http://philippe-watrelot.blogspot.com/2010/08/quest-ce-quun-bon-prof.html