Les champs vastes de la décolonialité
Je m'appuie sur le concept de colonialité introduit par Walter Mignolo. Le chercheur sud-américain a montré comment la domination des formes de pensées modernes et coloniales persiste dans notre monde et influence tous les champs de la société.
La décolonialité c'est tendre à sortir de la domination de ces formes de pensées, en les interrogeant et en dénonçant l'imaginaire social et collectif.
La décolonialité
- du pouvoir : repenser le lien originel entre le pouvoir et l'organisation capitaliste
- du savoir : abolir le privilège d'une production de savoirs euro-centrés
- de l'être : rompre avec la négation entière de l'être humain, sans cesse altérisé
- du genre : réfuter la théorie binaire du genre de l'hégémonie coloniale
Spiritualité et blanchité, rimes pauvres
Malgré son refus de "vibrations basses", le milieu spirituel/guérisons alternatives, reproduit encore et toujours sa colonialité.
Appropriation culturelle des pratiques ancestrales comme le yoga, l'ayurvéda, le chamanisme, le kemetisme. Consommation de plantes psychotropes telle que l'iboga ou l'ayahuesca à des fins récréatives ou de capitalisation. Les conditions d'extraction des pierres et des cristaux ne sont pas interrogées. Le pillage néocolonial des terres et des ressources (pour les encens, la sauge blanche (menacée d'extinction!), sous couvert de spiritualité? Un impensé. Exemple effarant: en Guyane, l'Etat français s'appropie la flore par des dépots de brevets au service de lobbys pharmaceutiques.
Je ne sais pas vous, mais selon moi, purifier son chez soi avec des pierres couvertes du sang et de la sueur d'enfants (encourageant ainsi l'extractivisme), ça ne rime pas avec "hautes vibrations" et alignements des chakras, encore moins ceux de la planète.
Spiritualité et blanchité, les mantras de l'entre-soi
Après avoir récité 36 fois des mantras et affirmé être seules maitresses à bord de leur existence, ces personnes pilleuses vibrent ensuite en toute tranquillité l'entre-soi. Sans surprise. On y voit ce qu'on dénonce à longueur de journée: reproduction, cooptation, influences, plagiat de contenus, survisibilisation souvent suivie de compensation financière.
Alors qu'en face il est difficile pour les personnes héritières de ces savoirs ancestraux de vivre de leur transmission et de leurs enseignements. Leur parole si riche et leurs connaissances si inestimables sont infantilisées, perçues comme à moderniser afin de "les partager au plus grand nombre", au prix de cent euros la conférence. Oui, vous l'avez reconnu. Ici sonne le gong du whitesaviorism en puissance.
Oui, oui la rhétorique de l'abondance mais à quel prix? Celui du pillage et de la colonialité.
Cet entre-soi entraine forcément une uniformisation des pratiques, où le sens des mots et des pratiques est complètement vidé de sa sacralité. Avec une sorte de syncrétisme-new-age-industriel bien ancré dans une vision libérale, individualiste, capitaliste etc. Les inégalités sont balayées, seule la volonté et la primauté du soi comptent.
Comme des relents de méritocratie non?
Les écueils de la blanchité spirituelle
La fausse croyance dans le changement individuel : le Je surpuissant capable de se passer du Nous. Confusion entre l'individuation théorisée par C. Jung, comment penser le Je dans une continuité psychique, historique, culturelle... et l'individualisme système social des sociétés "modernes".
La responsabilité personnelle (culpabilisante) : Puisque le Je est tout puissant, il est aussi le seul à expliquer ses conditions de vie. Les évènements de nos vies ne seraient que ce qu'on vibre à l'intérieur. Comme si tout était aussi manichéen. Peut-on plutôt interroger les failles sociales qui nous poussent à intérioriser les blessures d'injustice, de trahison, de rejet, d'abandon, d'humiliation?
Le contournement spirituel : Technique de négation des oppressions et moyen de silenciation. C'est encore plus pernicieux avec cette injonction à toujours prêcher une positivité (toxique) à toute épreuve. Florilège: "Dans une autre vie j'ai été noir.e, je ne peux pas être pas raciste", "le racisme, c'est trop 3D pour moi", "les âmes n'ont pas de couleur ni de genre"...
Comment décoloniser la spiritualité ?
Tendre à la guérison à 360 degrés.
Révolutionner nos mondes dit matériel et spirituel, qui n'ont été séparés que par la colonialité.
Tatônner, chercher dans les histoires de famille, des ethnies, des coutumes, des superstitions, prendre conscience des pratiques, tuer l'ignorance en nous et les réflexes qui démonisent les cultures spirituelles africaines, ancestrales. Poser des questions aux anciens en vacances au bled (pour celleux qui peuvent y retourner). Savoir à qui on donne de l'argent et de la légitimité, faire attention à la provenance de nos outils et remèdes spirituels...
Retrouver le centre.
Tout défricher, tout brûler l'ordre et la binarité .
Rechercher le désordre et le chaos, askip c'est de là que naissent toutes les étoiles.
Ressources :
Article - Un institut français accusé de piller les savoirs traditionnels de Guyane - Le Temps (3 février 2016)
Article - Mignolo, Walter. «Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique», Mouvements, vol. 73, no. 1, 2013, pp. 181-190.
Vidéo - Eté décolonial #02 - Décoloniser la spiritualité avec Sarah (6 juillet 2021)
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