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Bien qu’il n’existe pas de manuel officiel de l’inspection pédagogique, celle-ci engage trois logiques fortes qui découlent des missions statuaires des inspecteurs, mais aussi de la logique de notre système scolaire : le contrôle, l’évaluation et la formation continue.
Pour être plus clair encore, on peut constater que dans les faits, la majorité des inspecteurs fondent leur appréciation de la valeur professionnelle sur deux axes privilégiés.
Le premier de ces axes, c’est le contrôle de conformité.
- Conformité par rapport aux enseignements définis nationalement par l’État : la connaissance et le respect des programmes.
- Conformité par rapport aux modalités d’enseignement telles qu’elles sont définies dans les normes nationales (respect des repères horaires et annuels et de la continuité, respect de la moralité, respect du suivi des élèves et de l’information des parents, respect du travail inscrit dans une dynamique d’équipe pédagogique avec des projets d’établissement et la vie de l’établissement).
- Sauf dans quelques domaines précis et circonscrits (la démarche scientifique dans l’enseignement des sciences, par exemple), il n’y a pas de modèle didactique officiel. Et l’innovation est même officiellement possible et valorisée (même si l’on constate trop souvent qu’elle se voit contrariée dans les faits par les freins des réflexes administratifs de tout un chacun).
Le second de ces axes, c’est celui des résultats, ou plus concrètement des acquis scolaires des élèves, si tant est qu’on puisse les observer de manière générale et détaillée. Deux angles se présentent :
- D’une part, en considérant les effets de l’enseignement délivré sur l’ensemble des élèves. C’est un angle classique et traditionnel.
- D’autre part, en considérant la manière dont l’enseignant prend lui-même en compte les effets de son enseignement sur les élèves les plus faibles. C’est un angle plus récent, induit par les orientations politiques qui visent à diminuer la proportion d’échec scolaire dans les classes.
Et en fait, implicitement, à partir de ces deux axes, on approche la mesure des compétences professionnelles définies dans le décalogue officiel de 2006 et 2010. Comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les inspecteurs évaluent depuis longtemps les compétences des enseignants, sans en faire un fromage.
Mais regardons rapidement les outils intellectuels dont dispose l’inspecteur pour en comprendre la portée et les schémas implicites.
En premier lieu, contrairement à ce que beaucoup d’enseignants pensent, l’inspection ne s’appuie pas seulement sur l’observation d’une leçon en classe.
Cette observation est faite et demeure une pièce maîtresse. Mais au-delà du seul mode didactique employé par l’enseignant lors de l’inspection, c’est aussi :
- sa manière de parler à ses élèves qui est observée,
- sa manière de les écouter,
- de se montrer vigilant et réactif pour adapter en direct son magister afin de le rendre plus efficace.
On regarde tout autant les outils qu’il met en œuvre pour appuyer sa didactique :
- les outils classiques comme le tableau,
- les supports des travaux des élèves,
- mais aussi l’informatique sous toutes ses formes.
L’inspection consiste aussi à prendre en compte le travail effectué avec les élèves depuis le début de l’année scolaire :
- en analysant le cahier de texte dans le second degré,
- ou le cahier journal dans le premier degré.
On observe aussi la continuité et le travail en équipe à travers les progressions et la cohérence des programmations, l’engagement dans le projet d’établissement.
On observe évidemment les élèves pendant la séance et notamment leur production orale, mais on s’attache aussi à observer leurs productions écrites dans les cahiers et classeurs.
De plus, et ce n’est certainement pas le moindre outil de l’inspecteur, l’entretien particulier avec l’enseignant permet d’élucider toute une série de détails signifiants, de préciser une pensée, voire de relativiser une impression née d’un malentendu ou d’une intuition difficile à fonder sur la seule observation en situation. La mise en relation avec les entretiens menés au sein de l’équipe pédagogique de l’établissement complète ce travail de compréhension.
Enfin, la situation sera toujours relativisée par rapport au contexte :
— le positionnement de l’enseignant dans son parcours professionnel, c’est-à-dire son histoire ;
— les caractéristiques de l’établissement, tant du point de vue de son public que de son équipe, mais aussi par rapport à son environnement géographique, social et économique. ;
— le moment de l’année où a lieu l’inspection, voire le moment de la semaine et de la journée.
Tout cela constitue une alchimie qui ne procède pas d’une évaluation à caractère scientifique (existe-t-il dans ce domaine une évaluation scientifique ?), mais bien d’une approche avant tout humaine, nourrie de dialectique, de culture et d’expérience professionnelle qui permettent de construire une expertise.
Surtout, l’ultime outil de l’inspecteur, c’est le rapport qu’il établit. Un rapport qui s’adresse aussi bien à l'enseignant qu’à son employeur. Or ce rapport est d’abord un récit glosé. C’est-à-dire un récit qui donne les éléments d’une analyse, qui met en perspective une tranche de vie et tend à étayer une démonstration : celle de l’appréciation que l’on peut faire du travail de l’enseignant. Il intègre normalement des pistes de progrès qui ont été vues durant l’entretien individuel.
Une inspection à base de champs strictement référencés, et donc recensés rigoureusement dans des grilles à cocher tendrait à se traduire par un rapport d’inspection qui prendrait l’allure d’un cimetière militaire rempli de croix. La vie ne s’épanouit pas dans ce genre de rapport, mais l’angoisse y creuse ses sillons. Certains inspecteurs ont cru trouver dans cette approche une manière de rendre plus objective leur évaluation. Cette tentation « techniciste » illusoire n’a abouti que rarement à encourager et à valoriser l’engagement professionnel des enseignants. Or il ne faut pas oublier que l’inspection et son rapport sont l’unique élément d’évaluation pédagogique des enseignants. Pour l’évaluation des élèves, la sècheresse du livret personnel de compétences, lié au socle commun, est fort heureusement pondérée par tout le système d’évaluation mis en place tout au long de l’année par les enseignants.
Fort heureusement, l’approche privilégiée jusqu’à maintenant par une majorité d’inspecteurs (sans nier qu’il existe des cas toujours trop nombreux qui illustrent le contraire), qu’ils soient IEN, IA-IPR ou IGEN, demeure une approche humaniste, c’est-à-dire une approche qui vise la formation de l’esprit par la culture et la raison. Le but de l’évaluation est aussi de mettre en valeur. Et l’intérêt de notre système scolaire républicain et démocratique, c’est d’encourager les enseignants à parfaire leur compétence générale, pas de quantifier des croix dans une grille et de les réduire ainsi à un schéma rigide, fut-il sous forme de décalogue officiel. Monsieur Jourdain rafle la mise, au grand bénéfice de l’humanisme intelligent et d’une école qui demeure le jardin de notre société. La vie doit s’y épanouir dans sa diversité et sa flamboyance. La vie se raconte. L’école aussi.
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Une partie de la journée d'étude est visible ici : http://evaluationdescompetences.blogspot.com/