"Chers amis, chers experts spécialiste technocrates managers...L'émotion est forte en ce jour. Car nos travaux inclusivo-classificateurs doivent bien s'achever ; les meilleures choses ont une fin....Mais ce procès exemplaire a surtout permis de pointer un phénomène aussi omniprésent qu'inquiétant : la prégnance de la déviance infantile dans notre société, tous ces enfants à la marge, réfractaires, non diagnostiqués et médiqués. Certes, la « Commission chargée de la catégorisation infantile, du tri et de la mise en filière » va devoir arrêter ses travaux. Néanmoins, nous avons répandu un esprit, une volonté, et semé un irrésistible élan. Plus aucun gamin dérangé ne devra passer par les mailles du tamis nosographique. Nous devons garantir à chacun un étiquetage, un destin et une traçabilité, le plus précocemment possible. Continuons notre mission !"
Tonnerre d'applaudissements dans la salle. Hurlements dignes d'une meute. Et on se baffre de minis viennoiseries, et on ingurgite des litrons de jus de chaussette.
Didier Salon-Macraud circule dans l'assemblée, sert des mains, palpe des croupes. Il félicite tous ses collaborateurs, et les charge de disséminer la bonne parole une fois retournés sur leurs terres. Puis, l'air grave, il ouvre la dernière session de cette commission historique.
"On ne doit pas se relacher. Jusqu'au bout, nous ne faillirons pas !"
Au suivant !
Forrest Gump…Arriération, idiotie, retard mental, déficience.

A priori, on pensait qu’on ne pourrait rien en tirer de ce gosse, en dehors d’un travail à la chaîne très répétitif. On a pourtant tenté de le redresser, avec tout un attirail orthopédique pour le contraindre et restreindre sa liberté corporelle ; un carcan de contention pour tenter de le normaliser. Avec la rectitude physique viendra peut-être le redressement moral et cognitif ! Car l’enfant est encore une glaise malléable, elle peut recevoir des formes convenables pour peu qu’on lui applique des pédagogies scientifiques procédant d’un quadrillage du corps et de l’esprit.
Mais rien à faire ; ce bâtard, soumis à l’influence délétère des liens affectifs, se libère, il choisit de rester lui-même, dérangé, différent, malgré les incitations…d’ailleurs, il est légitimement moqué et harcelé ; sans effet…Génétiquement insolvable, inapte, à ségréguer. Il court, et nous ne pouvons plus le retenir ni le rattraper. Il faudra donc faire avec.
Justement, des entreprises philanthropiques et inclusives proposent désormais de se charger de cette main d’œuvre potentiellement très productive, en prenant en main l’intégralité de leur quotidien. Allez zou, le bon vieux modèle paternaliste, on n’a rien trouvé de mieux ! On va lui faire tondre la pelouse, un travail bien répétitif, obsessionnel. Il sera parfait, sans droits, sous-payé, et bien cantonné. Et on jouira de la plus-value narcissique consistant à savourer et à exalter notre compassion caritative envers les différents.
Cependant, sa mère a donné d’elle-même pour que le gamin bénéficie d’une inclusion scolaire. Et là, surprise, il a su faire fructifier ses intérêts restreints et ses compétences sectorisées. Il court le bougre ! Et il sait jouer au ping-pong ! On pourra donc exploiter ses aptitudes insoupçonnées, en faire une bête de foire. En plus, un tel idiot ne pourra jamais protester, il respectera les ordres, sera docile, productif, sans revendication ni contestation !
Comme quoi, notre modèle inclusif peut devenir productif et rentable. Des déficients peuvent aussi participer à la croissance et devenir rémunérateur ! Après tout, la vie c’est comme une boite de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber - enfin, dans certaines boites, on sait tout de même que tout sera merdique…
Forrest gump, c’est le bon idiot, le bon sauvage, la différence qu’on peut promouvoir, qu’on peut conformer et inclure. Voilà un enfant vitrine qu’on peut aimer et qui bénéficiera de nos œuvres charitables et de notre couverture médiatique.

Contrairement à des arriérés plus difficilement éducables et normalisables, tels que Victor l’enfant sauvage de l’Aveyron. En ce qui le concerne, le plus célèbre aliéniste de l’époque, Pinel, avait fait un rapport sur ce sauvage et voyait en lui non l’individu privé de pouvoirs intellectuels par sa privation précoce de liens sociaux, mais l’archétype de l’idiot essentiel, identique à tous les arriérés reclus à l’asile. Le Dr Itard revendiquait une opinion contraire : certes, Victor présente des anomalies sévères de développement et de socialisation. Néanmoins, il s’agirait non pas d’une déficience biologique, mais d'un fait d'insuffisance culturelle et relationnelle. Ainsi, aussi « animalisé » qu’il puisse paraitre, cet enfant sauvage pourrait bénéficier d’une éducation, d’une attention bienveillante et spécifique à sa façon d’être. Car, « jeté sur ce globe, sans forces physiques et sans idées innées…dans la horde sauvage la plus vagabonde comme dans la nation d’Europe la plus civilisée, l’homme n’est que ce qu’on le fait être » (Itard)
La suite !
Mafalda…Qu’est-ce que c’est encore que cette gamine…lucide, hypermature, développant une vision critique et pessimiste du monde… Elle ose discerner avec ses yeux d’enfant les travers de nos sociétés.

Cette petite argentine de la classe moyenne se rêve à l’ONU, et croit aussi fort à la paix dans le monde qu’elle aime les Beatles…Elle interpelle nos consciences satisfaites, en observant avec lucidité nos déboires du haut de sa mappemonde, en se faisant la porte-voix de l’indignation. Et ses dégoûts, tels que la soupe populaire, ne sont sans doute qu’une métaphore du pouvoir autoritaire des militaires…Cette petite fille, avec son regard aiguisé, serait donc un personnage avant-gardiste, rêvant d’émancipation féminine, se permettant de critiquer sa propre mère, femme au foyer ! Depuis quand une gosse de quatre ans peut-elle s’interroger sur des problèmes socio-économiques, sur les dysfonctionnements du système politique, sur la pauvreté, la corruption, sur les inégalités ? Depuis quand une gamine peut-elle devenir un symbole de l’esprit contestataire et anti-conformiste ? Des enfants peuvent-ils être pessimistes avec leur intelligence et optimiste par leur volonté, peuvent-ils dénoncer, protester ? De quel droit ces mioches viennent-ils nous affecter par leur lucide mélancolie et leur ironie corrosive ?

Mais faites-la taire cette Mafalda ! Que les forces de l’ordre la passent à tabac, et puis après on l’écrase de psychotropes jusqu’à ce qu’elle finisse par acquiescer gentiment à l’ordre politique, avec un sourire béat.
Bon, cessons de rêvasser. Il faut bien se remettre au boulot. Dossier suivant.
Alors celle-là, Sophie de Réan et tous ses malheurs… Mince, elle n’arrive pas à être une petite fille modèle, elle enchaîne les conneries, n’en fait qu’à sa tête, n’apprend rien malgré toute l’attention bourgeoise qu’elle reçoit.

A l'âge de quatre ans, Sophie est déjà une petite personne espiègle et volontaire. Elle aurait dû être dépistée à la crèche ! Sa gourmandise, sa désobéissance, ses colères et son étourderie l'entraînent dans une suite de mésaventures tout à fait répréhensibles.
Elle vient toutefois d’un bon milieu, certifié sous tous rapports…Et pourtant, elle s’acharne à faire le mal, elle coupe des petits poissons avec son couteau, abandonne son bel oiseau apprivoisé à un vautour…Cruauté innée, perversion constitutionnelle, curiosité pathologique. Une enfant terrible, « colère, menteuse, gourmande et méchante ».
« Comment faire pour avoir ce que je veux ? J'en ai si envie ! Il faut que je tâche de l’avoir ». Finalement, elle a peut-être de l’avenir dans la finance ou la politique ?
« Ha! Ha! Ha! c'est comme Sophie, qui vole et mange mes fruits et qui ment ensuite. Ha! Ha! Ha! ce petit ange ne vaut pas mieux que mon démon! Ha! Ha! Ha! Fouettez-la, chère madame, elle avouera ». Oui, c’est ça ! On va redresser son trouble caractériel, on va rentabiliser ses tendances constitutionnelles à l’avidité et à la prédation, ainsi que son angélisme bien niais.

Corrigez-là, sévèrement, sans pitié ! Quelques coups de trique, au pain sec…
Et envoyer là à Stanislas ! Ils vont vous la remettre dans le rang, d’un coup sec, et en faire une vraie cul bénie réactionnaire et disciplinée, une caricature de féminité soumise et hétéronormée, prête à réarmer démographiquement la nation !
Allez, on enchaîne
Alors, voici maintenant le Petit Prince. C’est quoi c’est espèce d’idiot autiste efféminé ?

Il a l’air de flotter, complètement éthéré - troubles des coordinations. Il sait pas dessiner en plus, troubles grapho-moteurs et dyspraxie. Préoccupé par une rose, intérêt restreint, stéréotypies. Il prétend voir avec le cœur ? « L’essentiel est invisible pour les yeux » ; ça donne envie de lui foutre des coups de pied au cul et de lui prescrire un bilan neuro-visuel, du fait d’un probable trouble visuo-spatial. Quelques séances d’orthoptie lui feront le plus grand bien.
« Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve ».Gnagnagna...Quelle ânerie, quel angélisme de pacotille. Dys-sentimentalisme. Refus de la réalité, c’est-à-dire du marché.
« Mais si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde ». Mais surtout pas ! C’est interdit de s’attacher aux prestataires interchangeables d’interventions brèves et non reconductibles. Pas de liens ni d’affects, mais des procédures recommandées, des protocoles validés.
« Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants. Mais peu d'entre elles s'en souviennent ». Encore heureux ! Il faut quitter l’enfance dare-dare et devenir productif. Syndrome de Peter Pan. Ancrage pathologique, angoisse de séparation. Refus de la rationalité et du sérieux. Prégnance de l’imaginaire morbide. Ratiboisez l’infantile qui résiste ! Deuil pathologique et tendances suicidaires, il veut se faire piquer par un serpent. On peut vraiment rien en tirer de celui-là, on le réexpédie sur sa planète ou on le laisse crever, de toute façon, il n’y a plus de lieux de soin pour le prendre en charge. Qu’il clamse dans le désert, il ne manquera à personne. Sinon, un stage paramilitaire de survie, pour injecter un peu de masculinité dans cet espèce d’androgyne mal genré ?
Allez, on enchaîne.
En voilà un qui arrive en divaguant, et qui virevolte à la recherche de son ombre…Peter Pan…

Agrandissement : Illustration 8

« Tous les enfants, hormis un seul, grandissent ». (Barrie J.M., p. 5). Celui-là a effectivement décidé de rester un éternel enfant, « gai, innocent et sans cœur » et de garder toutes ses dents de lait. Il ne peut y renoncer, n’ayant sans doute jamais pu la vivre véritablement, son enfance.
Alors, il reste insaisissable. Comme il le dit lui-même, « je suis la jeunesse, je suis la joie, je suis le petit oiseau sorti de sa coquille ». Et c’est ce qu'il entend rester pour toujours ; car la seule chose qui l'effraie est de devoir grandir, apprendre des choses graves et être un homme ; renoncer….
Au fond, il se débat et lutte contre une tristesse indicible, une dépression hors du temps. L’enfant qui pleure en nous…Pathétique nostalgie. Qu’il renonce, qu’il cède ; « les barreaux sont là pour la vie ». Il faut accepter la réalité, il faut s’adapter ! Le voilà captif d’un temps cyclique et figé. Le voilà qui s’insurge et qui dénie la finitude, qui transforme la gravité de l’existence en jeu : « et si la mort était la plus grande des aventures ! ». L’envol face à la douleur n’est qu’un fantasme maniaque de toute-puissance, témoignant du clivage d’un Moi immature, d’un bouclier contre les processus de différenciation et de maturation. Il refuse le creux des pertes qui hantent : « je ne pleurais pas à cause des mères. Je pleurais à cause de mon ombre qui ne veut pas tenir. Et puis, d’abord, je ne pleurais pas ».

Attention, nous commençons presque à faire de la psychopathologie. Recentrons-nous : les gènes, le microbiote, l’inflammation neuronale ! Contemplez ce moi meurtri et consumé, les cendres d’une souffrance tellement précoce qu’elle n’est pas temporalisée. Il chavire, à côté de lui-même, inconsistant, dyspraxique. Il lutte contre cet effondrement prématuré et indicible, irreprésentable. S’agite pour ne pas souffrir, pour dénier la douleur et le manque. Trouble hyperactif. Les enfants du trauma « volent à grande vitesse parmi les étoiles ; ils se sentent si minces qu’ils passent à travers les substances les plus denses ; là où ils sont, le temps n’existe pas » (S. Ferenczi, Psychanalyse IV). Cet enfant-là n’est pas né, il n’a pas été accueilli. Condamné à devenir insaisissable, à rester captif d’une vaine attente. Il regarde par la fenêtre ce que reçoivent les autres enfants, ceux qui grandissent : de la tendresse et de l’attention. Des liens. Et lui, privé d’humus et d’espérance. Dès lors, la seule chose qui l’effraie est de devoir grandir, « apprendre des choses graves et être un homme ». Trouble neuro-développemental. Peter affronte le temps, résiste à la pesanteur, au passage. Son corps est désarrimé, sans attache. Immortel. Le règne d’un plaisir sans cesse renouvelé qui tourne en boucle. Rien ne le touche, ne l’affecte, ne l’altère. Invincible, immortel. Éternel maître du jeu dans son royaume du « Neverland », enfermé dans un monde imaginaire et cyclique. Sans larmes, mais rongé par le vide. Sans ambivalence. La haine et la destructivité sont projetés à l’extérieur, vers une figure de double persécuteur, le Capitaine Crochet.
Peter Pan n’a ni mère ni mémoire. Trouble des fonctions exécutives. Il a été remplacé, il a été oublié. Depuis, il ne peut entrer véritablement en relation, garder une trace de l’altérité en lui, prisonnier de sa propre désertification psychique. Troubles des habiletés sociales. Il n’existe plus pour personne, il flotte, il fuit de façon frénétique, s’agite, s’excite. Il est à côté, telle une ombre ; « lorsque les enfants meurent, il les accompagne un bout de chemin pour qu’ils n’aient pas peur. » (Barrie J.M., p.10). Tout n’est que recommencement ; aussitôt passé, aussitôt oublié. Un jour sans fin, autoengendré. Sans souvenirs, sans traces, pas d’identité. Empêtré dans un présent permanent, pas de souvenirs ni de perspectives. Trouble de l’organisation spatio-temporelle. Solitude. Jouissance de l’instantané qui se consume. Tentation de la barbarie, car sans mémoire, tout est possible, même le pire. L’insensibilité est le ferment de toutes les cruautés, d’autant plus effrayantes qu’elles s’imposent avec le masque de l’innocence infantile. Peter Pan ne peut tolérer les trahisons, et la pire d’entre elles serait que ses compagnons s’autorisent à grandir, à se séparer. « Dès qu’ils semblent avoir grandi – ce qui est contraire au règlement, Peter Pan les supprime ». Les enfants perdus, jadis tombés de leur landau, sont, pour lui, interchangeables et consommables. Sans histoire, sans personnalité, sans identifications possibles. Tendances psychopathiques et perverses.
Oublier, encore, pour effacer les carences, pour ne plus souffrir de l’absence.
Corps désarticulé, désincarné, immuable. Non habité. Flétrissure d’une enfance évidée, qui ne peut plus mettre en mouvement la vie psychique et la pensée. Trouble cognitif.

Faire semblant plutôt que d’exister, rester coincé dans le comme si. Une joie perpétuelle et imperturbable pour enfouir la mélancolie. Un bonheur et une gaité feinte qui mettent à distance tout affect authentique. Maintenir les apparences, effacer l’agonie primitive et la crainte de l’effondrement. Haïr ce qui fait mal, ce qui peut se perdre, ce qui n’est pas garanti. Trouble caractérisé de l’attachement, de type ambivalent.
« On n’aurait pu rêver plus charmant tableau, mais il n’y avait personne pour le voir, si ce n’est un étrange garçon qui regardait derrière la fenêtre. Il lui arrivait de connaitre des félicités inouïes, interdites aux autres enfants, mais, en ce moment, il regardait à travers la vitre la seule joie qui lui était à jamais refusée. » (Barrie J.M., 1911, p. 130).
Ne pouvant endosser son trauma, il cherche à le faire porter aux autres, à les entraîner, à les corrompre. Il n’y aura pas de retrouvailles ; perdu, c’est perdu.
Les mères sont mortes et désaffectées. Et nous sommes tous condamnés à errer, à enterrer une partie de soi dans une nécropole enfouie.
Comment exister si l’on n’a jamais été reconnu par le regard de l’autre ? Comment faire un deuil si l’on n’a jamais rencontré ? Comment trouver du sens dans les creux et les absences ? Comment craindre de mourir si l’on a pu naître et devenir quelqu’un ?
Au fond, Peter Pan est dans un refus de ce que Philippe Gutton appelle le « pubertaire », c’est-à-dire le réveil pulsionnel adolescent, avec la résurgence des fantasmes infantiles. En l’occurrence, la « scène pubertaire, animant la psyché adolescente, fait rebondir la scène primitive sans en dévoiler les secrets ». Les représentations se sexualisent, le corps tendre de l’enfance devient énigmatique et séducteur, avec un affect d’étrangeté ; « il semble venir, d’ailleurs, des profondeurs ou de l’extérieur : « ce corps est-il le mien ? » (p25). De fait, « l’instinct génital surgit comme le loup dans la bergerie ; c’est une violence dans la tendresse infantile » (p44). Et « la dépendance à l’égard du corps est perçue par l’encore-enfant comme aliénation, clôture sur l’autre, égoïsme hideux, honteux ». Cette effraction pulsionnelle qui fait intrusion impose donc « un travail de familiarisation, d’intériorisation et d’identification – de sublimation ». C’est à la fois un effroi et une source vive de créativité qui jaillissent. Car l’adolescent doit pouvoir se subjectiver à partir de ce matériau pubertaire, affirmer un positionnement identitaire, des choix, un engagement, une voix, un devenir. Que cette affirmation soit normée ou marginale, attendue ou subversive. Il faut pouvoir n’être que soi…
Ce qui implique aussi de renoncer, de lâcher les fantasmes d’ubiquité, d’interchangeabilité et de toute-puissance. Ce qui suppose de pouvoir se déprimer, un peu, de façon nuancée, de tolérer l’ambivalence, l’inachevé, le manque, la temporalité, etc. Or, Peter Pan se maintient dans la fallacieuse promesse d’un non-renoncement. Il s’esquive en permanence pour ne pas laisser et assumer une coupure, un pas-tout…
Bon, pas besoin de tourner autour du pot, le cas est grave, pour ne pas dire désespéré. Probable bipolarité infantile, avec tendances perverses. Multi-dys, avec trouble de la perception temporelle. Et, sans doute, trouble neurodéveloppemental, comme toujours. Sa flore intestinale doit être complètement dérégulée, et la migration neuronale ainsi que la synaptogénèse ont été vraisemblablement altérés dès le stade fœtal. Faites-lui passer une IRM, un EEG. On pourrait aussi biopsier son cerveau.
Prescription : traitements thymorégulateur, antidépresseur, neuroleptique, et amphétaminique à posologie maximale. Et puis quelques Oméga 3 et compléments vitaminiques. Il ne doit pas manger beaucoup de légumes bio celui-là.
Enfin, plutôt que de le laisser se réfugier dans un pays imaginaire hors-temps afin de ne pas avoir à faire face aux enjeux du pubertaire, on pourrait tout simplement lui prescrire des retardateurs de puberté à haute dose. Substituer la vulnérabilité existentielle et relationnelle par une dépendance pharmacologique. Risque de stérilité, voire d’anorgasmie, en prime. Au moins, il ne risque pas de se reproduire celui-là !
Allez, remettons-nous à notre tâche sérieuse et nécessaire.
En voilà un autre qui n’a pas l’air de venir de chez nous…L’enfant Kirikou.

Il parle avant même d’être né, s’accouche tout seul, affronte la peur et les préjugés, n’exprime pas de ressentiment, comprend l’autre et la douleur, fait preuve de solidarité et de courage, pense par lui-même et n’écoute pas les rengaines conformistes. Kirikou n’est pas grand, mais il est vaillant, Kirikou est petit, mais il peut beaucoup. Et puis quoi encore ? Depuis quand des enfants pourraient-ils pouvoir quoi que ce soit ? Cette curiosité, cette impatience à découvrir la vie par lui-même, c’est très suspect…Et puis, cette valse étourdissante de questions, et cette insistance sur nos préjugés, nos compromissions, et sur les enjeux politiques ou existentiels que nous occultons avec abnégation au quotidien ; l’origine du mal ? Pourquoi la méchanceté, l’envie, la haine ? L’enfant Kirikou refuse les stigmatisations et l’ostracisme. Il déconstruit les catégories et les anathèmes. Il voit au-delà des opinions préconçues et définitives. Ainsi, il ose affirmer que la sorcière Karaba n’est pas mauvaise par essence, en soi, mais parce qu’elle souffre, parce qu’elle a été suppliciée. Et que le rejet attise la rancune. Il prétend s’extraire de la loi du Talion, œil pour œil, dent pour dent. Il tend la main, il souhaite rencontrer, il ressent, il est affecté. L’altérité l’éveille, plutôt que d’attiser sa panique morale et son repli apeuré. Il ne se laisse pas contaminer par les superstitions, les rumeurs ou les faits alternatifs. Il veut faire l’épreuve de la vérité, quitte à en être altéré. Il affronte les affres de la subjectivation, au-delà des assignations identitaires et des prêts-à-exister. Kirikou le déconstructeur…
D’ailleurs, comment expliquer que les hommes soient transformés en fétiches serviles, conformistes, pathétiques, décérébrés, irresponsables ? …Quelle terrible vision sur l’âge adulte, sur la fabrique des masculinités, c’est insupportable ! Serait-ce une dénonciation de notre lâcheté de nos coupables compromissions, de notre intolérance et de nos aveuglements ?

Celui-là, il faut s’en méfier ; le plus simple est de le parquer en Centre de Rétention Administrative, de lui foutre une Obligation de Quitter le Territoire Français au cul, et de le renvoyer dans son pays. On peut tout de même pas accueillir toute la misère du monde, non mais !
Oh, encore une étrangère ! La petite Chihiro, une fillette de dix ans, exprimant d’emblée un caractère réfractaire.

Alors que sa famille déménage, elle se montre boudeuse, butée et renfrognée. Et la voilà qui pénètre dans le monde des esprits, alors que ses parents se transforment en porcs, pris au piège de l’excès de consommation et de l’avidité mimétique au sein d’un parc d’attractions. Dès lors, ils serviront eux-mêmes de nourriture, donnés en pâture aux divinités qui se bâfrent…Des adultes irresponsables, inattentifs, captifs d’une pulsionnalité dévorante qui les indifférencie…

Laissant donc une enfant livrée à elle-même, au sein d’un univers étrange et très hiérarchisé. Relativement craintive, capricieuse et passive initialement, Chihiro va devoir faire face par elle-même, gagner en confiance et affronter de nombreuses péripéties dans un monde hostile, absurde, tautologique et pédophobe. Elle doit travailler en tant qu’employé des bains, signer un contrat, au risque de perdre son nom et son individualité. Comment faire face aux tâches qu’on lui impose, accepter les règles insignifiantes d’une société inégalitaire, se soumettre sans pour autant perdre son identité et devenir transparente ?
Dans cette quête initiatique, Chihiro reste à la fois consciencieuse, tout en maintenant son esprit critique, en restant attentive à sa réalité, aux liens, aux personnes…Elle découvre alors l’amour, le don de soi, une certaine forme de maturité dans l’épreuve de la séparation d’avec ses parents. Elle doit faire preuve d’initiative, prendre des risques, faire confiance. Confrontée à l’emprise de la consommation, du pouvoir, de la luxure et de la pollution, Chihiro doit rester elle-même et s’appuyer sur sa sensibilité et son intuition, pour ne pas sombrer dans un conformisme annihilant. Elle doit se fondre, sans imiter, et rester créative, tournée vers l’espérance. Comment rester soi face à l’artificialité qui règne, tant dans les règles que dans les rapports, fondés sur la duplicité, la verticalité et l’autoritarisme ? Comment résister à la perversité du pouvoir ?
La force des attachements, la sincérité, peuvent-ils subvertir la logique du même et de l’indifférenciation ?
Chihiro reste animée par un désir authentique, incarnée ; elle refuse d’être réduite au statut d’objet consommable ; elle persiste à ressentir, à être affectée et étonnée. Elle ne cède pas sur sa volonté de comprendre et de compatir. Elle insiste, elle résiste, malgré l’angoisse. Elle prend le risque d’exister et d’affronter l’effroi. Elle résonne, vibre, tremble ; s’interroge. Son empathie avec le monde n’est pas rognée ; elle doit continuer à revendiquer sa marginalité, sa différence, sa singularité. On la trimballe, on l’exploite, on la néglige. Mais elle ne cède pas…

Voilà donc une fillette réfractaire, inadaptable, incapable d’accepter les normes disciplinaires et hiérarchiques qu’on veut lui imposer. Son regard questionne et n’accepte pas les évidences. Cette Chihiro est une agitatrice anti-sociale ! Elle représente la puissance de subversion de l’enfance, son refus des lois et des règlements, son rejet des identifications aliénantes. Elle déconstruit par son impolitesse et son impertinence. Elle est le grain de sable qui enraye les rouages, l’empêcheuse de tourner en rond. L’infantile insubordonné ; fragile, imbécile, inapte. Elle ne se laisse pas corrompre.
Cette étrangère ne peut que semer les germes de la discorde. Ignorante, archaïque. Culturellement arriérée. Inintégrable. Elle veut travailler chez nous ? Elle devra d’abord s’acculturer, se soumettre et s’oublier. On va la formater, elle vénérera nos saints et nos idoles. Elle se prosternera devant notre rationalité et devant nos Lois du marché. Offre et demande. Satisfaction client. Consommation. Sacrifice. Horaires décalés, précarité. Voilà l’immigration choisie. Elle doit devenir capital humain dans un environnement hautement concurrentiel, adapter son comportement à la logique du rendement. Qu’elle commence par déserter son enfance et ses racines. Qu’elle quitte sa langue et sa culture. Un stage intensif de remédiation et de réadaptation aura peut-être raison de son insubordination. Sinon, on la parquera dans un camp, quelque part, en toute discrétion, comme les dizaines de millions de personnes indésirables qui y vivent ; qu’on regroupe, séquestre, retient ; qu’on met à l’écart, qu’on fait transiter ; qu’on invisibilise dans ces hors-lieux, dans nos marges clandestines et nos interstices inavouables…
Murmures....
Dans l'assemblée, un individu se lève..."Nous n'en pouvons plus de diagnostiquer tous ces personnages imaginaires. On veut du vrai, la réalité de la chair infantile. De l'Histoire. Du sacrifice vécu".
Didier Salon-Macraud réfléchit un instant l'air grave ; "Oui, je vous comprends, vous avez bien raison. Alors, pour finir, je vais vous livrer un personnage bien réel, bien assassiné. Une figure emblématique ! Du meurtre et du drame. Vous en aurez pour votre appétit !"
Allez, pour conclure, nous achèverons définitivement la jeunesse idéaliste et révoltée : faites entrer le symbole à récupérer et à affadir, Guy Môquet.

Voilà encore un adolescent engagé, fervent militant des Jeunesses Communistes – ce qui est déjà, en soi, un symptôme très inquiétant. Voilà à nouveau un « titi », gouailleur, poète, séducteur, coureur, agité…Voilà à nouveau un mineur qui croit s’émanciper en sortant de la norme et de l’obéissance conformiste à l’ordre institué.
Sans doute victime d’une hérédité viciée, puisque son géniteur sera lui-même arrêté dès 1939. Et vous croyez que cela l’aura calmé le gosse ? Et bien non, cela a visiblement attisé son ardeur militante et son engagement. Du haut de son adolescence, il écrit à Édouard Herriot, président de la Chambre des députés, pour réclamer la libération de son père ; quel toupet !
Au moment de l’occupation de Paris et de l’instauration du régime de Vichy, il colle des « papillons » et distribue des tracts. « Secouant l’édredon de peur qui étouffait Paris, il avait osé commettre un acte illégal » (Pierre Daix, Dénis de mémoire, Paris, 2008). Conduites à risque avec tendance prononcée au sabordage.
Comme il le cherchait, il est finalement arrêté sur dénonciation le 13 octobre 1940, à l’âge de seize ans. S’en suit tout un traquenard bureaucratico-diplomatique. Un temps acquitté comme ayant agi sans discernement, puis finalement interné sur simple décision préfectorale, il est transféré ; on enquête, on le trimballe au gré de l’arbitraire judiciaire à la solde de autorités corrompues et collaboratrices. Et le gamin résiste, s’insurge ; il écrit une lettre de protestation au procureur pour dénoncer des actes illégaux. A l’évidence, il n’a pas compris que la Loi, c’est nous ! Les Renseignements Généraux ont bien appréhendé la dangerosité de l’adolescent, et il écumera alors les maisons d’arrêt avant d’être exécuté, pour l’exemple, au Mont Valérien. On connaît tous sa dernière lettre de morveux qui pense à maman. Mais, on a également retrouvé sur lui des écrits séditieux, témoignant d’une tendance antisociale profondément, génétiquement, enracinée, associée à ses troubles du comportement. En guise de preuve, lisez cet aveu, de sa plume :
« Les traîtres de notre pays
Ces agents du capitalisme
Nous les chasserons hors d’ici
Pour instaurer le socialisme »
Vous avez besoin d’autres éléments ? Refus de l’ordre, idéalisme politique, prosélytisme, opposition systématique, conduites à risque, dimension processuelle et paranoïaque…
Qu’on l’exécute, à nouveau, encore et encore !
Ou alors, on récupère le symbole, on l’édulcore ? En effet, quand Guy Môquet distribuait des tracts, son cher Parti Communiste n’était pas entré en résistance et s’accommodait flegmatiquement du pacte germano-soviétique…Sa dernière lettre, lue au lycéens en 2007 à l’initiative du Président Nicolas Sarkozy, est pleine d’une ferveur naïve et très familialiste, en dépit de l’ « héroïsme manifesté dans la lutte la plus indiscutable qui soit, celle qui a opposé la Résistance aux barbares hitlériens » (Laurent Joffrin, « Oui, il faut lire la lettre de Guy Môquet », Libération, 24 mai 2007). Car Guy Môquet incarne l’ambivalence de la jeunesse révoltée. A la fois impétueuse, déterminée, farouche et désobéissante ; et, en même temps, disciplinée, sans perspective ni pragmatisme politique. Ainsi, Guy Môquet maintient une allégeance sans faille à l’ordre familial, à son père, au Parti…Ce qui ne l’empêche pas de prendre des risques, de bifurquer, et d’y aller, quand tant d’adultes, par « réalisme », se compromettent…
Et avec lui, tous ces mineurs qui s’engagent et résistent ! Dans son ouvrage « La Rose et l’edelweiss », Roger Faligot dresse une impressionnante fresque de tous ces adolescents entrés en dissidence dès les années 1930, face à la montée des régimes fascistes, et n’ayant pas eu peur de se révolter voir de prendre les armes pour lutter contre l’intolérable – et les compromissions des « grandes personnes ».
Ils avaient pour noms la Rose blanche, les Pirates de l'edelweiss, les Volontaires de la liberté, les Schlurfs, les Chattes paresseuses, la Cagoule 40, la Main noire, l'Espoir français, le Club Churchill, le groupe du Boul'Mich, les Navajos, la Phalange antinazie, les Zazous, les Pionniers rouges, les « scouts gris », la compagnie Gavroche, le Groupe insurrectionnel français, les swing kids, la Jeune Garde, le Club du serpent, le Groupe 07, la Bande à Jojo, le groupe Marceau, les piccoli partigiani d’Italia e di Corsica…Ils s’appelaient Anne Corre en Bretagne, Paul Lespine dans les Glières, Louis Sabatié à Toulouse, Marcel Weinum à Strasbourg, Thomas Elek à Paris, Henri Fertet à Besançon…Et ils ont dit « Non » ! Ils ont été de tous les maquis, ils ont été la (mauvaise) conscience des adultes et l’avant-garde du refus, passant de la solidarité au combat, au péril de leur vie – avant d’être invisibilisés et effacés de l’histoire…Fusillés, déportés, torturés…Et exécutés à nouveau par l’oubli et l’indifférence. Pourtant, « l’armée des ombres est une armée d’enfants », comme l’affirmait Daniel Cordier, ex-secrétaire de Jean Moulin, en 2004 sur France Culture.
« Le concept de déviance servira bientôt à tout désigner, à tout dénoncer : les jeunes bolcheviks, les révoltés sans cause, les insoumis, les déserteurs » (Georges Lapassade)
Dans notre contexte contemporain, la jeunesse peut également se mobiliser, par exemple face à l’inertie politique à l’égard du réchauffement climatique. Marches, « grèves », occupation, revendications…Elle peut protester, s’insurger, voire devenir émeutière, lorsque l’intolérable survient. Les jeunes deviennent alors les classes dangereuses d’aujourd’hui, les représentants de l’ensauvagement de la vie sociale, l’avant-garde bestialisée de la décadence et du délitement des valeurs…Ces mouvements portent effectivement quelque chose d’hétérogène à l’ordre dominant, ils s’inscrivent dans un certain répertoire des luttes radicales, d’affirmation d’une puissance commune, d’une dignité, d’une existence. Des bandes, des meutes, hors de contrôle, qu’il faut mâter. De fait, acculer ainsi l’indiscipline et la barbarie adolescentes est bien commode pour détourner le regard des véritables origines de la violence (discriminations, inégalités, séparatisme, sacrifice, décomposition sociale, etc.), tout en légitimant le déploiement de politiques sécuritaires. Si le monde va mal, si la brutalité se répand, c’est sûrement parce que les enfants sont des nuisibles, mal dressés et pervertis…Comme le soulignait E. Macron le 24 juillet 2023, au décours du mouvement insurrectionnel ayant fait suite à l’homicide du jeune Nahel par un policier lors d’un contrôle routier, « les émeutiers étaient très jeunes : parmi 600 déférés, l’âge moyen est de 16 ans [officiellement, il y a eu 990 déférés et la moyenne d’âge était 17 ans], pour une très grande majorité « pas connus », et pour une « écrasante majorité » vivant dans un contexte familial dégradé soit familles monoparentales soit parce qu’ils sont à l’aide sociale à l’enfance ». Voici donc le Lumpenproletariat infantile, cette masse qu’il faut réprimer, contre laquelle il faut réarmer – sur le plan démographique et policier. Le 18 avril 2024, au lendemain d’un nouveau drame mortel ayant coûté la vie à un adolescent, le Premier ministre Gabriel Attal fustigeait ainsi ces jeunes « qui défient l’autorité », ces parents « défaillants » « qui n’assument pas leurs responsabilités », « l’entrisme islamiste », ou encore les juges laxistes…Il en appelait donc à un « sursaut d’autorité » en pointant une justice des mineurs trop indulgente et en remettant en cause le principe d’atténuation de minorité, qui donnait la primauté à l’éducatif sur le répressif. Il fixait ainsi comme « boussole » la « sanction immédiate », qui serait alors mentionnée « sur leur brevet, leur CAP ou leur bac », « sur leur dossier Parcoursup », avec des « signalements systématiques aux procureurs en cas d’atteinte grave aux valeurs de la République » - dans ces conditions, Guy Môquet, s’il n’avait pas été fusillé, n’aurait jamais pu intégrer une business school… De surcroit, « des commissions éducatives » devraient pouvoir prononcer des « exclusions d’élèves dans le premier degré », sans en passer par la justice. Rejet, mise au banc, stigmatisation, répression, punition, précarisation…Voilà les mots d’ordre prioritaires pour permettre aux nouvelles générations de faire face aux débris qu’on leur laisse en héritage…
"Bon, sur ces bonnes paroles, il va bien falloir nous quitter. Nous pouvons cependant être fiers du travail accompli, au nom des dominations instituées. Poursuivons notre tâche d'évangélisation neurodéveloppementale, ainsi que la colonistation de l'enfance par les valeurs du marché. Exploitons cette matière informe et menaçante, ce capital à optimiser. Ecrasons-les !" Didier Salon-Macrond essuie les larmes de crocodile qui dégoulinent le long de ses joues adipeuses. On lui tape dans le dos, on s'enserre, on se roule des palots langoureux. Viva ! Bravo ! Bravissimo !...
« -Qu’as-tu fait, ô toi que voilà,
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ? »
Paul Verlaine, Le ciel est par-dessus le toit

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Alors, il se passe quelque chose d'étrange...Voilà que se lève la masse des enfants, tous ceux qui étaient apeurés, recroquevillés, écrasés. Ils se dressent, ils se prennent par la main. Les contentions sont arrachées, les chaînes sont brisées. Et le cortège des bambins envahit subrepticement la salle. Gavroche, Antoine Doinel, Arthur Rimbaud, le Petit Chaperon Rouge, Augustin, Jean-Jacques, Marcel, Jésus, Greta, Boucle d'Or, Anne Franck, Claudette Colvin, Huckleberry Finn, Oliver Twist, Jacques Vingtras, Forrest Gump, Bart Simpson, Mafalda, Peter Pan, Chihiro, Kirikou, Harry Potter, le Kid, Alice, le Petit Prince, Sophie, et Guy Môquet...et tant d'autres avec.
Tous, ils avancent, et derrière eux, Fernand Deligny, Tony Lainé, Frantz Fanon, Georges Politzer, Georges Devereux, et beaucoup d'autres....Soignants, éducateurs, enseignants, parents.... et tous ceux qui ont su garder un lien avec l'enfance, celle des autres et la leur...
Didier Salon-Macraud s'interpose brutalement. Boucle d'Or et le Petit Chaperon Rouge lui administrent une clef de bras, et le projettent au sol. Il hurle comme un goret, pathétique. Et tous les éminents experts sont déplacés vers le box des prévenus, malgré leurs protestations de porcherie.
"Mesdames et Messieurs, vous êtes accusés de haine à l'égard de l'enfance, de pédophpobie, et de tentative d'infanticide symbolique. Vous allez comparaitre devant tous ces enfants meurtris, accablés, catégorisés, que vous avez enfermés dans vos prophéties. Vous êtes soupçonnés de conflits d'intérêts avec les puissance de l'ordre, de compromission, d'autorité abusive, de mépris social, d'oubli de l'éthique, de refus de la rencontre....Vous aurez à rendre compte de vos agissements et de vos prétentions. Chers experts, le pouvoir a changé de bord ! Et contrairement à ce que recommandait le Petit Prince, les enfants ne doivent plus être très indulgents envers les grandes personnes....
"Nous débouchions ainsi sur le vrai problème et sur ce qui était l'enjeu depuis le début. Libérer la parole de Christian signifierait, en définitive, s'attaquer au verrou hiérarchique mis en place par une société qui renferme ceux qu'elle ne veut point entendre. Ce n'est pas un mince paradoxe de constater qu'un frêle blondinet de dix ans peut, en parlant, spontanément, bouleverser tant de choses et servir de révélateur" Jean Sandretto, Un enfant dans l'asile