En tant que secrétaire général adjoint du SNPI-FSU, j'ai publié sur le site du syndicat un bilan concernant la question des réductions d'effectifs enseignants pour l'année 2011. Cette contribution au débat me semble avoir sa place ici aussi.
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Dans l’édition du Monde datée du 29 décembre 2010, les deux journalistes spécialisés Marilyne Baumard et Luc Cédelle consacrent chacun un article à la question des suppressions de postes engagées pour 2011 dans le système de l’enseignement public. L’intérêt de leur contribution consiste dans leur volonté de clarifier des chiffres complexes à manipuler, y compris pour les techniciens et les spécialistes.
On sait que le budget voté par le Parlement dans le programme enseignement scolaire pour l’enseignement public prévoit la suppression de 8 967 postes dans le premier degré (maternelle et élémentaire) et de 4 800 dans le second degré (collège et lycées). Ces postes sont évidemment des équivalents temps plein, et non des individus.
On sait aussi que la commission des finances du Sénat a récemment rendu un rapport qui montrait que 20 359 postes avaient été retrouvés dans les comptes, postes ignorés jusque-là dans les recensements publics.
Cette information n’a pas fini de surprendre beaucoup de monde, aussi bien dans l’opinion publique que chez les acteurs. Comment fallait-il la comprendre ? Comment ce phénomène était-il possible ? Que fallait-il faire à partir de ces postes retrouvés ? Annulent-ils les suppressions votées par le Parlement et provoquent-ils au contraire un solde positif de 6 592 postes pour l’année 2011 ?
Comme l’indique clairement Luc Cédelle, fin connaisseur du système et d’une honnêteté intellectuelle que peu de ses contradicteurs ont su mettre en défaut, la réponse à la dernière question est claire : ces postes retrouvés dans les statistiques ne sont pas des créations, mais bien des postes réels et financés ; ils n’annulent donc en rien les près de 16 000 emplois dont les supports budgétaires sont supprimés pour 2011. D’ailleurs, le gouvernement n’a même pas cherché à jouer sur cette illusion comptable élémentaire.
Quant aux explications concernant cette détonnante découverte de plus de 20 000 postes, si elles demeurent confuses et difficiles à cerner, elles n’en demeurent pas moins identifiables. Elles sont multiples.
En premier lieu, il est un fait que l’utilisation effective des emplois fonctionne en année scolaire alors que le décompte des emplois s’effectue en année civile, au premier janvier. D’autre part, le budget fonctionne lui aussi en année civile, mais est bien obligé de tenir compte du fait qu’au premier janvier, il faut permettre aux emplois engagés à la rentrée de septembre précédent de fonctionner jusqu’au 31 août suivant.
À cela, on doit rajouter l’extraordinaire complexité des emplois dans notre organisation, qui va croissante avec les échelons d’enseignement (la nomenclature constitue un casse-tête redoutable pour les services chargés de les inscrire dans le logiciel comptable du ministère). Il faut comprendre que si sur le plan intellectuel, on distingue bien les emplois des employés, dans les faits cette distinction ne va pas forcément de soi, car il faut bien faire fonctionner les postes et tenir compte des personnes. Par exemple, alors que l’enseignement se féminise à l’extrême, on assiste à un accroissement notable des services à temps partiel de droit ou de convenance, ce qui multiplie les services partagés sur plusieurs établissements pour les enseignants qui assurent les compléments de leurs collègues à temps partiel.
Enfin, comme dans tout secteur d’emploi, il y a des départs définitifs (décès, retraites, démissions) ou temporaires (congés parentaux, maladies longues, détachements) tout au long de l’année sans que l’on puisse les contrôler en amont. Les tensions récurrentes concernant les régimes de retraite ont conduit jusqu’à maintenant des milliers d'enseignants à différer sur plusieurs années leur départ au-delà de l’âge légal de droit à pension, déjouant ainsi les projections élémentaires de carrières.
Au bout du compte, on ne peut s’étonner que la complexité de cette situation chez le plus grand employeur de France provoque des hésitations comptables sur la durée. Dès lors, des mises au point périodiques concrétisent ce phénomène comme on vient de le voir avec ces 20 000 postes (sur plus de 850 000, soit 2,3 %). Il n’y a rien de franchement scandaleux dans un secteur professionnel qui fonctionne d’abord avec des êtres humains que l’on ne peut concrètement réduire à des chiffres et à des indicateurs.
Reste la question des emplois réellement supprimés pour 2011. C’était l’objet du CTPMEN du 21 décembre (comité technique paritaire ministériel de l’éducation nationale) auquel le ministère présentait ses choix de répartition par académie.
Avant tout, il faut comprendre que ces emplois ne seront concrètement supprimés qu’à compter du 1er septembre 2011.
Quand on additionne les chiffres des suppressions présentés par académie pour le premier degré, on s’étonne de constater qu’ils ne correspondent pas, et de loin, avec les chiffres des suppressions votés par le Parlement. Comment peut-on l’expliquer ? Le décompte du tableau présente 3 367 suppressions et non 8 967. Le ministère, sensible aux protestations des syndicats enseignants, aurait-il décidé de ne pas supprimer 5 600 des 8 967 emplois rayés du budget 2011 par le Parlement ? La réponse est assurément négative : le gouvernement doit s’en tenir au budget voté, surtout dans un domaine où il a bataillé ferme pour tenir son credo principal du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. En fait, ces 5 600 postes correspondent à l’effacement automatique des emplois réels en surnombre de cette année scolaire. Mais d’où viennent ces surnombres ? En partie des départs à la retraite différés par des enseignants qui auraient pu partir et qui ont préféré poursuivre leur carrière, mais aussi, et surtout, du fait qu’en modifiant le recrutement et la formation des enseignants, cette année scolaire a vu débarquer sur les postes deux promotions de néo-enseignants : ceux de l’ancien système, et ceux du nouveau système. Presque tous ces emplois ont été affectés à des postes réels et nécessaires pour faire fonctionner le système (par exemple, le jour de décharge hebdomadaire des directeurs d’école de 4 classes, jusque-là assuré par des stagiaires de l’IUFM en 2e année de formation après leur succès au concours de recrutement). Ces postes ne seront donc pas reconduits. Concrètement, cela s’accompagne de l’extrême diminution des postes offerts cette année au concours de recrutement des professeurs des écoles.
À la lecture des toutes premières réactions des abonnés du Monde.fr à l’article de Marilyne Baumard, une thématique revient, qui nourrit par ailleurs chez ces lecteurs-là l’expression de la détestation des fonctionnaires et des enseignants : le chiffre de 16 000 suppressions d’emplois est ridiculement faible au regard des plus de 850 000 emplois enseignants actuels. Ils ne comprennent pas qu’on en fasse un fromage et portent les réactions des syndicats au crédit d’un corporatisme indécent et outrancier. Du côté de la direction générale des ressources humaines du ministère, on avance que cette opération de suppression n’est qu’un processus normal de bonne gestion qui vise simplement à résorber les emplois surnuméraires.
Que peut-on en penser ?
En premier lieu, il est un fait que la suppression répond d’abord et avant tout du point de vue fonctionnel à un dogme politique fort depuis 2007 : ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite afin de diminuer le nombre de fonctionnaires et de désengager l’État du poids de leurs traitements et de leurs pensions. Toute autre explication arrive en second plan, même si on doit aussi les prendre en compte. Qu’elle soit opportuniste, comme celle qui est avancée par la DGRH avec la résorption des surnombres, ou qu’elle soit politique, comme la crainte exprimée par la plupart des syndicats enseignants qui dénoncent une volonté idéologique délibérée du gouvernement de réduire l’école publique en France.
En second lieu, dans cette opération budgétaire, les intérêts pédagogiques ne sont à l’évidence pas pris en considération.
Ce qui est sûr aussi, c’est que cette réduction des postes succède à une longue série. Comme le rappelle Marilyne Baumard, nous en sommes à un total de 66 000 suppressions depuis 2007. Si l’on remonte à 2005, comme le rappelait La Dépêche le 4 octobre dernier, nous en sommes à 70 500 suppressions en 7 années budgétaires.
Sur la même période, le nombre d’élèves est passé de 10 084 800 élèves du primaire et du secondaire publics à la rentrée 2005 à 10 199 792 élèves à la rentrée 2010, et une prévision pour 2011 de près de 10 290 000 élèves. Sur cette période, l’école publique connaîtra donc une hausse de près de 172 400 élèves avec 70 500 enseignants en moins (tous ces chiffres sont officiels et émanent du ministère, soit dans la publication RERS, soit dans les documents présentés au CTPMEN de décembre). Le ministère peut bien prédire que la démographie qui suivra verra une baisse du nombre d’élèves, il n’en demeure pas moins que le budget qui s’annonce est caractérisé par un bilan négatif sur le seul plan des effectifs publics, et cela dans une suite continue depuis l’adoption de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.
Autre réalité à prendre en considération, jusqu’à maintenant la majorité des suppressions s’est effectuée en éliminant des postes qui n’étaient pas placés directement devant des élèves. C’est ainsi, en l’occurrence, que le ministre Darcos a supprimé la formation des enseignants en IUFM pour économiser sur les temps de stage en IUFM, soit 2/3 d’équivalents temps plein et qu’il a rayé d’un trait de plume 1/3 des postes des réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (Rased du premier degré) et l’immense majorité des postes d’enseignants titulaires remplaçants dans le second degré. Or, il ne reste plus vraiment de « niches » de ce genre à exploiter. C’est aussi pour cela que le ministère a demandé aux recteurs de faire un travail d’orfèvre en identifiant localement des gisements d’efficience (pour reprendre cette très cynique expression technocratique). On notera, de plus, que dans le second degré, compte tenu des promesses du gouvernement concernant le maintien des moyens au lycée pour la réforme qui y commence, c’est le collège qui subira la majeure partie des suppressions d’emplois.
Dès lors, les syndicats enseignants ont raison de prédire que la prochaine vague de suppression va forcément se traduire par des hausses sensibles du nombre d’élèves par classe, aussi bien dans le primaire que dans second degré. À cette prédiction, le ministère rétorque que le taux moyen national n’est pas si élevé (23,53 dans le premier degré et 24 dans le second degré à la rentrée 2010) et que rajouter quelques dixièmes de points ou même quelques points à ce taux ne bouleversera pas les conditions pédagogiques. Si le taux moyen national d’élèves par classe n’est pas très élevé en soi, c’est aussi parce que la répartition de nos établissements comporte un nombre très important de petites structures en milieu rural pour lesquelles les taux d’élèves par classe sont très faibles, sauf à supprimer ces structures et accepter politiquement l’existence de «déserts» scolaires partout en France. Dans le second degré, on doit aussi rajouter l’existence de petites spécialités ou options qui ont leur importance dans la carte des orientations, mais qui localement regroupent peu d’élèves dans les divisions.
Au final, la rentrée 2011 va se préparer dès janvier dans un climat politique et social tendu, marqué par un certain désabusement et des ressentiments cuisants relatifs à trois ans de réformes contestées. On peut prévoir que les conditions pédagogiques en termes de nombre moyen d’élèves par classe (ou par division dans le second degré) seront singulièrement dégradées sur de nombreux secteurs jusque-là épargnés, tandis que les secteurs déjà en grande tension seront encore sollicités. De même, on peut s’attendre à ce que les moyens annexes, qui donnent de l’oxygène pédagogique aux classes (par exemple, les titulaires remplaçants, les Rased) seront encore ponctionnés. L’ensemble constitue un cocktail délétère. Ne pas s’en préoccuper, c’est se réfugier dans le déni de réalité. Une question s’installe dans tous les esprits des acteurs et observateurs de notre système scolaire tant critiqué : en quoi tout cela va-t-il améliorer la qualité des apprentissages des élèves les plus faibles dont la proportion au terme de la scolarité obligatoire augmente depuis 10 ans ? En quoi cela va-t-il redresser la situation de la France à moyen terme ? Où sont les résultats de la politique éducative mise en place depuis 2005 ?
Dominique Momiron
secrétaire général adjoint du SNPI-FSU