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Billet de blog 24 avril 2025

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Enseignants : la République des belles paroles et des mains vides

Emmanuel Macron promettait de faire de l’école la « mère des batailles ». Mais sur le terrain, les enseignants font face à un déclassement profond, entre salaires figés, mutations impossibles et mépris institutionnel. Une tribune pour dénoncer l’écart entre les discours et la réalité.

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Enseignants : la République des belles paroles et des mains vides

Par Dimitri Douard, enseignant et membre de Place Publique


Je suis enseignant depuis plus de dix ans. Comme tant d’autres, j’ai embrassé ce métier par vocation, par conviction, pour l’école publique, pour les élèves, pour la République.
Mais comme tant d’autres aussi, je suis fatigué. Non pas du métier, mais du mépris.

Ce déclassement que nous vivons n’est pas seulement une affaire de chiffres ou de bulletins de paie. C’est une blessure quotidienne, une désillusion organisée, une violence douce mais continue.


Les ministres passent et se ressemblent. Blanquer, Attal, Borne : tous ont eu les mots. Mais aucun n’a eu le courage des actes.

Et c’est Emmanuel Macron qui, dès 2017, a fait de l’école un axe central de sa rhétorique présidentielle. "Faire de l’école la mère des batailles", disait-il. "Redonner du sens à la transmission", répétait-il.
Mais où sont les actes ?

  • Une réforme de la formation précipitée, abaissant le niveau d’entrée au concours à bac+3 sans revaloriser les parcours ni garantir une qualité de formation. Cette mesure vise à attirer des jeunes dans un métier où les démissions explosent : les départs volontaires des enseignants représentent désormais plus de 15 % des sorties de la fonction publique, contre 2 % en 2012.
  • Une baisse continue des inscriptions aux concours : en 2025, 73 796 personnes se sont inscrites à l’agrégation, au Capes et au Capet, soit une baisse de 4 % en un an.
  • Une diminution du nombre de postes ouverts, qui masque en réalité la chute des candidats : le nombre de postes au Capes a baissé de plus de 33 % depuis 2017.

Moi-même, je suis muté dans une académie loin de ma région d’origine depuis dix ans. Dix ans sans espoir de retour. Dix ans à reconstruire une vie ailleurs, sans accompagnement, sans perspective.
Voilà ce que produit cette politique scolaire de communication : une école fracturée, des enseignants épuisés, et une République en apnée.


À ces conditions salariales précaires s’ajoute la réalité quotidienne des classes surchargées.
En France, un professeur du secondaire peut avoir jusqu’à 30 à 33 élèves par classe, bien au-dessus de la moyenne de l’OCDE.
Cette densité nuit à la qualité de l’enseignement, à l’accompagnement individualisé, et alourdit encore la charge mentale et pédagogique de chacun.
Moins bien payé, plus exposé, moins soutenu : l’enseignant français cumule les injonctions, sans les moyens de les honorer.


Comme le rappelle Pierre Rosanvallon, la reconnaissance ne se décrète pas, elle se construit.
Et aujourd’hui, l’État ne reconnaît plus ses enseignants.
Il les surveille. Il les presse. Il les instrumentalise pour ses bilans politiques. Mais il ne les considère plus comme les fondations d’un projet républicain.


Je suis de cette gauche qui croit encore à l’émancipation par le savoir.
De cette gauche qui voit dans l’école le cœur battant de la République, et non un simple service à optimiser.

Et je pose cette question à Emmanuel Macron et à son gouvernement :
Peut-on prétendre défendre l’école tout en laissant les professeurs s’enfoncer dans le découragement, la précarité, l’exil ?
Peut-on parler d’égalité des chances tout en réduisant l’enseignant à un simple exécutant, piloté à distance, mal payé, et privé de perspective d’avenir ?


Revaloriser le métier, ce n’est pas un luxe.
C’est un devoir.
Cela exige :

  • Un véritable plan de rattrapage salarial pour l’ensemble de la profession ;
  • Une réforme juste et humaine des mutations ;
  • Une formation solide, structurée, à la hauteur des enjeux de demain ;
  • Et surtout, une rupture nette avec le pilotage technocratique actuel.

Le déclassement n’est pas une fatalité.
Il est le fruit de décisions politiques. Il peut donc être défait par d’autres choix politiques.

Ce combat, nous le mènerons. Parce que sans une école forte, il n’y a pas de République.
Et parce que sans enseignants respectés, il n’y a pas d’école digne de ce nom.

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