Il existe un procédé littéraire et cinématographique très employé. Il consiste à montrer des exactions commises par une bande de malfrats au détriment de populations résignées, apeurées. Ces violences, se répètent à des intervalles réguliers. Pour les victimes, la peur est grande. Les salauds, eux, confiants, dominateurs, ricanent. Ils jouissent de leur toute-puissance. En réalité, on peut même penser que c'est cette toute-puissance qui les motive plutôt que les maigres biens qu'il parviennent à extorquer aux pauvres gens qu'ils dominent. Sans doute, si on leur posait la question : pourquoi faites-vous ça ? Répondraient-ils "parce que je le peux", plutôt que "parce que j'en ai besoin pour vivre". Le sadisme de la puissance !
Le rendement décroissant de leurs raids ne les alarme pas. C'est l'acte d'affirmation de la force qui compte réellement.
Qui, en regardant les "7 mercenaires", prend fait et cause pour Calvera, le chef des bandits mexicains ? Il faudrait être tordu. Au contraire on va spontanément espérer la réussite de l'équipe d'aventuriers que va constituer Chris Adam pour venir en aide aux villageois.
L'injustice est sans doute parmi ce qui suscite le plus en nous un sentiment de révolte, de colère. Ce n'est pas un "propre de l'homme"[1]. Beaucoup d'espèces savent que l'injustice, l'iniquité sont nuisibles, au groupe, au clan, à l'espèce. Cette empathie, cette solidarité ressentie à l'égard des villageois rackettés, ce n'est pas simplement un pacte littéraire[2]. C'est quelque chose d'enfouit au plus profond de nous. C'est un réflexe de survie.
Quiconque comprend un tant soit peu ce qu'il se passe au sein des écosystèmes, perçoit les enjeux de l'équilibre qui s'y est minutieusement établit (ou qui s'y établit constamment). Quiconque, en un mot, ne prend pas pour argent comptant les fariboles de la pensée néolibérale avec sa pseudo sélection sociale- darwinienne sait que la justice et l'équité sont essentielles.
Toute notre existence on nous a seriné que la vie est dure, qu'il faut se battre, que seuls les meilleurs gagnent. Alors qu'en réalité, beaucoup d'études montrent que la solidarité et la justice nous sont nécessaires pour affronter les menaces qui pèsent sur nous[3]. On retrouve des squelettes d'hommes et de femmes qui n'ont pas pu survivre en s'alimentant seul-e-s. Incapables de chasser ou de subvenir à leurs besoins d'une quelconque manière, ils ont fait l'objet de la solidarité du "clan".
Ce que des humains ont su faire il y a 500 000 ans, on n'en serait plus capables aujourd'hui ?
Ce ne sont pas les élucubrations, marmelade philosophique de quelques imbéciles qui doivent nous en persuader. Pour la plupart, ils se pensent "élus", vainqueurs d'une lutte sans merci pour la vie. Alors qu'en réalité, ils sont des héritiers, des descendants de Calvera.
Réduire les humains – les vivants de manière générale – à de simples fonctions de production est une aberration anthropologique. ILS sont des aberrations anthropologiques. Pas une seconde de leur vie ils ne peuvent démontrer que c'est uniquement grâce à leurs talents qu'ils réussissent. Chacun de leurs instants qu'ils pensent si précieux, ils sont des assistés.
Peut-être que ces gens là – appelons les "les Calvera" – nous détestent parce qu'ils sont incapables d'éprouver des joies simples comme celles qu'on ressent aux abords d'une tourbière en découvrant un drosera, ou à écouter un chant de chardonneret sans qu'il soit dans une cage.
Et c'est bien volontiers que nous continuerons à les assister pour un peu qu'ils descendent de leur cheval, déposent leurs colts, effacent leurs sourires narquois et participent dans la mesure de leurs moyens à la vie du village.
Les villageois ne sont pas des pleutres. Simplement ils ne savent pas se battre, ils ne savent pas se servir d'une arme. Ce n'est pas leur rôle. Bien sûr qu'il en existe qui sont prêts à se vautrer devant les pillards pour se voir un tant soit peu épargner, obtenir une misérable récompense. Bien sûr que beaucoup préfèrent payer que de risquer leur peau. Bien sûr que les mercenaires ne sont pas des absolus chics types, des anges animés des plus pures intentions.
Pourtant ces paysan-e-s vont se révéler (relever) à eux-mêmes sous l'influence de ces "mauvais garçons".
Alors nous devons nous poser la question : comment se fait-il que lorsque le gouvernement dissout une bande de mercenaires qui veulent nous défendre, nous acceptions si volontiers les éructations nauséabondes qui les désignent comme des ennemis ? Pourquoi ne nous soulevons-nous pas en masse ? Avons-nous définitivement choisit de continuer à payer les rançons exigées par Calvera et ses hommes de main ?
Il est vrai que tout l'art d'un gouvernement pris de velléités autoritaristes consiste à retourner le pacte littéraire. À nous faire nous identifier aux véritables bandits. La peur et la propagande sont là pour ça.
Allons chercher nos vieilles pétoires au fond des granges et mettons les dehors. Leurs agissements ne sont plus supportables. Il en va de notre dignité voire maintenant de notre survie.
[1] L'Entraide l'autre loi de la jungle. Gauthier Chapelle Pablo Servigne
[2] Le pacte de lecture, c’est quoi ? : https://www.mecanismes-dhistoires.fr/pacte-de-lecture-definition-et-usages/#:~:text=Le%20Pacte%20de%20lecture%2C%20c,fantasy%20%2F%20fantastique.
[3] https://www.hominides.com/html/actualites/homme-prehistorique-compassion-humanite-elvis-0357.php.