Autrefois qualifié par Wikipedia de « propalestinien », je suis d’emblée classé par cette nouvelle version dans « l’extrême gauche antisioniste ». J’ai été membre du Parti communiste français, dont j’ai rendu ma carte il y a près de quarante ans, et n’adhère depuis à aucune formation politique, même d’« extrême gauche ». Je ne suis pas plus « antisioniste ». J’ai en effet écrit en 2018 un petit livre intitulé Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron[1]. Mais combattre la criminalisation d’une pensée ne signifie pas qu’on la partage. C’est comme si, d’une prise de position contre le racisme antinoir, on déduisait que je suis… un Noir. Si je devais me définir, je choisirais plutôt le terme « a-sioniste ». J’ajoute que, au fil des 104 conférences-débats où j’ai présenté mon livre, près de 10 000 personnes m’ont entendu, comme toujours, analyser et combattre toute forme d’antisémitisme…
Il y a pire. À en croire les manipulateurs, je défendrais une thèse « jumelle de celle du révisionniste Roger Garaudy ». Cette diffamation injurieuse vise, faut-il le rappeler, quelqu’un :
- dont le père, comme il le raconte dans ses Mémoires[2], passa deux ans à Malines, à Auschwitz (et finalement dans les Marches de la mort), où 14 membres de sa famille furent assassinés[3] ;
- dont la mère a été cachée par ses parents, passés dans la clandestinité, chez les courageux protestants du Chambon-sur-Lignon ;
- qui a milité dès l’adolescence dans le Comité antiraciste et antifasciste de son lycée (comme ses camarades de classe s’en souviennent) ;
Seul « argument » à l’appui de cette obscénité : une citation du journaliste Sylvain Attal qui, consulté, assure n’en avoir aucun souvenir !
En revanche, la notice de Wikipedia passe rapidement sur les nombreux articles que j’ai écrits sur la Shoah, regroupés dans un livre (Shoah, génocides et concurrence des mémoires[4]) après avoir publié la première synthèse en français des travaux des chercheurs d’outre-Rhin (Les historiens allemands relisent la Shoah[5]).
Ce dernier livre a eu l’honneur d’une recension de Pierre Vidal Naquet, qui a notamment écrit : « L’historiographie allemande, pourtant capitale, et surtout l’historiographie allemande récente, celle d’auteurs ayant moins de 50 ans, voire moins de 40 ans, reste encore largement inconnue. Seule Liana Levi a publié en 1999, avec une préface d’Annette Wieviorka, une courte étude de Christian Gerlach, Sur la conférence de Wannsee. […] Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint au Monde diplomatique, a voulu combler cette lacune. Son livre, Les historiens allemands relisent la Shoah, résume les milliers de pages qui ont été écrites par de jeunes historiens couvrant un champ immense et avec les approches les plus variées. À titre comparatif, on évoquera l’ouvrage du même auteur, écrit avec Joseph Algazy, Le Péché originel d’Israël. L’expulsion des Palestiniens revisitée par les « nouveaux historiens » israéliens. À mon avis, Dominique Vidal a tenu un pari difficile : résumer chronologiquement une histoire qui a été problématisée de façon extrêmement diversifiée[6]. »
Pour sa part, Annette Wieviorka a écrit dans Le Monde[7] : « Chaque semaine apporte du neuf sur la destruction des juifs d'Europe. Ici ou ailleurs, les historiens n'en finissent pas d'interroger l'événement, de le relire, de mettre au jour de nouvelles sources, de corriger le récit, d'apporter une touche à un tableau jamais achevé. Le nouveau vient d'abord d'outre-Rhin, où les études sur la persécution des juifs pendant la période nazie se sont multipliées, envisageant celle-ci sous toutes ses formes et de toutes les manières possibles. L'ouvrage de Dominique Vidal, Les historiens allemands relisent la Shoah, rend compte avec probité de cette vitalité comme de la diversité de la jeune recherche allemande. »
Au passage, la nouvelle version de « ma » notice fait appel à un certain Lucien Samir Oulahbib, présenté comme chercheur, pour qui « les analyses de Vidal sont orientées ». Orientées ? Le signataire est un expert : il collabore très régulièrement, depuis plus de dix ans, au site d’extrême droite « Riposte laïque ».
Autre « témoin à charge », le professeur américain Alvin Hirsch Rosenfeld, selon qui je « minimise les violentes attaques antisémites commises par des individus arabo-musulmans ». Sans doute cet universitaire ignore-t-il les rapports annuels de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) sur « la lutte contre le racisme et l’antisémitisme[8]» ? Moi, je les ai recensés régulièrement, notamment dans Le Monde diplomatique. Et, les citant, j’ai rappelé, statistiques à l’appui, que les violences anti-juives perpétrées par des jeunes issus de l’immigration ne sauraient faire oublier celles commises par des militants d’extrême droite. Plus généralement, le dernier rapport de la CNCDH, qui porte sur l’année 2021, précise : « Des dimensions distinctes structurent donc aujourd’hui les attitudes envers les Juifs : une première, qu’on peut qualifier de “vieil antisémitisme”, et les deux autres qui seraient plutôt des formes de “nouvel antisémitisme”, critique d’Israël sans pour autant adhérer aux clichés antisémites traditionnels. Au total, c’est le vieil antisémitisme qui pèse le plus lourd, ce facteur rendant compte de 28 % de la variance expliquée par le modèle, contre 13 % et 12 % pour les deux autres[9]. »
Quatrième accusation : les manipulateurs font appel à Pierre-André Taguieff, qui me « décrit comme un journaliste-militant antisioniste » et « voit une négation du droit à l’existence d’Israël dans [mon]livre Le Péché originel d’Israël». J’ai en effet écrit, en 1998, la première synthèse des travaux des nouveaux historiens israéliens sur la guerre de 1947-1949. Ceux-ci y analysent notamment le pourquoi et le comment de l’expulsion des quatre cinquièmes des Palestiniens : c’est cette Nakba (catastrophe) – et non la naissance d’Israël – qui constitue le « péché originel » de ce dernier. Pour éviter toute confusion, ce livre a d’ailleurs été réédité en 2007 sous le nouveau titre Comment Israël expulsa les Palestiniens 1947-1949, avec une préface de… l’ancien ambassadeur d’Israël en France Yehuda Lancry ! Quant au droit à l’existence de l’État d’Israël, je mets au défi les manipulateurs de Wikipedia de trouver sous ma plume une seule phrase le contestant : depuis mes premiers textes sur le sujet, en 1967, j’ai toujours défendu le droit à l’autodétermination des deux peuples, palestinien et israélien.
Mais il y a plus drôle : la même notice qui m’accuse d’être « antisioniste » démontre… que je ne le suis pas. Un de ses paragraphes explique en effet : « Vidal est favorable à “l’établissement d’un État palestinien (qui) constitue peut-être la dernière chance de l’option bi-étatique, autrement dit de l’insertion durable d’Israël dans son environnement arabo-musulman en révolution”. » Si je suis pour l’« option bi-étatique », je ne suis pas antisioniste !
Le coup de pied de l’âne arrive en dernier. La nouvelle version de « ma » notice écrit : « Face aux accusations d'antisémitisme, Vidal se défend en soutenant la thèse d'un “chantage inacceptable (à l'antisémitisme)” alors qu'il ne s'agit pour lui que de critiquer la politique israélienne( note 20 notice Wikipédia), (note 21 notice Wikipédia), et avance “leur manipulation” » (note 22 notice Wikipédia). Mais quelles sont ces « accusations d’antisémitisme »? Qui les a formulées ? Où sont les sources ?

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Ai-je au moins la possibilité de contester ces mensonges ? Ce devrait être le cas. Car tout intellectuel auquel cette encyclopédie consacre un article peut être soumis – mon exemple en est la preuve – à des calomnies, sous couvert du droit de chacun de modifier comme il l'entend le texte de tout article. Est-ce délibérément ou par inadvertance que Wikipédia n'organise en rien la possibilité d'empêcher que se perpétue un tel état de choses ?
Théoriquement, il suffit de cliquer, en haut d’un article, sur « Discussion » pour formuler des critiques. Mais les censeurs « bénévoles » ne sont pas tenus d’en tenir compte. Et gare à qui leur fait observer qu’ils n’ont pas répondu de manière argumentée à des remarques argumentées : on ne peut plus rectifier la notice, surtout si l’on ose faire état de son droit à saisir la justice pour se défendre contre les diffamations dont on est victime.
Les recours polis et respectueux des procédures proposées provoquent en retour un florilège de réponses plus ou moins bien intentionnées, mais sans aucun effet sur le règlement de la question. Une personne anonyme, sans identité juridique, s'octroie le droit de bloquer l'article litigieux c'est-à-dire de perpétuer la publication de mensonges et de diffamation.
Wikipédia gagnerait en crédibilité en instituant une procédure simple qui permette dans chaque pays à chaque personne faisant l'objet d'une campagne de calomnie, d'être entendue dans ses mises au point avant, en ultime recours, d'avoir à saisir la direction de Wikipédia aux États-Unis.
Dominique Vidal
[1] Libertalia, Montreuil-sous-Bois, 2018.
[2] Ma vie pour le judéo-espagnol, Le Bord de l’eau, Bordeaux, 2015.
[3] Voir leur liste dans le Mémorial des Judéo-Espagnols déportés de France publié en 2017 par l’association Muestros Dezaparesidos, p. 497.
[4] Éditions du Cygne, 2012.
[5] Éditions Complexe, 2002.
[6] https://www.monde-diplomatique.fr/2002/03/VIDAL_NAQUET/8557
[7] www.lemonde.fr/archives/article/2002/04/05/acteurs-victimes-et-bourreaux_4238139_1819218.html
[8] www.cncdh.fr/publications
[9] CNCDH, La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, année 2021, p. 80.