C'est un superbe manifeste. Un doigt d'honneur brandi à la face de ceux qui "ne sont grands que parce que nous sommes à genoux". Ne battons pas nous-même le tam-tam réactionnaire. N'ajoutons pas nous-même à la confusion. Ils et elles sont bien assez nombreux qui sont là, à se lécher les babines à la moindre anicroche : "alors, cette fois c'est la fin de l'union ? " espèrent-ils jours après jours sur leur médiocre scène médiatique.
Notre réussite en juillet dernier les a surpris. Nous leur avons volé ce qui devait être enfin leur victoire. Le retour de l'éternelle alliance du libéralisme économique et de la répression dont on les a privés depuis si longtemps.
Ils disent de notre alliance qu'elle est "contre nature". Ils osent le dire alors qu'eux même ne sont que de bric et de broc.
À l'extrême droite se côtoient à la fois des catholiques intégristes et des néopaïens ; des royalistes et des nationalistes révolutionnaires. Bien d'autres encore[1]. C'est sur ce coin que nous devons taper et taper encore. Quand l'extrême droite est devenue rassemblement au lieu de front, c'est cette hétérogénéité fondamentale qu'elle a voulu masquer. Ce ne sont pas des composantes complémentaires, elles ne forment pas un tout. Leurs projets, leurs agendas sont différents. Pour le moment elle nous montre une face victorieuse, lisse. Toutes et tous unis derrière la cheffe. L'argent coule à flot dans leurs caisses. Leur discours est bien martelé. Ne nous laissons pas abuser pour autant[2].
La macronie, elle, est en pleine déliquescence. Elle cherche désespérément des soutiens du côté de la droite plus "classique". Ce sont, là aussi, des unions bancales comme la France en a connu tout au long des épisodes révolutionnaires. Emmanuel Macron, sans le sous-estimer, n'est pas un nouveau Louis Napoléon. S'il en partage en partie la philosophie, - en gros, la démocratie est un obstacle à la vision qu'il a de la modernisation -, je ne pense pas qu'il soit capable d'aller jusqu'au bout de la prise de pouvoir. Le premier ne s'était pas aliéné les trois quarts de la population avant le 2 décembre. Il semble qu'il était même plutôt populaire. Il avait battu la campagne.
La droite "gaulliste" n'a aucun intérêt à s'embarquer trop loin dans la galère macroniste au milieu de la bande d'affairistes qui la compose. Sa participation aux derniers gouvernements est plus une façon de repénétrer les administrations et d'y renforcer les relais qu'elle y a déjà.
Posons-nous la question de savoir ce qu'Olivier Marleix par exemple a à dire à Emmanuel Macron, Alexis Kohler ou à Guillaume Kasbarian ! Quels objectifs communs peuvent-ils bien avoir ?[3]
Ils ont les millions et espèrent bien les conserver.
Et nous, qui sommes nous ?
Des millions d'hommes et de femmes. Certain-e-s rêvant d'un grand soir, d'autres plus simplement de pouvoir "terminer le mois". Certain-e-s brandissant des pancartes, d'autres, prudent-e-s, baissant la tête. Belles, beaux, mal fichus, cabossé-e-s. Pas des carpes, pas des lapins. Des gens ordinaires. Toutes et tous passé-e-s par le filtre de "l'école du tri social".
Nous bricolons nos solidarités parce qu'elles sont nos fortunes. On les rafistole au fur et à mesure que la bourgeoisie les abime, qu'elle veut nous en priver.
Nous sommes des millions et nous regardons avec tristesse des millions d'entre nous prendre des chemins où ils n'ont rien à faire. Des sentiers pleins de griffes et de crocs. Par fatalisme, par accumulations de rêves brisés. À cause de petites ou grandes humiliations quotidiennes ; au travail, face à un jeune carnassier faisant fonction de chef ; au grand magasin devant les trucs hors de prix que les réclames vous font trouver nécessaires ; chez soi face à la chaudière ou la voiture qu'il faut remplacer[4]. L'extrême droite est là pour les tricoter ces mécontentements, en faire un pull bien chaud.
C'est pourquoi Michel Feher nous invite à bien voir l'attrait qu'elle exerce en nous scindant entre "producteurs et parasites"[5]. Il montre comment on nous a désigné une cause facile (donc factice) à tous nos problèmes et comment, cette cause identifiée, nous nous solidarisons de ceux (et éventuellement de celles) qui véritablement nous pourrissent l'existence.
Enfin, nous ne nous reconnaissons plus que moyennement dans des représentant-e-s, toutes et tous sélectionné-e-s pour leur capacité à maintenir des "structures dans leur être". Ces structures, partisanes, syndicales sont le lieu où l'on peut devenir plus ou moins aisément le primus inter pares. De plus en plus primus, de moins en moins pares !
Toutes aujourd'hui affaiblies, sur la défensive, elles se recroquevillent dans une sorte d'identitarisme excluantes plutôt qu'enclines à tisser des liens. Un groupe qui n'a pas de doute sur sa solidité ne voit pas les autres comme des adversaires dangereux.
Nous qui sommes des millions, nous voilà donc émiettés dans des ilots d'où parlent pour nous des hommes et des femmes seigneurs dans leurs forteresses.
Les structures partisanes ont été fondamentales à une époque.
Quand la société d'ordres disparaissant, nous laissaient sans trop de repères sociaux. Quand la société mécaniste envahissait nos quotidiens réduisant tout à des nombres. Les partis ont été des outils pour construire des compréhensions et donc des luttes.
Mais les préoccupations institutionnelles assagissent et embourgeoisent les partis. Les structures commencent à s'envisager comme plus importantes que les idées. La centralité des institutions à déteint sur eux. Ils se professionnalisent nous laissant peu à peu sur le côté. Quantité négligeable. Les tacticiens et les communicants prennent le pouvoir. Tout cela ronronne dans une République "pacifiée".
Alors que la politique, notre politique, elle, est faite de petits riens si importants. Nous devons réinventer les partis.
Ce qu'il se passe depuis la dissolution décrétée par Emmanuel Macron en juin dernier n'est rien que la lente agonie d'une république avec tout ce qui la compose. Le spectacle institutionnel est impuissant à agir. On le regarde de loin tenter de maintenir une structure en cours d'effondrement. Une de plus. Comme si l'effondrement du vivant entrainait tout avec lui.
Si l'existence même du Nouveau Front Populaire a été rendue possible grâce à la pression exercée par des citoyen-ne-s devant le siège des Écologistes, sa persistance dépend d'une mobilisation comparable. Dans tous les territoires nous avons à nous organiser, nous visibiliser, de telle manière que les "responsables" politiques comprennent qu'ils ont des comptes à nous rendre, des avis à nous demander.
Le Nouveau Front Populaire, n'est pas un quarteron de chefs de partis.
Celles et ceux qui négocient, comme celles et ceux qui ne négocient pas le font-ils en notre nom ? Qu'elle force ont-ils s'ils ne s'appuient pas sur nous ? A les voir aller en cortège rencontrer tel ou tel, ou bien à s'offusquer qu'on y aille, on croit voir des lapins dans les phares de la République et de ses ors.
Je pense que le Nouveau Front Populaire constitue une structure bien plus large, une métastructure, un outil politique nouveau, une ébauche de VIème République, j'oserais même dire de démocratie.
Des groupes locaux se créent un peu partout dans le pays. Ils portent des revendications, ils débattent, ils s'engueulent parfois. Loin des stratégies institutionnelles que la télévision et les réseaux "sociaux" relaient. Nous sommes ces millions que les partis doivent considérer, voir, écouter.
Nous avons une démocratie délibérative à construire.
Continuons à nous organiser, rendons-nous incontournables.
Ces millions que nous sommes, ils ne comptent pas pour rien.
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P.S. : ce qui vient de se jouer hier à l'Assemblée Nationale et le psychodrame qui en découle sur les réseaux, rend ce billet plus urgent encore. Ne nous laissons pas déposséder de notre unité, de notre volonté commune d'empêcher l'extrême droite et le climato-scepticisme gagner. Les partis ont une obligation de résultats. Leurs rivalités sont délétères.
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[1] "On ne préside pas un mouvement où cohabitent des catholiques intégristes, des néo-païens, des corporatistes et des ultralibéraux sans changer régulièrement de braquet." (Michaël Fœssel, Etienne Ollion : une étrange victoire. P. 28)
[2] À la mort de Jean-Marie Le Pen, les médias ont euphémisé de façon pornographique la vie de cet homme, ses idées fétides, ses condamnations, les alliances qu'il a faite pour constituer l'extrême droite française : https://www.youtube.com/watch?v=CAw71DMgGd8
[3] On se rappellera la commission d'enquête consacrée à la vente d'Alstom et de la remise du rapport au président de l'assemblée nationale : https://www2.assemblee-nationale.fr/15/autres-commissions/commissions-d-enquete-de-la-xv-eme-legislature/commission-d-enquete-sur-les-decisions-de-l-etat-en-matiere-de-politique-industrielle-notamment-dans-les-cas-d-alstom-d-alcatel-et-de-stx/(block)/45783
[4] "Le ressentiment est souvent cité comme un des motifs principaux du vote en faveur de l'extrême droite. Si l'on excepte de ce vote la part (minoritaire) d'individus motivés exclusivement par des considérations nationalistes, il reste la masse des petits, des sans-grades censés avoir converti les humiliations qu'ils subissent en revendications identitaires." Michaël Fœssel, Etienne Ollion : une étrange victoire. L'extrême droite contre la politique. P. 115.
[5] Michel Feher : producteurs et parasites. L'imaginaire si désirable du Rassemblement National.