« Comment allez-vous demander aux Français du jour au lendemain de ne plus rouler en voiture, de ne plus se chauffer au fioul ? Mais je ne vais pas rentrer dans ce débat. Vous avez un milliard de façons de vous exprimer et c’est la facilité que vous choisissez avec un délit de droit commun en vous en prenant au bien de la BNP. Détruire le bien d’autrui, c’est violent. »
Voilà comment s'exprime l'avocate de la BNP au procès à Dijon de quelques militants d'Extinction Rébellion[1].
Cette plaidoirie mérite qu'on s'y arrête parce qu'elle est symptomatique de l'incompréhension des enjeux auxquels nous devons faire face. L'avocate est moins que cinquantenaire semble-t-il. Elle peut donc être née dans les années soixante-dix du siècle dernier. Elle aura de ce fait, comme tous ses contemporains, entendu, dès son plus jeune âge, les alertes lancées par des militants écologistes de la première heure. Elle n'a pas l'excuse de ses ainés qui, dans les années cinquante, toujours du siècle précédent, ont été élevés au doux babil des camelots vantant les vertus émancipatrices de l'ouvre-boite électrique. Les limites de ce modèle étaient déjà connues.
Alors, ne disons pas comme elle le fait qu'on va demander des changements "du jour au lendemain". Cela fait cinquante ans, voire plus, qu'on le répète. Qu'on tente de convaincre. Faut-il faire une bibliographie de la littérature écologiste des années 70 ? Ce serait un peu fastidieux. Mais 20 & 21, revue d'histoire nous en dresse un petit bilan[2]. Si l'article insiste plus particulièrement sur le rôle joué par Les Amis de la Terre, ceux-ci n'étaient pas seuls. C'est un foisonnement d'associations, de collectifs, qui surgit dans l'arène politique. Plus encore peut-être, dans la sphère intellectuelle. Il n'est plus possible, dès lors de voir la société productiviste-consumériste comme allant de soi.
L'automobile dont l'avocate ne comprend pas qu'on puisse du jour au lendemain demander au français de ne plus rouler avec, est un symbole de cette société d'après deuxième guerre mondiale, euphorique, ivre de pétrole, de vitesse. L'aveuglement de la juriste est, lui aussi symbolique. Yvan Illich a beau nous avoir démontré[3] qu'elle ne nous fait pas aller plus vite que la marche à pied, on continue de penser nos territoires comme des circuits automobiles. On pense encore le déplacement en automobile comme une liberté.
Quant à se chauffer au fioul, la question est plutôt de la capacité de la population à investir dans des technologies vertueuses. Ce devrait être le rôle d'un État soucieux de ses responsabilités que de les y aider. au lieu de faire comme maintenant confiance à un Marché-Dieu qui s'avère incompétent.
Nous avons, dit encore l'avocate, un milliard de façon de [nous] exprimer. Voilà une bien belle faribole ! La question n'est pas de s'exprimer. La question est d'agir. Nous ne sommes pas des conteurs ! Ce milliard, nous l'avons utilisé depuis longtemps. Je le répète : livres, articles, manifestations, toutes les méthodes ont été utilisées. Pourtant l'avocate parle encore des français. Elle ne dit pas "nous", elle n'a rien lu, n'a rien vu, n'a rien entendu qui la ramène au sein du groupe. Ses congénères ne sont pas les français, les humains alors ? J'en doute. Ses semblables sont celles et ceux qu'elle défend, ceux qui ont des biens.
C'est la facilité que vous choisissez. Pardon mais où est la facilité quand on s'oppose à tout un système économique, à tout un système répressif ? Quand on risque la prison ? Est-ce que la facilité ce ne serait pas plutôt de se ranger du côté de l'ordre établi, bien planqué derrière les fortunes que brasse la BNP, son client. Est-ce que la facilité ce ne serait pas de se vautrer dans cette production-consommation pathologique ? Est-ce que la facilité ce ne serait pas d'être toujours du côté du manche qui tient la cognée - je ne dirai pas la francisque par souci d'apaisement !
Celles et ceux qui luttent aujourd'hui pour la justice climatique seront, si l'histoire permet à l'humanité de survivre, considérés comme des héros. L'avocate de la BNP tombera dans l'oubli.
[1] Cité par Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/170823/au-proces-des-activistes-d-extinction-rebellion-une-jeunesse-depassee-de-se-retrouver-devant-le-tribunal
[2] Écologie et politique dans les années 1970 : https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2012-1-page-179.htm
[3] Yvan Illich : Énergie et Équité. http://www.livrespourtous.com/e-books/detail/Energie-et-equite/onecat/Livres-electroniques+Environnement-et-ecologie/4/all_items.html