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Historien et journaliste indépendant, spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient, animateur bénévole de La Chance.

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Billet de blog 27 octobre 2024

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Livre : Bertrand Badie en quête de paix

C'est « le Badie » de 2024. Et il surgit à point. L'invasion russe de l'Ukraine et les nouvelles guerres d'Israël poussent à réfléchir sur... l'art de faire la paix. Bertrand Badie répond dans ce nouveau livre au général chinois Sun Tzu, auteur de « L'art de la guerre ». Et il est temps de passer du constat aux solutions.

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Bertrand Badie en quête de paix

Entrez dans une grande librairie et répartissez tous les livres en deux piles : ceux qui établissent le constat d’un problème et ceux qui proposent une ou des solution(s) dudit problème. Vous vérifierez sans mal que la première pile est, de loin, la plus élevée. 

Est-ce parce que Bertrand Badie a passé quarante ans à apprendre à ses étudiants de Sciences Po comment lier les deux démarches ? Son dernier livre, "L’Art de la paix. Neuf vertus à honorer et autant de conditions à établir " (1) est un des très rares ouvrages à répondre à "L’Art de la guerre" de Sun Tzu, un général chinois du VIe siècle dont la pensée passionne encore les spécialistes des relations internationales. 

Dans un riche prologue, Bertrand Badie démontre « pourquoi la paix est un art autant que la guerre » : il y ferraille avec les penseurs de l’Antiquité qui, d’Héraclite à Homère, sans oublier Aristophane, voient dans la guerre « le père de toutes choses (1) ». 

Puis l’auteur déroule neuf chapitres qui marquent chacun non seulement une vertu, mais une étape du renversement de perspective :

- Le premier s’efforce de remettre à l’endroit une conception nouvelle de la paix. 

- Le deuxième appelle à s’humaniser en se rapprochant des besoins humains fondamentaux, « plaçant le social avant la force ».

- Le troisième souligne sa dimension de plus en plus subjective, intégrant l’apport de chaque humain « en termes de pensée, de ressenti et de sens donné à ce qui l’environne ». 

- Le quatrième définit l’approche comme systémique, en lui opposant les défis présentés comme intimement liés alors que le présent ne souffre plus « la  sectorisation de la pensée qui accrédite l’idée – insupportable aujourd’hui –qu’il y a un champ stratégique ou géopolitique ». 

- Le cinquième la décrit comme « globale » afin d’intégrer tous les intérêts à défendre. 

- Le sixième analyse les institutions adaptées dont elle a besoin qui sont autant de « normes en prise avec la mondialisation ».

- Le septième l’appelle à conduire à la réinvention d’une « diplomatie pragmatique et fluide éloignée des connivences du Congrès de Vienne ».

- Le huitième renvoie à l’idée d’hospitalité chère à Kant, « écho indispensable à ce mouvement et à cette motilité  qui font la modernité ».

- Enfin le neuvième propose de reconstruire une « paix éduquée » en fonction d’un apprentissage nouveau et lucide. 

Pédagogue accompli, Bertrand Badie assure dans ce livre un riche dialogue entre théorie et réalité à travers toute l’histoire, de l’Antiquité aux belligérances actuelles. Il faut dire que l invasion russe de l’Ukraine, la guerre tous azimuts d’Israël contre ses voisins, la spirale de conflits africains et la concrétisation de la menace du réchauffement climatique nous appellent d’urgence à rénover la pensée des relations internationales. L’approche livresque entretient des rapports étroits avec les terrains actuels étudiés lors des innombrables voyages de l’auteur, notamment dans les pays du Sud global : interviews d’acteurs, questions d’étudiants, témoignages de Bertrand Badie… 

Rien d’illusoire dans ces allers-retours. Car la paix, selon Badie, « n’est pas seulement ni principalement un atome de la banalité sociale. C’est plus, beaucoup plus : condition même de la survie collective, elle est un art, une production intrinsèquement humaine qui s’apprécie par sa capacité d’atteindre un résultat collectif, de créer une utilité qui, en l’occurrence, dépasse peut-être toutes les autres. »

C’est pourquoi la paix redevient l’affaire de tous. Comme l’écrivit Victor Hugo, « la guerre, c’est la guerre des hommes ; la paix, c’est la guerre des idées. »

Dominique Vidal

(1) L’Art de la paix, Flammarion, Paris, 2024, 21 euros.

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