Le fascisme avance aussi sous des algorithmes et des discours d’ “objectivité scientifique”. L’eugénisme n’a jamais disparu, il s’est sophistiqué sous l’optimisation de l’humain, de correction d’anomalie et derrière ces mots, c’est toujours le même projet—choisir qui a le droit d’exister pleinement.
Les personnes LGBTQ+, surtout les personnes trans et intersexes, sommes les premières visées: génétique du "gène gay", thérapies de conversion 2.0, médecine qui traque ce qui dépasse des cases binaires. En parallèle, les vieilles obsessions racialistes font peau neuve dans les labos de biogénétique et les algorithmes de surveillance : reconnaissance faciale qui criminalise les peaux foncées, études “scientifiques” qui ressuscitent les hiérarchies raciales sous couvert de big data.
Décoloniser le savoir, le pouvoir et l'être, c'est s'arracher aux arcanes de la colonialité, cette ombre persistante qui, depuis les années 1950, continue de hanter nos pensées, nos émotions, nos actions et nos croyances. Oui, la décolonisation est un processus engagé depuis les années 1950 pour les pays du Sud global, mais son ombre, la colonialité, a survécu. Elle ronge toutes nos manières de penser, sentir, faire et croire.
Décoloniser le savoir, c'est briser les chaînes invisibles qui entravent nos esprits, libérer la pensée des carcans imposés par des siècles de domination occidentale.
Oyèrónkẹ́ Oyěwùmí, Paulin Hountondji, Raewyn Connell, Aníbal Quijano et Walter Mignolo nous invitent à reconnaître la richesse des épistémologies du Sud, trop longtemps reléguées aux marges. Leurs œuvres phares, respectivement The Invention of Women, L’invention de l’Afrique, Coloniality of Power, Eurocentrism, and Latin America, The Darker Side of Western Modernity, offrent des perspectives essentielles pour comprendre et déconstruire les structures de la colonialité.
Sans la décolonialité, nous n'aurions pas eu la remise en question radicale des systèmes d'oppression et du pouvoir. Nous n’aurions pas exigé et soutenu la libération des peuples opprimés de la Palestine, du Congo, avec autant de détermination et d’endurance.
Sans la décolonialité, nous n'aurions pas assisté au retour des trésors pillés par la France, tels que les 26 œuvres restituées au Bénin par la France en 2021, ou encore le rapatriement du corps de Saartjie Baartman en Afrique du Sud et de la dent de Patrice Lumumba au Congo.
Sans la décolonialité, nous n'aurions pas eu de critiques aussi précises du néolibéralisme des pratiques spirituelles détournées du new-age. Nous n’aurions pas élevé la voix pour réclamer la dignité des pratiques ancestrales et d’une mystique effacée à cause de la colonisation et de la colonialité.
Décoloniser la science, élargir les perspectives
Décoloniser le savoir équivaut aussi à décoloniser la science. Pour nos esprits que l'on croit hyper déconstruits, hyper libérés, il s'agit de reconnaître que la connaissance n'est pas l'apanage de 7 % de la population mondiale, c'est-à-dire des personnes blanches. Osons remettre en cause l’universalisme de la science moderne, exigeons et intéressons-nous à des perspectives holistiques, non occidentales.
C’est par notre intérêt que la communauté scientifique pourra approfondir une auto-réflexion et se décentrer de cette idéologie scientiste. Car, même si des changements s’opèrent, il faut que l’on reconnaisse que :
- La science est le fruit d'expériences multiples, bien plus larges que la seule conception occidentale adoptée depuis la révolution scientifique de Galilée.
- La science est profondément influencée par des facteurs sociaux, culturels et politiques, et elle ne peut être considérée comme entièrement objective ou neutre.
- La science est liée aux structures de pouvoir en place. Elle sert souvent les intérêts des élites politiques et économiques, contribuant ainsi à creuser les inégalités sociales.
- Le mythe de la science comme purement rationnelle. Les découvertes scientifiques sont souvent le résultat de processus complexes, incluant des intuitions, des erreurs et des influences culturelles.
- La fusion de la science et de la technologie forme une idéologie dominante dans les sociétés modernes. Cette technoscience impose une vision du monde axée sur le progrès technique et l'efficacité, sans compter son rôle dans la dégradation de la nature, par la voie du capitalisme vert.
- La méthode scientifique a ses limites et ne peut appréhender la totalité de l'expérience humaine. Des aspects tels que la subjectivité, de la conscience, de l'émotion ou des spiritualités échappent souvent à l'analyse scientifique traditionnelle.
Décoloniser le savoir, ce n’est pas un luxe intellectuel. C’est faire un travail critique au quotidien.
C’est arracher nos corps et nos esprits aux griffes d’un savoir qui trie, élimine et normalise au service du pouvoir. C’est refuser la science moderne, saboter la fausse neutralité, exiger des savoirs vivants, ancrés, qui n’écrasent pas mais élargissent. Décoloniser notre vision du savoir et de la science c’est réintroduire le désordre dans un système scientifique qui prétend mettre le monde en équation.