Plutôt qu'à " La fin du néolibéralisme dans l’agriculture", il me semble que ce à quoi on assiste c'est la totale dégénérescence de la doctrine néolibérale. Née dans les années 1930, si l'on en croit Barbara Stiegler[1], cette idéologie se faisait fort de lutter contre la menace fasciste, mais surtout contre le communisme. Elle n'a plus rien qui fonctionne aujourd'hui.
Si l'hypothèse communiste reste sa principale obsession (on le voit avec les arguments débiles que les ministres opposent à la fixation de prix plancher : Cuba, Gosplan, etc.) la doctrine néolibérale se heurte également à la réalité terrestre. Et là, aucun des "outils conceptuels" dont elle dispose (en fait des dogmes plus que des concepts) ne peut être mobilisé. Comme toute église, elle a ses hérétiques. Bien que trop méconnu Nicholas Georgescu-Roegen[2] doit avoir sa place réservée sur les bûcher de la vraie foi dans le Marché, Giordano Bruno des temps modernes.
Les voilà donc, pauvres moines soldats de la "liberté" confrontés à des "ressources naturelles" qui s'épuisent, à des conséquences délétères de la "production" sur le vivant.
Non pas que ça les dérange particulièrement de voir les populations d'insectes ou d'oiseaux s'effondrer, on sent bien qu'ils ont hâte de substituer des mini-drones aux abeilles. Après tout, il y a plus d'argent à se faire dans les technologies que dans l'apiculture. Leur analyse fonctionnaliste ne trouve rien à y redire.
Mais voilà que les populations rechignent. Le modèle agricole intensif (intensif en biocides, intensif en pétrole) les dérange. Les humains se plaignent des conséquences. Mais les conséquences n'ont pourtant rien à faire dans l'équation néolibérale. Si vous avez fait de la physique au lycée, vous vous souvenez sans doute de cette consigne dans les exercices : on négligera les frottements. "Conséquences", "vivants", "humains", tout ça ce ne sont pourtant que des frottements. Un peu d'huile et il n'y paraîtra plus !
Mais non, malgré tout, ça couine, ça grince. Le matériel humain se soulève, devenant des terrestres. Et les voilà, pauvres néolibéraux, obligés de coercer.
Qu'il est difficile, parfois, de faire le bonheur des peuples, de ceux qui ne sont rien. Qu'il est difficile d'être tellement intelligent qu'on ne nous comprend pas. Le néolibéralisme se heurte à la réalité, la finitude. Il se cogne contre les limites de la "zone critique". Ses "on disait que" puérils ne font plus rire personne.
Alors tous ces génies s'enferment dans un monde de vérités alternatives. Ils excluent de plus en plus de monde de leur "cercle de la raison". Le cercle devient un point. Une tache.
On le voit dans l'agriculture, mais ne nous y trompons pas. Dans les autres milieux socio-professionnels on n'adhère pas non plus. Dans les services publics, bien sûr, L'hôpital, l'Éducation craquent de toutes parts.
Mais dans le privé, ce royaume béni du néolibéralisme, cet Eden, pourquoi a-t-on été obligé de faire des lois, des ordonnances pour désarmer les salariés et leurs représentations ? Pourquoi est-on obligé de couper les vivres aux pauvres ? Si ce n'est pour les forcer à entrer ou à rester dans ce paradis.
Quand la gauche veut bien se préoccuper d'autre chose que de 2027, elle récolte les fruits de cette déliquescence généralisée. Nos victoires idéologiques sont nombreuses en réalité. Le néolibéralisme, au pouvoir en France et dans le monde depuis des décennies ne fait plus illusion. Au pire sommes nous un peu résignés. Il est puissant, armé, brutal. Mais dans nos vies, il n'est rien. Les abracadabras d'un "jeune" homme en bras de chemise ne nous convainquent ni ne nous amusent plus.
Ceux des médias qui ont fait allégeance au cercle de la raison, font feu de tout bois sur la pensée progressiste. Mais faites signer une pétition contre la fermeture d'un hôpital de proximité, contre la fermeture d'une classe, voire, même, contre la fermeture d'un centre des impôts et vous verrez que la population n'est pas dupe de ce qu'il se passe. Elle comprend que la Sécu n'a pas à être gérée par les gouvernements ; qu'une baisse du nombre d'élèves devrait être l'occasion d'améliorer le service de l'éducation ; que les impôts, s'ils étaient justement répartis, sont un outil démocratique.
Le néolibéralisme, en niant toutes ces évidences montre son inanité. La gauche trouve là, un socle sur lequel se renforcer. Bien mieux que sur des réseaux "sociaux".
[1] Barbara Stiegler, "Il faut s'adapter". Sur un nouvel impératif politique.
[2] Nicholas Georgescu-Roegen, La décroissance. Entropie - Écologie - Économie