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Billet de blog 8 mai 2023

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La démocratie n'est pas un état, elle est un processus

Ce billet est une réaction à celui de Philippe Corcuff : « La diabolisation de Macron comme contribution involontaire à l’extrême droitisation ». Ce n'est pas un « billet contre », mais il à pour ambition de poursuivre la réflexion en y apportant quelques contre-arguments à mes yeux nécessaires.

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Je n'arrive pas à être convaincu par l'argumentaire (lire le billet ici).

Bien sûr que les méthodes brutales de Macron, l'omniprésence du ministre de l'intérieur et de ses troupes radicalisées, le refus systématique de la discussion ne font pas du régime actuel un retour de Mussolini et de ses chemises brunes. Néanmoins, ce qui est en train de se passer sous nos yeux, c'est tout de même autre chose qu'un simple débat démocratique, une dispute en justice. L'usage des "véhicules" constitutionnels en "convoi", 47-1, 49-3, n'est pas un "coup d'État", c'est pourtant pour le moins un coup de force. À quel endroit avons-nous, nous citoyens, un quelconque pouvoir de faire entendre notre point de vue ? Où avons-nous la possibilité de faire valoir ce point de vue ?

Les attaques incessantes, méthodiques contre la démocratie sociale, si elles ne datent pas d'Emmanuel Macron, celui-ci les a amenées à une sorte d'acmé. La réforme El Komri suivie des ordonnances Macron, la transformation des Comités d'Entreprise en chambres d'enregistrement, celle des élus du personnel en interlocuteurs uniques et quasi permanents des Directions des "Ressources Humaines", la disparition des CHSCT, ayant une personnalité juridique, au profit de simples commissions, tout cela a sapé une des bases de notre démocratie.

Le saccage, là encore systématique, des services publics, la digitalisation de l'hôpital, de l'école – voir à ce sujet le projet de "réforme" de l'enseignement professionnel que Emmanuel Macron ose présenter en ce moment-, de l'énergie, des transports, de la Poste, (liste non exhaustive) est, lui aussi, une attaque sans précédent contre ce que nous avons patiemment et démocratiquement construit au cours des décennies et, plus particulièrement, dans l'immédiate après-guerre. Tout cela sape un autre pilier de notre démocratie.

L'ignominie constante que nous inflige le spectacle des médias. La façon dont quelques éditocrates maltraitent les opposants de gauche, la condescendance avec laquelle nos idées sont traitées. Le tout en utilisant, comme le fait très justement remarquer Edwy Pleinel, un bien public que sont les fréquences de la TNT.  Encore un pilier effondré.

Les médiocres penseurs nous tirent vers le bas. Les Alain Minc, les Jacques Attali, les Dominique Seux, les Jean-Marc Daniel[1]. Je dis penseurs, je suis charitable. En réalité ces tristes messieurs – il n'y a pas vraiment de parité dans leurs rangs malgré la présence notable d'Agnès Verdier-Molinié – ratiocinent les mêmes âneries depuis tant de lustres que c'en est devenu un mantra. C'est l'effet de meute qui nous fait rentrer cette propagande dans le crâne. Nous avons admis, intériorisé une partie de leurs dogmes. La pensée mise au service d'une idéologie, est-ce vraiment encore de la démocratie ?

Alors que reste-t-il de notre démocratie ? Quelques élections auxquelles ne participent plus guère que la moitié des citoyens. Et encore, l'élection n'est-elle pas vraiment de la démocratie, mais relève plutôt du fait religieux. Des exécutifs, locaux comme nationaux, qui fonctionnent à la façon des Conseils d'Administrations d'Entreprise. Des "consultations citoyennes" sur des sujets majeurs qui ne durent que quelques semaines et encore, sur internet. Que reste-t-il ?

Si, les mots ont un sens, et si on ne doit pas parler de fascisme pour désigner la situation politique dans laquelle se trouve notre pays, du moins ne devons-nous plus pouvoir parler sérieusement de démocratie.

L'ordre néolibéral réduit les organisations humaines à des organisations de la production. Leur modèle absolu, indépassable, c'est l'Entreprise. Elle-même, dans ses structures, relève à la fois, là encore, du fait religieux (des ordres monastiques nés vers le XIème siècle, en particulier les Cisterciens qui ont fait du travail une vertu cardinale) et de l'ordre militaire avec sa hiérarchie pyramidale, dont la relation de subordination est la meilleure illustration[2].

Jusqu'à il y a peu, cette organisation socio-économique, cette vision utilitariste du monde pouvait faire illusion, ses défauts passer pour de simples paramètres à corriger. Dans le dernier siècle, le compromis fordiste ou le keynésianisme, entre autres, satisfaisaient à la fois les capitalistes et les prolétaires. Partiellement, imparfaitement certes, mais on parvenait à se supporter, à cohabiter. Des inepties conceptuelles, comme l'appropriation des moyens de production par le "patronat" - d'où découle la subordination des salariés - trouvaient parfaitement leur place dans les compromis sociaux-démocrates. La démocratie, même réduite à la représentation, jouait son rôle, celui d'apaiser les tensions. Elle instaurait un modus vivendi[3]. La sentence churchillienne était dans tous les esprits : la démocratie, le pire des régimes, bla-bla-bla.

Mais à la fin du siècle dernier, deux événements allaient bousculer ce compromis.

À l'acceptation de la nécessité de discuter, négocier, des salaires, des conditions de travail, (à peu près tout sauf les objectifs et la stratégie de l'entreprise, apanage des grands timoniers) à cette acceptation allait succéder le syndrome TINA[4], le coup de force théorique et politique des néolibéraux – Friedmann, Hayek, … - exécuté dans le monde anglo-saxon. Par définition, s'il n'y a pas d'alternative, il n'y a pas de démocratie. L'autre événement, c'est la mise en évidence de ce que nos productions étaient absolument mortifères, qu'elles ne sont ni le Progrès, ni l'avenir. La prise de conscience de ce que notre modèle de "création de valeur" est en réalité une immense machine à détruire de la valeur et du vivant, cette prise de conscience, encore partielle, décrédibilise les discours qui justifient ce modèle.  

 Si nous en sommes réduits à vociférer contre des symboles, c'est que nous sommes privés de nos moyens d'action démocratique. C'est aussi que ce que nous devons combattre, c'est ce que nous avons soutenu (accepté) précédemment. La démocratie représentative, seule et ultime planche de salut pour nos "élites", est en réalité tout sauf une démocratie. Le moment du vote et le moment ou "nous renonçons collectivement à exercer le pouvoir"[5].

Pourtant, cette planche, ils s'y accrochent et (ab)usent de la police pour s'y maintenir.

Au fil du temps, se sont mis en place des instruments légaux visant à anticiper ce moment de bascule, ce moment où les citoyens ne s'y retrouvent plus. Les forces de progrès ont été abusées. Elles se sont abusées elles-mêmes peut-être. La critique de la Vème république, celle de l'intégration des mesures de l'état d'urgence dans la loi ordinaire, celle de la contrainte sur les associations[6], toutes ces critiques ont toujours eu comme argument qu'elles seraient dangereuses en cas d'accès de l'extrême droite au pouvoir[7]. Alors qu'en réalité, elles sont dangereuses en soi.

Et c'est là qu'Emmanuel Macron se prenant pour ce qu'il n'est pas, à savoir un fin politique, devient devant nos yeux l'emblème de ce à quoi nous voulons échapper. L'enfilade d'absolument tous les moyens pour tordre le bras à la démocratie sous toutes ses formes, c'est leur hubris à lui et à son monde. Et la démocratie est là, justement, pour tempérer nos hubris. La Bastille elle aussi n'était-elle pas le symbole d'un hubris royal ?

Bien sûr les symboles ont leurs limites. Brûler des effigies ne suffira pas[8]. Nous devons recréer des espaces de débat, de démocratie. Nous devons reprendre nos affaires en main. À cette heure rien ne peut nous empêcher de la faire. Parlons, préparons la riposte intellectuelle et politique. Sans ça, nous ne reprendrons pas le pouvoir. Et si nous ne le reprenons pas très vite, s'en sera fini pour longtemps de la parenthèse démocratique née avec la fin de l'ancien régime. avec ou sans l'extrême droite.

N'oublions jamais que la démocratie n'est pas un état, elle est un processus.

[1] Lire l'article d'ACRIMED en 2012 : Ces économistes qui monopolisent (toujours) les débats.

[2] Lire à ce sujet, Pierre Musso : La religion industrielle. Monastère, manufacture, usine. Une généalogie de l'entreprise

[3] Tout cela composait une "cité", un "monde" au sens de Boltanski et Thévenot. Marc Jacquemain : Les cités et les mondes de Luc Boltanski. Voir aussi Boltanski et Chiapello : Le nouvel esprit du capitalisme.

[4] TINA : There Is No Alternative. Il n'y a pas d'alternative

[5] Christophe Pebarte et Barbara Stiegler, Démocratie et libéralisme autoritairehttps://www.youtube.com/watch?v=6NP_ec0Dgm8.

[6] Ce qui reste(ra) toujours de l’urgence. Recherche effectuée par le CREDOF dans le cadre de la convention de recherche signée avec le Défenseur des droits. https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=17814.

[7] En répétant des phrases comme "imaginez ce que cette loi pourrait avoir pour conséquences si Marine Le Pen arrivait au pouvoir", on a participé malgré nous à la propagande de l'extrême droite et à son inclusion dans la République.

[8] Même si, on le voit ça hystérise totalement la presse bourgeoise, qu'elle considère ça comme une violence inacceptable !

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