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Billet de blog 25 septembre 2010

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Il faut reconquérir l’éducation à la citoyenneté !

 Le redoutable passage du début d’année scolaire m’a fait négliger ce blog à peine commencé. Je suis donc loin des deux billets mensuels que je m’étais fixé. Voici un billet légèrement adapté d’un article que j’ai publié dans le dernier numéro de la revue syndicale « Inspecteur Aujourd’hui ». Il doit être encore trop long pour ceux des amateurs de blog qui apprécient les textes courts et ramassés. Je m’en excuse auprès d’eux. Sur le papier, cela ne fait jamais que 2,5 pages A4. J’essaierai de faire plus court à l’avenir. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le redoutable passage du début d’année scolaire m’a fait négliger ce blog à peine commencé. Je suis donc loin des deux billets mensuels que je m’étais fixé. Voici un billet légèrement adapté d’un article que j’ai publié dans le dernier numéro de la revue syndicale « Inspecteur Aujourd’hui ». Il doit être encore trop long pour ceux des amateurs de blog qui apprécient les textes courts et ramassés. Je m’en excuse auprès d’eux. Sur le papier, cela ne fait jamais que 2,5 pages A4. J’essaierai de faire plus court à l’avenir.

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Depuis plusieurs années, les faits sont là qui nous inquiètent tous : l’abstention se développe dangereusement partout où il faut voter et partout où il faut s’engager. On le constate aussi bien dans les élections politiques que dans les élections professionnelles. On constate aussi que les adhésions diminuent dangereusement dans les partis politiques, dans les organisations syndicales comme dans les associations. Partout, l’individualisme se développe tout en se conjuguant sur le mode de la violence symbolique et larvée, voire plus ou moins dramatique dans la rue, comme dans les services publics ou à l’école. La laïcité qui fut la grande conquête de la République et que l’on croyait inébranlable ne cesse de vaciller sous les coups du communautarisme religieux. Un communautarisme flatté par les errements des plus hautes instances de l’État dans des discours ou des décisions ambigus, mais aussi nourri par le développement des inégalités sociales sur notre territoire national qui constituent un terreau idéal pour les prédicateurs de tous bords qui offrent leurs services et leur idéologie de haine.

Chacun déplore cette triste tendance. Chacun y va de son explication, souvent juste et pertinente. Pourtant, il en est une qui me semble fondamentale et que je ne vois pratiquement jamais évoquée : notre système scolaire a peu à peu négligé ce qui, pourtant, constitua longtemps une des marques de l’école publique en France : l’éducation à la citoyenneté.

Chargé de cours à l’IUFM d’Auvergne, j’ai eu notamment la responsabilité de la formation à l’éducation civique des enseignants stagiaires. Cette mission m’a conduit à me pencher sur les finalités de cet enseignement, sur ses évolutions, et sur son état actuel.

L’état actuel de cet enseignement, particulièrement à l’école primaire où s’installent les apprentissages de base, n’est pas enthousiasmant. L’arrivée brutale et tonitruante des programmes de 2008 a, semble-t-il, porté le coup de grâce. L’introduction aux connotations délibérément provocatrices de l’appellation passéiste « instruction civique et morale », en opposition avec tout ce qui avait été promu jusque-là, a largement conduit les enseignants des écoles à s’en méfier. D’ailleurs la dernière note de synthèse des inspections générales sur la mise en œuvre de la réforme de l’école primaire1 l’a constaté : cet enseignement n’apparaît qu’un peu plus d’une fois sur deux dans les emplois du temps des classes. Comment ne pas regretter que le projet de cette « instruction civique et morale » fût réduit par le Président de la République à deux images caricaturales : demander aux élèves de vouvoyer leur maître, et leur faire chanter la Marseillaise en se tenant debout. On aurait voulu définitivement dégoûter les enseignants qu’on ne s’y serait pas pris autrement ! L’affaire semble donc entendue. De plus, avec seulement 24 heures de classe par semaine, l’introduction d’une évanescente histoire des arts (apparaissant à peine dans un emploi du temps sur dix selon le rapport déjà cité), et l’absence de la moindre indication horaire pour cet enseignement, l’éducation à la citoyenneté ne se vit réellement que dans quelques passages obligés : l’attestation de première éducation routière, le brevet informatique et internet école, l’attestation « apprendre à porter secours ». Il faut reconnaître que ça et là, de manière sporadique, les plus engagés des enseignants font vivre comme ils le peuvent des Conseils d’enfants avec le mouvement coopératif. Certains participent au dispositif du Parlement des enfants, mais force est de constater que les candidatures spontanées de classes se font de moins en moins nombreuses. Même l’éducation à l’environnement et au développement durable qui avait tant mobilisé en 2005 semble en perte de vitesse depuis la rentrée 2009.

Les quelques enquêtes qui ont été faites sur la réalité de l’enseignement civique à l’école primaire montrent sans conteste la part infime de son application dans nos classes. Même les coopératives scolaires qui sont nées d’un vrai projet éducatif citoyen porté par l’OCCE ont vu se déliter leur fondement pour ne plus être trop souvent qu’un accessoire destiné à collecter et à manipuler de l’argent pour le fonctionnement des classes. Fort heureusement, depuis quelques années, l’OCCE s’évertue avec force et conviction à contrarier cette dérive qu’elle déplore.

Pourtant, le projet fondamental de l’éducation à la citoyenneté est riche d’ambition. Il est au cœur de notre société républicaine et démocratique. Les programmes de 2002 avaient remarquablement développé cet enjeu, de la maternelle au CM2, et leur préambule faisait de l’éducation civique le deuxième axe structurant des programmes à côté de la maîtrise de la langue.

Mais de quoi s’agit-il ? En fait, il s’agit d’ensemencer la citoyenneté avec deux valeurs fondatrices : l’humanisme et la raison. Cela se fait par l’expérience de situations vécues et par l’apprentissage et la compréhension de connaissances juridiques, politiques, civiques et philosophiques de base.

Cela se décline par le développement des compétences psychosociales qui composent ce que l’on appelle le « vivre ensemble » et sa déclinaison plus spécialisée qu’est le « devenir élève ». Cela passe aussi par la découverte vivante et donc vécue des structures institutionnelles de l’école (chère aux pédagogies institutionnelles de Freinet et Oury), puis de la société. Cela passe par le débat qui fait appel à la raison, au respect d’autrui et de soi-même, à la dialectique constructive ; le débat qui permet de dépasser le stade de l’opinion bornée et de confronter le vécu et la règle à la relativité et à la complexité. Cela passe par l’engagement dynamique dans des projets collectifs où la coopération se découvre et se développe pour dépasser les limites de l’individu et promouvoir la réussite de tous. Cela passe par l’acquisition des premières connaissances juridiques et politiques indispensables pour accéder à la citoyenneté libre, active et autonome. S’il est une morale à reconnaître et à promouvoir, c’est celle qui émane des grands textes fondateurs que sont les Déclarations des droits de l’Homme : celle de 1789 qui est aussi la déclaration des droits du « citoyen », celle de l’ONU, celle du Conseil de l’Europe, celle de la convention internationale des droits de l’Enfant. C’est la morale qui valorise la solidarité, le courage et l’altruisme, qui valorise l’engagement et la responsabilité de chacun pour l’épanouissement de tous.

Comment l’école peut-elle renoncer à un tel projet ? Comment pouvons-nous nous en satisfaire, nous qui sommes chargés d’animer cette école au nom de la république ? Comment pouvons-nous abdiquer alors que les enfants et les adolescents d’aujourd’hui baignent dans une société noyée sous un flot de communication commerciale dont le seul but est de flatter le culte des pulsions, de la consommation, de l’immédiateté, de l’amnésie et de l’individualisme aliénant ? Comment pouvons-nous renoncer à ensemencer la citoyenneté à l’école alors que nous assistons à son abandon progressif et inquiétant dans tous les domaines de notre démocratie ?

Elle est sans doute là notre part de responsabilité professionnelle et citoyenne. Nous devons contribuer à sensibiliser les enseignants à ces perspectives, ceux d’aujourd’hui, mais aussi et surtout ceux de demain. Nous devons les aider à mettre réellement en œuvre de manière active et dynamique cette éducation à la citoyenneté malgré les obstacles. Tout le projet initial de cet enseignement est là dans le champ des possibles : on le trouve dans le Code de l’éducation, inscrit dans la loi et les décrets, et à travers les 6e et 7e compétences du socle commun. On le trouve même en dépassant l’interprétation caricaturale et faussée qui a servi à « vendre » les programmes 2008 : l’invitation à éduquer les élèves au débat rationnel s’y trouve clairement, la coopération y est promue dès la maternelle comme la valorisation du respect d’autrui, et la référence aux maximes et adages est une porte ouverte à l’approche dialectique et philosophique adaptée à l’école élémentaire. Il faut donc savoir lire tous ces textes, il faut les mettre en relation dynamique et dépasser les conceptions étroites et bornées qui n’ont pas leur place à l’école publique. Donner du sens, de la cohérence et de l’ambition à tout cela, voilà ce qui fait défaut.

La reconquête de l’éducation à la citoyenneté, qui d’autre le fera, sinon l’école et ses acteurs ? Un beau projet, non ?

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1 Note de suivi de la réforme de l'école primaire

Rapport I.G.A.E.N.R. - Rapport conjoint IGEN - IGAENR

juillet 2010

http://www.education.gouv.fr/cid53270/note-de-suivi-de-la-reforme-de-l-ecole-primaire-juillet-2010.html

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