Le 18 juin prochain, je fêterai mes 70 ans. Jusqu’ici, je ne m’étais pas considéré comme « vieux ». En bonne santé physique et (je crois) mentale, je développe à la retraite une activité soutenue : interviews, articles, livres, conférences, associations…
Arrive le Covid-19. Objectivement, je ne peux que me sentir concerné. Car l’immense majorité des personnes touchées par le virus a mon âge ou plus. C’est un fait objectif.
Ce qui ne l’est pas, c’est que nous, les « vieux », sommes devenus les victimes, non seulement de l’épidémie, mais de l’irresponsabilité de dirigeants qui – depuis vingt à trente ans – ont sacrifié la santé de tout un pays sur l’autel des profits et de la rentabilité :
- Pourquoi a-t-on détruit 1,4 milliard de masques qui garnissaient la réserve stratégique et qui nous font cruellement défaut depuis trois mois ?
- Pourquoi la pénurie de gel, de tests et de respirateurs ?
- Pourquoi la France, en début d’épidémie, n’avait-elle que 5 000 lits équipés de respirateurs quand l’Allemagne en avait 30 000 ?
Cette situation, qui place la France au niveau de pays du tiers-monde, a eu, pour nous les « vieux », des conséquences tragiques, malgré les formidables efforts du personnel médical :
- À l’hôpital, 90 % des victimes ont plus de 65 ans. Et, d’un peu partout, nous parviennent des récits de personnes âgées abandonnées à leur sort pour tenter de sauver des personnes plus jeunes. Ici et là, on ose même renouer avec le vocabulaire eugéniste des nazis et parler de « tri »…
- Quant aux EHPAD, ils ont été littéralement décimés, parfois plus. Faute de moyens, plus de 5 300 pensionnaires recensés à ce jour y sont morts seuls, privés de leurs proches et enterrés à la va-vite. J’en viens à me féliciter que mon père soit mort à l'hôpital à près de 97 ans en décembre dernier et n’ait pas vécu ce cauchemar.
- Non content de ce bilan accusateur, Emmanuel Macron prétend maintenant confiner les « vieux » plus longtemps que les jeunes. Cette véritable provocation appelle plusieurs questions :
1) A partir de quel âge le président de la République estime-t-il qu’on est « vieux » ? Pour prendre un exemple au hasard, à 67 ans, Brigitte Macron est-elle vieille ? Je rappelle aussi qu’il y a à peine quelques semaines, le gouvernement prétendait reculer l’âge pivot de la retraite pour tous à 64 ans ([1]).
2) Juridiquement, comment Emmanuel Macron justifiera-t-il le fait de discriminer une catégorie de Français, en l’occurrence sur la base de leur âge, et de la priver de la liberté fondamentale de mouvement ? Comment ne pas repenser à sa boutade récente nous suggérant d’« essayer la dictature » ?
- Il s’agit, prétend le président, de nous « protéger ». Mais la quasi-totalité des médecins n’estiment-ils pas que, pour protéger la santé des Français, il faut d’abord TOUS les tester sérologiquement, puis CONFINER ceux qui sont malades et enfin ÉQUIPER de masques ceux qui, en bonne santé, vont étudier ou travailler ou… jouir de leur retraite ?
- Ne serait-il pas enfin paradoxal que des millions d’aînés, qui ont donné toute leur vie active à la société française et continuent à l’animer bénévolement, soient condamnés à une forme d’emprisonnement, alors qu’ils sont en bonne santé, parce que les autorités sont incapables de détecter et de confiner les personnes malades ?
Halte au racisme anti-« vieux » !
([1]) Pour mesurer la complexité de la définition des « vieux », on lira Bernard Ennuyer, « À quel âge est-on vieux ? La catégorisation des âges : ségrégation sociale et réification des individus : https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2011-3-page-127.htm# Conclusion : « Combattons donc sans relâche cette catégorisation et ce classement des âges, facteurs de ségrégation sociale et de chosification des individus. L’assignation à comportement d’âge est une négation complète de la singularité et de l’essence même de l’être humain. »