Le pays des lumières échappe-t-il à l’obscurantisme capitalistique qu’est la prison? Comment ce complexe qui semblait si loin, si états-unien, s'implante de plus ici, alors que les luttes abolitionnistes de la prison et du système pénal sont de plus en plus audibles. Pour preuve, Emmanuel Macron met un coup d’accélérateur à son programme de 15.000 places de prison d’ici à 2027, grâce à la construction de huit établissements pénitentiaires, afin d’endiguer la surpopulation carcérale. Rappelez-vous, "la sécurité est la première de nos libertés" à ce qui paraît…
Le complexe carcéro-industriel
Ce terme a été inventé par des militant.es et des universitaires aux Etats-Unis qui réfutaient la croyance répandue, que l’inflation de la population carcérale s’expliquerait par l’augmentation du taux de criminalité. Iels ont affirmé, que c’était bien la construction de nouvelles prisons et le besoin de les remplir, reposant sur des idéologies, des lois classistes et racistes ainsi que la quête du profit, qui sont la cause de la surpopulation des prisons.
“Le fait que de nombreuses entreprises présentes sur le marché mondial s’appuient aujourd’hui sur la prison en tant que source non-négligeable de profits explique la rapidité avec laquelle ces prisons se sont mises à proliférer alors que les études officielles montraient un taux de criminalité en baisse. La notion de complexe carcéro-industriel souligne également le fait que la racialisation de la population carcérale - et cela ne concerne pas seulement les Etats-Unis, mais aussi l’Europe, l’Amérique du Sud et l’Australie - n’est pas une caractéristique anodine”. Angela Davis, La prison est-elle obsolète ? éd. Au diable vauvert, 2014
Et nous dans tout ça alors ? Bien, vous seriez surpris.es d'être étonné.es… La France compte 188 établissements pénitentiaires dont 71 établissements adoptant une gestion dite "déléguée" aux entreprises du privé. Ces prisons accueillent 60% de la population carcérale. Elles ont en charge la construction et en général, la gestion de certains services comme la restauration, la santé, le travail, la formation professionnelle, l'accueil des familles, l’entretien des locaux, la maintenance. L'État lui, régit les domaines dits régaliens – administration, greffe et surveillance. Cette gestion déléguée est possible grâce aux contrats dits PPP : partenariats public privé. Un peu de perspective: en 2015, sur 188 établissements, 54 étaient concernés par cette délégation du privé; en 2019, leur nombre passait à 68…
que sont les Partenariats Public Privé (PPP)?
Au lieu d'investir dans la construction d'une nouvelle prison, l'Etat se fait le locataire de murs bâtis par une entreprise et s'engage à lui payer un loyer en retour, souvent pour une durée de 30 ans au terme de laquelle il devient propriétaire de l'édifice.
De 2002 à 2018, 14 prisons ont été construites en PPP, grâce à l'ouverture, en 1987, du marché carcéral aux entreprises françaises par le ministre de la justice de l’époque, Albin Chalandon et son “Programme 13.000”. C’est aussi à ce charmant chantre du néolibéralisme qu’on doit la privatisation des autoroutes dans les années 70. Ces partenariats public et privé permettaient de contourner la lenteur des investissements étatiques et répondaient à l’urgence de construire de nouvelles places de prison, selon le gouvernement de l’époque. Ces contrats ont des taux d'intérêts entre 2 à 3% (près 2 milliards d’euros à l’Etat) et coûtent 4,5 milliards d’euros en frais de fonctionnement et de maintenance, facturés à l’administration pénitentiaire, donc au contribuable. Le tout, sans que les bénéfices de cette gestion déléguée soient prouvés.
Après un rapport alarmant de la Cour des comptes en 2017, le gouvernement sous Macron avait pris la décision de ne plus contracter de PPP, afin de privilégier des contrats de réalisation-conception pour la construction de nouvelles prisons. Pour rappel l’un des derniers contrats signé en 2014 pour la Maison d'arrêt Paris-La santé ne prendra fin qu’en 2043. De quoi renflouer les poches des heureux propriétaires. De l’argent qui ne servira pas aux programmes de désincarcération ou d’accompagnement à la sortie de prison par exemple.
à qui profite le système pénal et ses punitions ?
Les entreprises ayant le monopole de ce marché carcéral lucratif ? Gepsa (filiale d'Engie qui gère 40 établissements pénitentiaires en France) et Sodexo pour les missions déléguées, l'entretien, la maintenance et la restauration. Bouygues et Eiffage ont le monopole de la construction et de la réalisation. Eiffage a décidé, il y a quelques années, de vendre 80 % de sa filiale chargée des prisons à un fonds d’investissement belge. Les détenus des prisons françaises d’Eiffage font ainsi l’objet de "stratégie d’investissement" et de "désendettement" d’un groupe de BTP.
En 2008, Bouygues est le premier a signé un partenariat public-privé (PPP), afin de concevoir et de construire trois prisons livrées en 2011. Un jour passé dans une prison Bouygues coûte 141 euros au contribuable, contre 104 euros en gestion publique (Le Parisien). Prou à la même époque, BTP Bouygues avait aussi obtenu la construction du Palais de Justice de Paris dans le 17eme, pour un coût global de plus de 2,3 milliards d'euros, après avoir obtenu un contrat de construction du ministère de la Défense...
Ces entreprises quant à elles, peuvent s’opposer à des politiques de réinsertion des régions et pompom sur la geôle, elles peuvent aussi imposer des pénalités à l'Etat si le taux d’occupation de leurs prisons dépasse les 120%. Et quand on sait que les prisons françaises ont un taux d’occupation en moyenne de 113% dans les pénitenciers et 132% dans les maisons d'arrêt… Le calcul est vite fait. Aussi, le complexe carcéro-industriel ne concerne pas que la privatisation pure et dure des établissements, mais bien toute l’économie carcérale tertiaire. On comprend que les entreprises privées ont tout intérêt à ce que ces structures ne désemplissent pas.
la surpopulation carcérale est un problème de sentences des peines
Malgré la mise en place de la contrainte pénale, censée contourner le recours à l'emprisonnement, la population carcérale ne cesse d'augmenter. Au 1er août 2021, on comptait 68 301 détenus contre 67 971 au 1er juillet, soit une hausse de 330 prisonniers en un mois. Comment expliquer une telle hausse alors que les taux de criminalité sont en baisse? Très certainement à cause des politiques pénales de plus en plus coercitives. Des lois sur la guerre contre les drogues visant de manière inégalitaire les quartiers populaires; la criminalisation des personnes sans-papiers, le moulin à vent qu'est l'accompagnement à la réinsertion contre la récidive... On assiste aussi, à une correctionnalisation toujours plus accrue de certains comportements dans la société depuis le début des années 2000:
*le racolage passif, puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende
*la mendicité “agressive”, punie de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende
*l’occupation d’un terrain en réunion, punie des mêmes peines que la mendicité “agressive”
*l’occupation en réunion de hall d’immeuble, délit puni de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende
*la vente à la sauvette a été transformée par la loi du 14 mars 2011 en un délit, puni de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Pour en revenir à l'actualité et le projet d’Emmanuel Macron et ses 15.000 places en prison d’ici 2027. Le projet de loi de finances de 2021 pour la Justice, disponible sur le site du sénat détaille le budget alloué au programme carcéral.

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Les contrats de marchés de gestion déléguée (PPP) sont renouvelés. On apprend que les renouvellements prendront en compte "la livraison de nouveaux établissements, la mise en service de structures nouvelles, comme des unités de vie familiale, ou des installations supplémentaires au titre de la prestation de maintenance et d'entretien".
En un mot, la gestion déléguée des établissements carcérale a de beaux jours devant elle. Pis, elle devient la norme établie d'une économie carcérale au sein des gouvernements successifs. Alors que les discours abolitionnistes sur la prison et le système pénal se répandent, le rouage capitalistique bien aidé du gouvernement, crée une armée de pauvres, criminalise des présupposé.es ennemi.es de l'intérieur, et leur trace une pipeline bien huilée vers l'incarcération.
Gwenola Ricordeau dans son ouvrage Pour elles toutes.Femmes contre la prison, apporte une autre piste de réflexion à creuser. Celle de l’imbrication du complexe carcéro-industriel très peu développé en France selon elle, à celui du complexe caritativo-industriel qui dénote dans le pays des lumières éteintes.
"Ce secteur caritatif tire profit (financièrement et moralement) de l’existence du système pénal et de la vie des personnes qui y sont confrontées. Les personnes incarcérées, celles qui sortent de prison ou qui ont des proches en prison constituent pour lui des sources d’emploi et de satisfaction morale. Comme les travailleurs.e.s du social avec les personnes détenues, le secteur associatif à besoin, pour justifier son existence et son financement, de décrire les personnes qu’il “prend en charge” en terme de problèmes (conjugaux, familiaux, etc) et de manque (d'éducation, de savoir-être, etc). Nous devons nous opposer fermement à la pathologisation des personnes détenues et de leurs proches à laquelle participe le secteur associatif et caritatif, car elle porte atteinte à la dignité et contribue à faire des femmes, des populations les plus pauvres et des personnes racisées, sous couvert de charité, les cibles politiques de contrôle social”
sources
#Datagueule - À qui profite la taule ? (octobre 2015)
#Datagueule - L'écrou et ses vices (septembre 2016)
Existe-t-il des prisons privées? Observatoire International des prisons (05 Février 2020)
Multinationales.org - La privatisation rampante des prisons françaises (25 février 2016)
L'Express - Contrats en or, prisons en carton (09 août 2018)
Ouest France - Prisons: 68 301 détenus au 1er août après une nouvelle hausse, le taux d’occupation atteint 113 % (27 août 2021)
Vie-Public.fr - Délinquance : baisse globale en 2020 sauf pour les violences familiales et sexuelles (06 mai 2021)
Assemblée Nationale - Rapport d'information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale (23 janvier 2013)