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Billet de blog 4 octobre 2024

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Le gouvernement Barnier, un déni de démocratie ? En sommes-nous si sûrs ?

La nomination d'un premier ministre n'appartenant pas au groupe politique arrivé en tête des élections, est, en fait, juste la fin d'une illusion, d'une supercherie.

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Le gouvernement Barnier, un déni de démocratie ?

Pour affirmer ça, il faut que nous réduisions la démocratie à l'élection, que nous l'assimilions au processus électoral. Ce qui est en avoir une bien piètre opinion. Dans le monde qui est le nôtre, le pouvoir n'est pas dans les institutions de la République. Il est là où est l'argent, un univers où grenouillent de bien sinistres personnages avides, thésaurisant sans fin, inaptes au bonheur. Des boit sans soif.

Le pouvoir ce n'est pas seulement le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Cette trilogie multiséculaire omet – volontairement ? – le pouvoir économique.

Le salariat et son "insoutenable subordination[1]" nous réduisent toutes et toutes à des positions subalternes. Aucun citoyen ne devrait l'admettre. En réalité, en entrant sur notre lieu de travail, nous abandonnons cette qualification à la citoyenneté. Nos bleus, nos costards, sont autant de signes d'allégeance. Dès lors que nous dépendons de façon absolue d'un autre que soi pour subvenir à nos besoins les plus essentiels, nous ne sommes plus des citoyens. Et comme, globalement, nous passons une très importante partie de notre vie au travail, c’est-à-dire dans cette position de subordination non citoyenne, il est bien évident que la société dans laquelle nous vivons ne peut rien avoir de démocratique.

Si la réflexion sur ce sujet n'est pas nouvelle[2], il semble que la gauche ne s'en saisisse pas pleinement. Nos manifestations ne portent pas ce registre de revendications. On préfère, malheureusement, parler de "pouvoir d'achat". Une revendication en réalité très conservatrice puisqu'elle entérine et la relation de subordination et le consumérisme[3].

La nomination d'un premier ministre n'appartenant pas au groupe politique arrivé en tête des élections, est, en fait, juste la fin d'une illusion, d'une supercherie. En réalité, la formation de ce gouvernement répond bien à la demande de clarification exprimée par Emmanuel Macron au moment de la dissolution.

La France faisait encore un peu de politique, c'est terminé ! La prise de pouvoir de l'économie, du Marché est enfin totale, y compris dans nos esprits qui n'ont plus rien d'éclairés. La mathématique, l'équation ont détrôné la philosophie et les sciences humaines. Philosophie et sciences humaines qui sont pourtant la base de la réflexion politique. La propagande méthodique faite par le néolibéralisme nous a enfermé-e-s dans ce monde stérile des nombres[4], de la mathématique et de l'économie.

Cette nomination c'est l'achèvement d'un processus méthodique de transformation de la République en "Start-up". Soit la réalisation du programme de campagne d'Emmanuel Macron en 2017 ("Think and act as a startup nation").

Et dans ce monde, la modernité et ses promesses d'émancipation n'ont pas de sens. Le vivant n'a pas de sens. On va le caractériser par une masse, un patrimoine, n'importe quoi de mesurable. N'importe quel nombre qu'on pourra mettre en équation. Dès lors, le vivant perd ce qui est sa nature même, son essence. C’est-à-dire un ensemble relationnel qui n'existe que par et pour les liens qu'il tisse.

Le capitalisme s'est construit sur cette cécité au vivant, dans la retraite monacale[5], par la brutalité exercée sur lui. Il est aujourd'hui incapable de payer les pots cassés

Les obsessions de l'extrême droite, ultime (?) avatar du capitalisme sont liées aux conséquences auxquelles, jusqu'alors, on avait toujours échappé : les migrations qu'elle vomit, l'effondrement du vivant, le chaos climatique qu'elle nie. La gauche écologique et sociale, est son cauchemar, car elle la met en face de la réalité. La réalité dans toute sa laideur et sa dangerosité. Face à sa responsabilité.

S'il était doté d'une pensée, le capitalisme constaterait l'aporie entre ce qu'il considère relever de lois naturelles et le résultat désastreux de ces prétendues lois sur la nature. Mais le capitalisme, justement parce qu'il croit en l'existence de telles lois, n'a pas de pensée. Il persiste donc, quitte à utiliser les méthodes les plus brutales.

Voilà me semble-t-il où nous en sommes.

Quant au comment nous en sortir, le NFP en tant que coalition, politique, syndicale, associative et citoyenne est la bonne voie. Chacun-e venant avec ses analyses et ses méthodes de lutte et/ou de négociation. Le pouvoir économico-politique doit se sentir harcelé, cerné, contesté sans cesse, pas seulement à l'occasion d'une manifestation aussi massive serait-elle. Pas seulement dans une interview télévisée aussi punchi soit-elle. Ne nous contentons pas du registre classique de la contestation dont on a vu, à l'occasion de la bataille des retraites que le pouvoir ne s'en préoccupe pas. Notre mobilisation doit être multiforme. Elle doit faire rhizome comme l'évoquaient déjà Deleuze et Guattari. Oublions l'idée d'hégémonie culturelle qui sous-entend une unanimité, une autre subordination. Cohabitons, co-décidons. 

Nous avons tout à bâtir : faisons le.

[1] Danièle Linhart : l'insoutenable subordination du salariat.

[2] " (…) si la sphère du politique a connu un mouvement de démocratisation au cours des XVIIIe et XIXe siècles avec la fin des régimes absolutistes et l’élargissement progressif du droit de vote, la sphère économique y a échappé. Dans l’entreprise, le pouvoir souverain du capital (et de ses propriétaires) continue à s’exercer pleinement. En dépit de la conquête de droits spécifiques, les travailleurs délaissent leur statut de citoyen une fois passées les portes de l’entreprise : dans le cadre de leur contrat de travail, ils se voient contraints d’accepter une relation de subordination à leur employeur." (Le Monde diplomatique : Manuel d'économie critique, pourquoi la démocratie s'arrête aux portes de l'entreprise.

[3] Je suis conscient de la difficulté qu'il y a à écrire cela quand les bénéficiaires de l'aide alimentaire sont de plus en plus nombreux-ses. Ça mériterait un long développement. Je pense juste qu'il faut séparer ce qui relève de la plus élémentaire solidarité, voire de la Sécurité Sociale de l'Alimentation, du logement, de l'énergie, etc. et ce qui relève du salaire.

[4] Alain Supiot : la gouvernance par les nombres.

[5] « Dans le silence des monastères, dans la pénombre des manufactures et derrière les fumées des usines, [cette religion laïque de nature scientifico-industrielle et économique] s'est développée jusqu'à advenir, aujourd'hui, en pleine lumière à l'heure du triomphe de l'Entreprise et du Management. » Pierre Musso : la religion industrielle. Monastère, manufactures, usine, une généalogie de l'entreprise. P. 46.

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