Le 22 octobre dernier, l’Association pour le Développement des Méthodologies d’Évaluation en Éducation (admee Europe) organisait sous la responsabilité de Nathalie Younès une journée d’étude nationale à l’IUFM d’Auvergne sur le thème « L’évaluation des compétences. Quelles démarches, quels outils ? ».
J’ai été invité à y présenter très rapidement la question de l’évaluation des compétences des enseignants du point de vue des inspecteurs. Ce billet est en quelque sorte le développement en deux parties du point de vue que j’ai exposé.
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Si l’on s’en tient à la tradition officielle, telle qu’elle est étayée par les textes légaux en la matière, on peut affirmer stricto sensu que les inspecteurs n’évaluent pas les compétences des enseignants.
Fichtre ! Mais alors que font-ils ?
Ils font ce qui est prévu par le statut général de la Fonction publique : ils établissent des notes et appréciations générales qui expriment, nous dit la loi, non pas la maîtrise de compétences, mais « la valeur professionnelle des fonctionnaires » (article 17 du titre 1er du statut général de la Fonction publique).
Si l’on s’en tient aux décrets portants statuts particuliers des différents corps d’enseignants, notamment dans leur partie consacrée à l’évaluation des enseignants, cela se traduit par les dispositions suivantes :
— Dans le second degré, les inspecteurs (IGEN pour les agrégés, IA-IPR et IEN ET/EG pour les certifiés et PLP) établissent une note pédagogique de 0 à 60 compte tenu « d’une appréciation pédagogique portant sur la valeur de l’action éducative et de l’enseignement donnés ».
— Dans le premier degré, l’IEN-CCPD propose une note de 0 à 20 « accompagnée d’une appréciation pédagogique » à l’IA-DSDEN.
Et si on recherche plus en avant dans les décrets statutaires des corps enseignants, le mot « compétence » n’apparaît que de manière incidente dans des modifications récentes (années 2000) : dans les articles permettant de les déléguer à leur demande dans une entreprise (et sont évoquées ici leurs « compétences pédagogiques » sans plus de précisions) ou pour évoquer les « certificats de compétences » en langue et en informatique qu’ils peuvent acquérir.
En fait, aucun texte de niveau législatif ou de niveau décret ne demande explicitement aux inspecteurs de se prononcer sur la maîtrise de compétences professionnelles des enseignants. Pas même les articles du Code de l’Éducation consacrés à exposer les missions des inspecteurs (articles R241-18 à R241-21).
Même les circulaires les plus récentes concernant les missions des inspecteurs passent sous silence le mot compétences quand ils évoquent l’évaluation des enseignants (circulaire n° 2009-064 du 19-5-2009 relative aux missions des corps d’inspection). Le mot « compétence » n’y est mobilisé que pour évoquer les compétences des élèves et la compétence pédagogique des inspecteurs.
L’affaire semble entendue. Mais comme rien n’est jamais simple dans le monde de l’éducation, il faut compter avec les nombreux travaux réformateurs du ministère de tutelle pour voir arriver des nuances.
En la matière, une nuance de taille arrive avec l’arrêté du 19 décembre 2006 qui définit le cahier des charges de la formation des maîtres en institut universitaire de formation des maîtres (le fameux IUFM). Cet arrêté pose une annexe constituée de la définition de dix compétences professionnelles pour les enseignants. Ces dix compétences forment désormais ce que j’appelle le « décalogue » laïque et républicain de la profession enseignante en France. On ne sait pas vraiment qui l’a rédigé et comment cet auteur anonyme s’y est pris. Son décalogue est désormais la parole de l’État, qui depuis le début des années 2000 s’évertue à intégrer les prescriptions de l’OCDE et de l’Union européenne en matière de formation (mot qui tend à se substituer au mot éducation), et notamment avec l’adoption du concept de « compétences clés ».
Dès lors, les inspecteurs vont devoir s’intéresser à la question des compétences professionnelles des enseignants. Mais — on va le voir, de manière pas tout à fait directe.
En effet, les deux arrêtés du 9 mai 2007 sur la validation de l’année de stage et la titularisation des enseignants attribuent au jury et à lui seul la mission de se prononcer après avoir pris connaissance du dossier de compétences du stagiaire d’une part, et d’autre part, de l’avis d’un inspecteur après une inspection (et de l’avis du chef d’établissement pour le second degré).
Il n’y est pas dit explicitement que l’inspecteur doit établir son avis en procédant à l’examen de la maîtrise des 10 compétences. Il est seulement dit qu’il fait une inspection.
Avec les arrêtés du 12 mai 2010 qui reprennent tout cela, bizarrement, seul celui qui concerne les agrégés attribue explicitement aux IGEN la tâche d’évaluer les stagiaires en s’appuyant « notamment sur le référentiel de compétences », le fameux décalogue. Celui-ci, maintenant, fait l’objet d’un arrêté à part entière ce même 12 mai 2010.
Pour les stagiaires des autres corps, les arrêtés de 2010 ne sont pas aussi évidents. Ils reprennent ce qui se faisait dans l’arrêté de 2007. Le jury « se prononce sur le fondement du référentiel de compétences prévu par l’arrêté du 12 mai 2010 ». Il s’appuie sur l’avis de l’inspecteur désigné et, dans le second degré, de l’avis du chef d’établissement. Mais il n’est pas directement et explicitement dit que l’inspecteur doit s’appuyer sur le référentiel de compétences.
Quoi qu’il en soit, il va de soi que depuis 2007, les inspecteurs sont conduits à s’intéresser à l’évaluation des compétences professionnelles des enseignants stagiaires. Ils peuvent s’appuyer pour cela sur décalogue. Mais cet intérêt, officiellement, ne concerne que la période de stage, avant la titularisation.
Et après ? On peut se poser la question, tant dans les faits que dans l’esprit.
Pourquoi ? Eh bien, parce que notre système s’appuie sur un mythe administratif fort pratique pour la gestion d’une structure humaine de masse : une compétence acquise est définitivement acquise. On n’a pas à y revenir, car ne peut être validée qu’une compétence maîtrisée, sans plus de précision ou de nuance.
On constate que ce dogme « logistique » constitue même le principe essentiel du socle commun de connaissances et de compétences tel qu’il se concrétise dans la gestion du livret personnel de compétences qui vient d’être arrêté le 14 juin dernier. L’État considère qu’une compétence maîtrisée est définitivement maîtrisée. Le LPC fonctionne avec des dates qui indiquent le jour où est attestée cette maîtrise pour chaque item des compétences du socle commun.
Eh bien, pour les dix compétences professionnelles du décalogue des enseignants, il en va de même si l’on s’en tient à l’article 2 de l’arrêté de juillet 2010 qui définit ces compétences : « La maîtrise de ces compétences est évaluée au plus tard au moment de la titularisation ». La titularisation implique donc que ces compétences ont été évaluées comme étant maîtrisées.
Et cela correspond à l’ensemble du système juridique qui encadre les fonctionnaires. Leur compétence à être fonctionnaire ne peut être révisée qu’accidentellement. S’il y a faute (art 29 du titre 1er du statut général) ou en cas d’insuffisance professionnelle qui provoque un licenciement (art 13 et 70 du titre 2 du statut général).
Or ces cas sont tout de même relativement rares et suffisamment graves dans leurs conséquences pour qu’on ne les banalise pas.
Toutefois, une brèche a fini par se créer dans ce système.
En 2007, le décret du 15 octobre sur la formation professionnelle tout au long de la vie des fonctionnaires de l'État introduit le principe que « La formation continue, tend[…] à maintenir ou parfaire, compte tenu du contexte professionnel dans lequel ils exercent leurs fonctions, la compétence des fonctionnaires ». L’État envisage donc explicitement que la maîtrise des compétences professionnelles est susceptible de ne pas se maintenir, et donc qu’elle peut se dégrader et qu’en tout état de cause elle doit se parfaire, c’est-à-dire s’améliorer. Et que donc, cela signifie implicitement que la maîtrise des compétences professionnelle qui a conduit à la titularisation n’est donc pas totale et définitive.
Et logiquement, cela impacte l’évaluation des fonctionnaires. Le décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l’État engage une évolution officielle du système d’appréciation de cette valeur professionnelle.
L’entretien professionnel annuel qui est son principal levier doit permettre de mettre en évidence « Les besoins de formation du fonctionnaire eu égard, notamment, aux missions qui lui sont imparties, aux compétences qu’il doit acquérir et à son projet professionnel »
Est-ce que tout cela va bouleverser complètement le travail des inspecteurs ? Et donc la vie professionnelle des enseignants ?
En fait, ce n’est pas certain.
(à suivre)
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