J’ai (beaucoup) hésité avant de partager ces réflexions non-exhaustives autour du genre. Il fallait sûrement du temps au temps.
Le sens mis derrière les termes femme ou homme est si creux, pourtant il perpétue un ordre mondial tenace... Pour remplir le creux donc, j’accole à ce mot f*mme un astérisque, pour signifier qu’il existe autre chose qu’une définition aussi simpliste et binaire. Je navigue autour de ces questions sans jamais coller totalement aux labels du genre, à l’auto-définition; sans jamais adhérer non plus à l’assignation sociale, à l’équation sexe égale genre, légitimant une nature purement biologique et essentialiste des êtres. Tout est bien plus complexe que ça...
Toutefois, j’utilise aussi le mot queer pour tenter de dessiner des contours de cette enveloppe corporelle, sensuelle et psychique qui me sert de vaisseau dans ce monde. Mais ce terme est un mot-par-défaut, tant il rime avec une vision très blanche de la dissidence des corps, du genre et de la s*xualité. En attendant de (re)trouver mieux, je continue ma quête de sens, en partant de ma position sociale et historique. C’est-à-dire en prenant en compte mes conditions d’existence, ma race et mon sexe socialement perçus.
Les théories queer partent de la subjectivité pour se définir. La subversion par le soi domine ce champ.
Pour cause, historiquement, les personnes blanches n’ont pas été confrontées à une négation pure et dure de leur subjectivité. Elles n’ont pas subi la déshumanisation, le statut de non-personne que cela implique.
En ce sens, les personnes trans, non-binaires, queer blanches subissent l’oppression cispatriarcale qui les relègue au rang de déviantes donc de sous-personne. Mais elles existent tout de même en tant que sujets. Elles bénéficient du contrat racial qui s’est fondé sur la séparation blanc (personne) racisé.e (non-personne).
La noirceur est un genre à part entière
Pour les personnes noires, au fondement de nos corps se trouve d’abord la déshumanisation. La distinction de genre ne rentrait pas dans l’équation.
Par les théories racialistes, nous avons été affublé.es des attributs de “la” féminité. Indolence, paresse, émotivité. Pire, nous avons été relégué.es en deçà des femmes blanches, en deçà du sexe dit faible.
De nos jours, peu importe que l’on soit dissident.e du genre, notre vécu se rattache à une condition noire qui nous devance. Dans le regard blanc cette dernière présuppose l’hétéronormativité, voire l’hyper-féminité ou l’hyper-masculinité.
Mais dans ces hyper-genres se loge une inversion, un paradoxe dont le racisme a le secret.
Les Noires subissent la misogynoir qui souvent cache une transmisogynoir. Accusées de virilisme et d’agressivité. Les Noirs sont victimes de violences policières et étatiques du fait de leur race, vectrice d’un genre dangereux. Mais ils sont aussi des objets de désir.
Le genre femme/noire est indésirable, contrairement à son pendant blanc.
Le genre homme/noir est consommable, contrairement à celui blanc.
Vous avez dit “subversion” malgré nous ?
Et au-delà de ma position historique, il y a dans mon vécu de f*mme noire, une socialisation de destins communs dans laquelle je me reconnais et m’inscris.
J’ai grandi entourée de f*mmes noires qui ne correspondaient pas à la féminité louée en Occident, qui flouaient sans cesse les lignes du genre. Qui dans leur attitude jouaient et performaient le spectre.
Et par elles, j’ai appris à naviguer dans la douceur et la force, la détermination et le lâcher-prise. J’ai admiré leurs muscles soulever des montagnes de problèmes, avant de rouler des hanches dans les maquis de Brazza.
C’est dans leur fluidité que je me célèbre aussi. C’est dans cette communauté qui défie la norme des attentes, des corps, des attitudes, des sexualités que je m’enveloppe.
Mon genre se niche là, dans la spirale de notre Noirité.
Pour aller plus loin (et au-delà)
Charles W. Mills, Le contrat racial, éd. Mémoire d’encrier
Elsa Dorlin, La matrice de la race, éd. La découverte
Jade Almeida, Les femmes noires qui aiment les femmes (thèse)
Zenaida Peterson, “My Pronouns Are Black”, sur la chaîne Button Poetry
Mariane “Mare” Leon, “I’m Leaving The Binary, But I’m Keeping Black Womanhood”, Saltyword.net