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Historien et journaliste indépendant, spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient, animateur bénévole de La Chance.

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Billet de blog 25 février 2022

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Le « trou de mémoire » de Jean-Luc Melenchon

Ce jeudi, sur France 2, condamnant l'agression russe en Ukraine, Jean-Luc Mélenchon a ajouté : « Je n'ai jamais soutenu Monsieur Vladimir Poutine. Jamais. Je vous mets au défi de le prouver. » Ma mémoire est meilleure que la sienne. Il y a six ans, il « félicitait » (sic) même le maître du Kremlin pour son action en Syrie et assurait compter sur lui pour « régler » (re-sic) le problème.

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Les positions prises par le leader du Parti de gauche lors de l'émission « On n'est pas couché » du 20 février 2016 avaient tellement choqué que Regards m’avait demandé d’y réagir sur son site. Le texte ci-dessous est la reproduction, mot pour mot, de mes propos, recueillis par Catherine Tricot et mis en ligne par Regards le 25 février 2016. 

Syrie : Pourquoi Jean-Luc Mélenchon se trompe 

Dominique Vidal, spécialiste du Proche et Moyen-Orient, a regardé Jean-Luc Mélenchon lors de l’émission « On n’est pas couché » de samedi 23 février 2016. Il décrypte les analyses de Jean-Luc Mélenchon sur la Syrie.

Il est rare que, dans une émission de grande écoute, la situation syrienne occupe une telle place : près d’un quart d’heure. Mais ce fut, hélas, le trou noir d’une intervention par ailleurs brillante de Jean-Luc Mélenchon.

Car le candidat à l’élection présidentielle opère un grand écart incompréhensible dans son raisonnement. Dans un premier temps, il considère à raison qu’il n’y a pas de solution militaire à une crise politique et s’oppose donc à toute intervention militaire occidentale, en particulier française, en Syrie. Et on le suit. En revanche, mystère de la logique mélenchonienne, il soutient l’intervention russe. Et il le fait au nom de la lutte contre Daesh et de la solidarité envers les Kurdes assaillis par l’armée turque.

Malheureusement, je crois que Jean-Luc Mélenchon connaît mal le dossier. La Turquie est constante : de tout temps, elle s’est focalisée sur les Kurdes. Le fait qu’elle intervienne désormais en territoire syrien n’est qu’une question de degré. Il n’y a rien là de radicalement neuf. 

De surcroît, Jean-Luc Mélenchon tait la réalité de l’intervention russe. Tous les observateurs, en dehors des Russes, relèvent que l’action russe est principalement dirigée contre les opposants modérés au régime de Bachar El-Assad. Le type de bombardement – le carpet bombing : tapis de bombes – s’inspire des actions de l’armée russe en Tchétchénie. L’aviation russe bombarde civils et militaires de façon indifférenciée. C’est très choquant. Un hôpital d’une ONG vient même d’en être la cible. 

J’ai accueilli récemment à l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo), pour un débat, l’ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov : il n’a pas même pas présenté le combat contre Daesh comme objectif de l’intervention de son pays en Syrie. Le but de celle-ci, a-t-il dit, c’est de sauver Bachar El-Assad et son régime. Car, s’ils tombaient, ce serait la porte ouverte à une extension du djihadisme, notamment dans le Caucase. Qu’est-ce qui permet à Jean-Luc Mélenchon de dire que l’objectif des Russes est d’abattre Daesh ? D’autant que, je le répète, l’écrasante majorité des bombardements russes ne visent pas les djihadistes. 

Jean-Luc Mélenchon a pris l’habitude de se faire l’avocat de Poutine, en Syrie comme en Ukraine. Visiblement, il croît déceler une continuité entre l’URSS et la Russie. Cette filiation est une vue de l’esprit. À supposer que l’URSS ait agi au plan international pour défendre des causes justes, Poutine ne défend plus ni ces causes, ni les valeurs qui les inspiraient. Poutine ne défend que les intérêts de Moscou, du moins ce qu’il considère comme tels. Car il y a un grand écart entre les véritables intérêts de la Russie et la manière dont le groupe dirigeant les conçoit.

Je pense que Jean-Luc Mélenchon reproduit la même erreur d’analyse en ce qui concerne les régimes arabes. Le nationalisme arabe, laïque et socialiste a disparu depuis longtemps. Les régimes de Saddam, hier, ou d’Assad, aujourd’hui, n’ont aucun rapport avec ceux des années 1960-1970. La politique progressiste a été remplacée par une politique libérale, marquée par les dénationalisations. De véritables mafias dominent l’Irak comme la Syrie. Et la dimension laïque s’est réduite au point de n’être plus qu’une façade pour Occidentaux de passage. Saddam Hussein faisait de plus en plus référence à l’islam dans les dernières années de sa dictature. Et Bachar El-Assad instrumentalise les minorités comme un fond de commerce politique. Il y a eu fondamentalement une rupture au tournant des années 1980. Étrangement Jean-Luc Mélenchon semble l’ignorer. »

(Le lien vers l'émission de France 2 du 20 février 2016 est : https://www.youtube.com/watch?v=1IydqUaJ9rk)

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