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Billet de blog 5 mai 2023

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Généalogie du patriarcat : fragments de la domination (7)

Appréhender l'institution hégémonique de la domination masculine suppose de prendre en compte les enjeux socio-économiques ayant contribué à imposer l'antagonisme sexuel dans les sociétés "primitives". Le pouvoir ou l'infériorisation apparaissent alors dans leurs ancrages profonds, mais aussi dans leur caractère "arbitraire", repris secondairement par des narrations idéologiques.

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La domination masculine et la coercition des femmes sont-elles directement corrélées à la structure socio-économique ? Quelles sont les déterminants d’une organisation sociale « inégalitaire » entre les sexes ? Dans quels domaines s’exerce spécifiquement le pouvoir politique des hommes, et quels en sont les soubassements historiques ? 

Illustration 1

L’égalité ou la complémentarité n’empêchent pas un statut dégradé pour les femmes


Dans de très nombreuses sociétés d’horticulteurs économiquement égalitaires et très loin d’être structurées en authentiques classes sociales, le statut des femmes apparaît néanmoins comme inférieur à celui des hommes. Cette subordination féminine se manifeste à la fois sur le plan des comportements, des jugements moraux, du droit coutumier et des conceptions religieuses. Même dans des organisations sociales égalitaires, la violence peut être institutionnalisée, reconnue par la société comme nécessaire et légitime, et venant renforcer un fort antagonisme sexuel très hiérarchisé. En outre, l’échange des épouses et la plus grande liberté extra-maritale des hommes sont également très fréquentes. Ainsi, « loin d’être un « produit de luxe de l’Histoire », la polygynie apparaît au contraire comme l’un des plus anciens et les plus banals, ce que tendent à confirmer les dernières études génétiques, qui suggèrent qu’elle était générale chez Homo Sapiens depuis 70 000 ans au moins » (Christophe Darmangeat). Malgré une certaine complémentarité ou un relatif équilibre dans la division sexuelle des tâches, le statut des femmes reste donc globalement celui d’un « partenaire subalterne ».
Par exemple, « les Baruya présentent l’image d’une organisation minutieuse de la domination d’un sexe par l’autre, domination systématisée au travers d’un ensemble de croyances magico-religieuses. Les hommes entretenaient par mille moyens l’idéologie qui justifiait leur supériorité ». Dans cette société, la supériorité masculine est marquée de toutes parts : dans les dénominations de parenté comme dans la géographie, dans la valorisation des activités économiques comme dans les secrets religieux. Voici par exemple ce que pouvait en dire Maurice Godelier : « les hommes jouissaient dans cette société de toute une série de monopoles ou de fonctions-clefs qui leur assuraient en permanence, collectivement ou individuellement, une supériorité pratique et théorique sur les femmes, supériorité matérielle, culturelle, idéelle et symbolique ». 
La domination masculine se retrouve également dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs sans richesses, par exemple chez les Selk’nam, nomades de la Terre de Feu, les Inuits, ou les aborigènes australiens. Voilà d’ailleurs ce que pouvait énoncer Daisy Bates par rapport au statut du féminin dans cette culture aborigène : « une femme est moins qu’une poussière Son infériorité est reconnue des plus jeunes enfants de la tribu (…). Les secrets de la vie, les lois de la vie, sont dans les mains des hommes ». Ou encore le témoignage de l’aborigène Waipuldanya à propos de sa mère : « elle était entièrement soumise à son mari (…), un bien mobilier, une génitrice pour ses fils, son rôle lui étant imposé par la dictature de la tribu, selon un schéma sociologique inflexible ». Dans une tribu du Queensland, lorsqu’un viol était commis « s’il s’agit d’une célibataire, personne ne se préoccupe de l’affaire » …
Ainsi, dans ces sociétés sans richesse matérielle ni classes sociales ou hiérarchies politiques, le pouvoir des hommes se jouait notamment au travers des décisions concernant les droits sur les femmes – même s’il parait probable que, sur certains plans, les femmes pouvaient jouir d’une situation favorable, tandis que sur d’autres, elles étaient davantage les victimes d’une incontestable domination masculine. Au fond, une large autonomie n’est pas forcément incompatible avec une certaine forme de subordination…Le fait est que les femmes ne disposaient pas d’une capacité réelle à prendre des décisions officielles concernant l’ensemble de la communauté, en dehors de voies « discrètes, insidieuses, et officieuses » contribuant à influencer les décisions sociales. 
Ainsi, même dans des sociétés très égalitaires sur le plan économique, et dans une « économie domestique communiste », la domination masculine parait indéniable – contrairement à certains postulats du marxisme classique.

Mainmise masculine sur les sphères publiques et politiques


« Partout, les hommes ont occupé le poste de metteur en scène (…). Les hommes ont toujours été les dirigeants des affaires publiques et les autorités ultimes dans la sphère domestique » Margaret Mead


De fait, la manifestation la plus évidente de ce pouvoir masculin est en rapport avec « la prépondérance des hommes sur la représentation politique de la communauté et sur la gestion de ses relations extérieures, prépondérance allant souvent jusqu’au monopole » (Christophe Darmangeat). Cette domination politique instituée et affirmée se voyait alors « appuyée sur une idéologie qui la légitimait, accompagnée de multiples pratiques symboliques, et adossée à la violence physique ». Au fond, malgré la possibilité d’un équilibre global entre des pouvoirs de nature différente, la direction officielle des affaires publiques apparaît indéniablement comme un monopole masculin, même dans des sociétés « primitives » égalitaires. 
Les inégalités de genre se sont aussi instituées à partir des spatialités spécifiques dévolues aux hommes et aux femmes. Ainsi, comme le rappelle Rita Laura Segato, « l'expérience historique masculine se caractérise par des trajets de longue distance exigés par les expéditions de chasse, de négociation et de guerre entre villages, et plus tard face au front colonial. L'histoire des femmes met au contraire l'accent sur l'ancrage et les relations de proximité ». 
Le domaine du féminin s’est ainsi trouvé cantonné dans « cet espace du lien, du contact corporel rapproché et moins protocolaire, dévalorisé puis abandonné quand l'empire de la sphère publique s'est imposé à tous ». Or, dans nos enjeux contemporains, il faudrait sans doute envisager une autre façon d’investir l’action politique, en affirmant ces lieux de proximité et d’intimité comme éminemment légitimes, car susceptibles de prendre véritablement en compte les liens et la vulnérabilité, et de favoriser le déploiement d’une politique plus incarnée du soin et de l’attention, « et non de distances protocolaires et d'abstraction bureaucratique ». 

Illustration 2

Justifications par les narrations idéologiques et mythiques

Comme le souligne Christophe Darmangeat, « les sociétés marquées par une forte domination masculine justifient couramment celle-ci par des mythes racontant que naguère, c’étaient les femmes qui détenaient le pouvoir ou l’accès à certains savoirs ésotériques, et que les choses allant de travers, elles les ont finalement perdus au profit des hommes ». « Dans ces mythes, les femmes créent comme elles enfantent, sans comprendre, sans tête ; mais, « heureusement », l’homme est là pour réguler cette puissance féminine anarchique »(Françoise Héritier).

Illustration 3

De fait, « la vraie finalité des mythes n’est pas de transmettre, fidèlement ou non, le passé : elle est d’enseigner un passé qui justifie le présent, quitte à la forger de toutes pièces » (Christophe Darmangeat). Ici, il s’agit donc de reconstituer un passé imaginaire par le renversement symétrique de l’ordre actuel, en tant que facteur explicatif de cet état. Cette mise en scène mythologique d’un matriarcat révolu, en inversion des rapports de domination effectifs, contribue à justifier la coercition féminine en insistant sur la responsabilité des femmes dans la perte de leur prééminence. « Le matriarcat est un lieu commun des mythes de maintes sociétés à domination masculine ; mais si ceux-ci sont éloquents sur la justification idéologique de cette domination, ils restent désespérément muets tant sur la manière réelle dont elle s’est instaurés que sur la nature des relations entre les sexes qui la précédait ». 

Des organisations sociales plus égalitaires envers les femmes ? 

Illustration 4

Les études anthropologiques ont ainsi pu s’intéresser à la « ceinture matrilinéaire Bantu », ethnie gynécostatique s’étendant des côtes atlantiques de l’Angola aux côtes tanzaniennes et mozambicaines de l’Océan Indien. L’observation de ce type de société constitue un contre-exemple au mythe de la domination masculine universelle. De fait, dans cette organisation communautaire, le cœur social est constitué par la « sororie », ensemble de trois à quatre générations successives de femmes issues en ligne matrilinéaire d’une ancêtre commune, généalogiquement proche. « En raison du mariage préférentiel et matrilocal, tous les hommes adultes du hameau sont des époux de ces femmes et sont principalement issus d’un même matriclan affin. L’ensemble des habitants du hameau constitue un groupe de solidarité et de coopération économique dont l’activité est coordonnée par ses membres aînés ». Par ailleurs, « les femmes maîtrisent l’ensemble de la chaîne opératoire qui mène du champ à la consommation, certes au prix d’un investissement en travail important ». « Elles forment un groupe de production autonome et des rapports de domination semblent s’esquisser au détriment des hommes », du fait notamment de leur prééminence en termes de production agroalimentaire.
Cependant, une des conditions du maintien de ce système semble être la paix, la liberté de circulation, l’absence d’oppression instituée. « C’est seulement soumis à des situations historiques spécifiques que la violence s’impose comme modalité structurelle de gestion sociale, que les pratiques de rapt se développent et que la voie est ouverte à la domination masculine ». Ainsi, « en période précoloniale, c’est à partir du moment où la violence surgit comme nécessité permanente à la survie de la communauté domestique que celle-ci évolue, que les femmes tombent sous la protection masculine, voient leurs prérogatives amoindries et leur domination remise en cause ». Et il parait évident que l’administration coloniale est venue bouleversée définitivement ces îlots de matridominance ; en effet, « la majorité des sociétés ethnographiées sont altérées par la participation ou l’exposition au commerce de traite (Yao, Makkhuwa, etc.), la domination de sociétés africaines centralisées (Bemba, Lozi, mfecane) et la domination coloniale ».
Cependant, cette documentation souligne à nouveau le champ des possibles en termes d’organisation sociale, et la possibilité réelle d’institutions collectives plus égalitaires, intégrant la différence sans l’ériger en antagonisme hiérarchique…

Qu’est-ce que l’égalité des sexes ?

Comme on l’a déjà souligné, le matriarcat au sens strict ne s’est sans doute jamais incarné dans aucune société, et il s’agit davantage d’une construction mythique. Cependant, il a pu être observé « plusieurs peuples, en particulier parmi ceux qui conjuguent matrilinéarité et matrilocalité (Iroquois, Na ou Minangkabau), chez lesquels les femmes jouissaient d’une indéniable considération » (Christophe Darmangeat). Or, même là où leur influence semble être relativement comparable à celle des hommes, certaines fonctions leur restent partiellement ou totalement inaccessibles. La complémentarité n’empêche pas l’ascendant, ni même la franche oppression de l’une des parties sur l’autre…Par ailleurs, des rapports de genre plutôt « symétriques » ou « équilibrés » se retrouvent également chez certains chasseurs cueilleurs (Mbuti, Andamanais, !Kung) sans d’ailleurs que ceux-ci connaissent ni la filiation matrilinéaire ni la matrilocalité. 

De fait, d’après Christophe Darmangeat, « le sexe n’est jamais la seule variable déterminant la position des individus dans la société ». Ainsi, des Inuits ou de l’Australie, on peut dire que l’âge, sous certains aspects, prédominait sur le sexe ; de Rome, que le statut libre ou servile y primait inconditionnellement sur le genre, dans la mesure où une femme libre commandait aux esclaves des deux sexes. « Mais à chaque fois, on est en droit d’étudier la position des deux sexes indépendamment des autres paramètres, et de conclure que les hommes dominaient les femmes – quoique de manière tout à fait différente dans un cas et dans l’autre ». Ce qui n’est pas sans évoquer les approches intersectionnelles…
Par ailleurs, « dans chaque culture, la valeur, ou le prestige, associée à chaque sexe est une chose, et la réalité de la hiérarchie des sexes en est parfois une autre ». De fait, le problème de l’égalité des sexes ne se limite pas à sa dimension axiologique, idéologique ou juridique. Comme le soulignait déjà Engels, l’égalité en droit, en valeurs, en discours, ou en représentation, n’est que la condition nécessaire, et nullement suffisante, de l’égalité réelle. Une telle égalité des sexes supposerait en réalité l’identité ou l’indifférenciation des rôles sociaux qui leur sont assignés, ainsi qu’un accès réel aux sphères de décision politique sans discrimination de genre. « Ce dont il est question lorsqu’on parle d’égalité des sexes, ce n’est pas que les individus (sexués) soient identiques en tout point mais que, quel que soit leur sexe, ces individus puissent jouer les mêmes rôles sociaux, qu’ils bénéficient des mêmes possibilités et des mêmes contraintes, de droit ou de fait ». Cependant, une telle égalité pourrait aussi bien maintenir des hiérarchies et des antagonismes sur le plan des valeurs, des affects et des représentations ; ainsi, malgré les progrès indéniables en termes d’égalité des droits, « l’infériorisation des femmes dans notre société passe par mille autres canaux, à commencer par l’idéologie selon laquelle leur corps et leur sexualité appartiennent aux hommes » (C. Darmangeat).

Aux origines de la division sexuelle

Indubitablement, les sociétés primitives se situent très exactement aux antipodes de cette conception de l’égalité des sexes, dans la mesure où elles sont édifiées, à un degré ou à un autre, sur le clivage entre les domaines masculins et féminins. Dans ces organisations sociales, « à chaque sexe correspondent des activités et des règles », voire une forme d’identité sociale close - même si « la norme des rapports entre hommes et femmes, réglant la place qui doit échoir aux uns et aux autres, est sujette à d’infinies variations culturelles ». Ainsi, « les sociétés primitives définissent toujours des sphères masculines et féminines séparées, poussant même parfois cette logique à l’extrême ». Cette séparation genrée « donne lieu à des combinaisons extrêmement variées de droits et de contraintes, de privilèges, d’interdits, sans que ce qui advient dans un domaine entraine forcément de conséquences sur les autres, rendant les généralisations d’autant plus difficiles ». La répartition respective des rôles sexués est ainsi très fluctuante : « dans certains cas, hommes et femmes semblent exercer une influence sensiblement équivalente, quoique les canaux de cette influence soient toujours de nature différente. Ailleurs, la société présente une physionomie d’une domination masculine plus ou moins prononcée ».

Dès lors, « à partir du moment où les règles coutumières assignent aux deux sexes des places différentes dans la société, et même si ces places ne sont que partiellement distinctes, parler d’inégalité soulève des problèmes épineux, et parler d’égalité de plus épineux encore ». D’ailleurs, ce questionnement peut finalement paraître assez ethnocentré, tant cette représentation de l’égalité est une conception ayant émergé dans des conditions socio-historiques spécifiques. Ainsi, il n’est pas certain que les femmes « victimes » de la domination masculine dans ces sociétés précapitalistes aient eu une conscience explicite de la dimension instituée de cet assujettissement et qu’ait pu s’affirmer une quelconque volonté collective de s’en extraire en imposant des significations imaginaires sociales inédites. « Même là où existaient certaines formes collectives de résistance et de solidarité féminines, les femmes n’ont jamais revendiqué l’abolition des dispositions qui faisaient d’elles des êtres socialement différents des hommes. Avant le contact avec l’Occident, une telle revendication, ou même une telle aspiration, était tout simplement inconcevable ». 
En tout cas, « l’idée que devrait disparaître toute prescription, même indicative, pour que chaque sexe soit en charge d’activités déterminées n’a jamais germé chez aucun peuple précapitaliste ». Ainsi, « l’idéal de l’égalité des sexes a été un produit tout aussi nécessaire de la société moderne et d’elle seule. Ces raisons doivent bien entendu être recherchées non dans les sphères éthérées des opinions, des croyances et des préjugés, mais dans l’organisation matérielle de la société ».

Repli du féminin sur la sphère privée

« L'espace des femmes et tout ce qui est lié à la sphère domestique, se vide de sa propre politicité et des réciproques dont elles jouissaient dans la vie communautaire. L'espace domestique devient la marge et le reliquat en politique » (Rita Laura Segato)

Illustration 5

Chez Engels, l’élément principal qui conditionne la position sociale des femmes est le rôle qu’elles occupent dans les travaux productifs, et la dégradation de leur statut et de leur sort s’explique notamment par la relégation de leur activité dans la sphère privée : « avec la famille patriarcale, et plus encore avec la famille individuelle monogamique (…) la direction du ménage perdit son caractère public. Elle ne concerna plus la société ; elle devint un service privé ; la femme devint une première servante, elle fut écartée de la participation à la production sociale ».
Cependant, Christophe Darmangeat souligne que, dans toutes les sociétés « primitives », y compris de chasseurs-cueilleurs, les femmes assument une fraction essentielle du « travail productif », notamment sur le plan des ressources alimentaires. D’ailleurs, dans certaines circonstances, « leur participation au travail productif est un élément supplémentaire qui joue en leur défaveur et qui renforce cette domination : elle aura par exemple tendance à renforcer la propension à la polygynie », dans la mesure où les épouses sont alors susceptibles de produire des biens transformables en prestige social. 
Certes, il est patent que « la famille des sociétés les plus reculées n’était pas aussi repliée sur elle-même qu’elle le fut dans les sociétés postérieures », avec une intégration collective et communautaire plus élargie. De surcroit, il est indéniable que, dans certaines sociétés de classes, la position subalterne des femmes alla de pair avec leur exclusion de toute production sociale et leur confinement dans la sphère privée, sous la tutelle patriarcale.
Cependant, selon Christophe Darmangeat, un écueil consisterait à croire que la naissance des classes et de l’État a été systématiquement accompagné par des formes extrêmement dures de domination masculine. « Tel fut peu ou prou le cas dans le bassin méditerranéen et tout au long d’un axe qui travers l’Asie jusqu’en Chine » - l’arc patriarcal. « Mais même dans cette zone, l’archéologie suggère d’importantes exceptions, comme la Crète minoenne ou la civilisation étrusque ». A nouveau, la précocité avec laquelle certaines cultures ont produit des formes parfois très marquées de domination masculine ne correspond pas au schéma qui imputerait exclusivement la coercition féminine à l’apparition de la « privatisation » et de l’organisation sociale en classes. 
Par ailleurs, le caractère public de la sphère familiale, censé représenter la garantie d’un statut préservé pour les femmes est loin d’être évident. De fait, « l’éducation des enfants (et particulièrement celle des garçons) peut posséder un caractère public, et même collectiviste, tout en étant entièrement placée sous la direction des hommes ». Ainsi, les rituels d’initiation masculine, constituant une forme « d’industrie publique » d’éducation des adolescents, sont méticuleusement organisés à seule fin de perpétuer le système de valeur misogyne qui fonde la domination masculine. En outre, Christophe Darmangeat rappelle que « cette prise en charge par la communauté n’était pas forcément plus importante que celle assurée dans nos sociétés par l’État, ne serait-ce qu’au travers de l’instruction publique obligatoire ». Par ailleurs, par certains aspects, la « reproduction sociale » dans les sociétés primitives, c’est-à-dire la mise au monde et l’éducation des enfants, pouvait être une affaire davantage privée. Ainsi, « dans de nombreuses sociétés primitives, les femmes pouvaient pratiquer l’infanticide à la naissance sans que la société y voie quoi que ce soit à redire », alors que nos sociétés contemporaines ont mis en place des institutions spécifiques – telle que l’Aide Sociale à l’Enfance – pour protéger les enfants sous la tutelle de l’État.

Rôle des femmes sur le plan productif et économique 

Selon la femme politique communiste, et militante féministe marxiste, Alexandra Kollontaï, les droits de la femme, tant sur le plan marital que politique et social, sont déterminés uniquement par son rôle dans le système économique. Le fait est que, quel que soit le type de société, là où les femmes participent peu aux activités productives, elles sont certaines d’être en situation subordonnée. Néanmoins, il ne s’agit sans doute d’une condition nécessaire mais pas suffisante, car là où elles y participent, elles ne sont pas certaines d’accéder à une position plus favorable. Par ailleurs, sur le plan économique, la famille dans les sociétés primitives représentait une unité élémentaire, à l’activité autonome, produisant l’essentiel des biens nécessaires à son existence, sans s’intégrer dans un système coordonné de production, malgré la dimension très instituée et normative de la division sexuelle du travail au niveau clanique. Ainsi, au sein de l'organisation familiale, il pouvait exister une certaine liberté pour déployer la complémentarité dans les tâches, en dehors des normes collectives concernant la division sexuée et la séparation des domaines masculins et féminins sur le plan économique.

Illustration 6

Les origines économiques de la division sexuelle du travail

Pour Christophe Darmangeat, les origines lointaines de la coercition féminine se situent sans doute dans cette division sexuée des activités, et celle-ci aurait comme fondement des contraintes économiques et physiologiques. 
Initialement, la division du travail était sans doute très limitée, avec comme critère essentiel, sinon unique, le sexe : « il n’est guère mystérieux que la première division du travail ait emprunté tout naturellement les lignes de la différence sexuelle, et qu’elle ait classé prioritairement les individus selon ce critère - ce qui n’empêche évidemment pas que d’autres subdivisions, notamment fondées sur l’âge, aient pu s’y ajouter ». De fait, les différences sexuées, notamment concernant la physiologie de la reproduction, ont pu constituer le ferment de cette première répartition des tâches. Ainsi, outre l'allaitement, les femmes étaient davantage dévolus aux activités éducatives concernant les jeunes enfants non sevrés. D’après Christophe Darmangeat, cette division se serait initialement instaurée, instituée et reconduite pour des raisons économiques. En effet, cette spécialisation de l’activité, même embryonnaire, aurait permis à l’espèce humaine d’acquérir une efficacité plus grande en termes de productivité, tout en permettant un renforcement des liens sociaux, notamment au sein du groupe familial.

« La division sexuelle du travail n’est pas autre chose qu’un moyen d’instituer un état de dépendance réciproque entre les sexes » (Lévi-Strauss)

« Si ces contraintes ont pris la forme d’une stricte division sexuelle du travail dont les raisons objectives étaient enfouies sous des constructions idéologiques mythifiées, c’est en raison du faible développement des forces productives » (Christophe Darmangeat). Progressivement, cette division sexuelle des tâches s’est profondément ancrée dans les mœurs et les esprits, devenant un fait essentiel de la vie matérielle et idéologique, imprégnant toute la vie sociale et régissant l’ordre du monde.
Or, de fil en aiguille, à travers cet antagonisme sexuel, les hommes se sont retrouvés à monopoliser l’essentiel des fonctions politiques et militaires.
De fait, certaines tâches se sont vues, impérativement et en toute circonstance, interdites aux femmes, de façon assez universelle. Ainsi, des activités, telles que certaines formes de chasse, mais aussi des fonctions politiques ou publiques, sont devenues « incompatibles » avec la condition féminine. 

A partir de là, les idéologies ont pu prendre le relais pour instituer et naturaliser l'antagonisme sexuel et l'infériorisation des femmes.

A suivre

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