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Billet de blog 5 septembre 2020

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Banalité de la maltraitance institutionnelle en milieu scolaire

la décision d'une fermeture de classe de maternelle constitue, parmi tant d'autres, un exemple de la banalité de la maltraitance institutionnelle en milieu scolaire. Dans les hautes sphères du rectorat, on gère des flux et des effectifs, sans prendre en considération la réalité du terrain et les besoins spécifiques des enfants, sur le plan pédagogique et affectif. Circulez, au suivant!

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Suite à la décision du rectorat de fermer une classe de maternelle sur l’établissement scolaire Louise Michel à Montreuil - ainsi que sur les écoles Danton, Diderot et Marceau-, je tenais à dénoncer, en tant que professionnel de l'enfance, de l'indignité de certaines politiques menées par l’Éducation Nationale. En effet, cet exemple, parmi tant d'autres, témoigne d'une forme de banalité de la maltraitance institutionnelle en milieu scolaire, avec une gestion uniquement comptable des "effectifs", en dépit des conséquences très préjudiciables pour les enfants.

Illustration 1

Malheureusement, ce type de décision à l'emporte pièce, décidé de façon unilatérale par des administratifs rivés sur les chiffres, les indicateurs budgétaires, et la gestion des flux, constitue un nouveau désaveu des réalités du terrain, tant du côté des enfants que des enseignants. Au-delà de l'affichage des principes - "leur réussite est notre priorité" -, les actes témoignent tant du mépris que de l'indigence des moyens...Ou comment saborder définitivement l'école publique....

Du fait de mon investissement depuis de nombreuses années auprès d’enfants en difficultés scolaires, je ne peux effectivement que m’inquiéter des conséquences de ce choix, allant manifestement à l’encontre du bien-être des élèves, de leur possibilité d’investir sereinement les apprentissages dans un climat de sérénité, ainsi que du projet pédagogique de favoriser une égalité des chances sur le plan scolaire.
De fait, cette rentrée se déroule dans un contexte particulier. Déjà, il y a les protocoles mis en place sur le plan sanitaire, qui entravent les liens entre les familles et les enseignants, qui empêchent l’accompagnement parental au sein de la classe, qui réduisent les moments de dialogue et d’échanges, qui ne permettent pas des temps de séparation individualisés, notamment pour les enfants les plus jeunes. Les liens avec l’institution scolaire se font de plus en plus impersonnels, ne favorisant pas la confiance et l’alliance. Pour les familles les plus en décalage par rapport à la « culture scolaire », l’école peut alors apparaitre comme encore plus distante, voire menaçante. Par ailleurs, cette rentrée survient également dans les suites du confinement, situation qui a favorisé le décrochage de nombreux élèves, une forte discontinuité dans l’investissement de la scolarisation, et un délitement des rituels et rythmicités en rapport avec l’école. Tout cela va demander du temps, de la présence, de l’attention pour se reconstruire. Il faut également ajouter l’accentuation de l’hétérogénéité dans les apprentissages, entre les familles qui ont pu maintenir une certaine continuité scolaire et celles qui ont, pour des raisons sociales, linguistiques, professionnelles, etc., désinvesti la transmission pédagogique. Cet état de fait, tout à fait documenté au niveau sociologique, devrait mobiliser une attention et des moyens particuliers afin de réduire ce creusement des inégalités. Enfin, il y a l’impact émotionnel de la situation inédite que nous traversons collectivement : les enfants perçoivent l’angoisse sociale, interagissent avec des adultes masqués, voient leurs repères bousculés au sein de l’école et en dehors. En conséquence, il parait particulièrement important de pouvoir soutenir les enfants, individuellement et collectivement, en les aidant à exprimer leurs ressentis, à poser des paroles sur ce qu’ils peuvent vivre et éprouver. Négliger ces dimensions affectives et signifiantes, c’est prendre le risque de laisser les élèves aux prises avec des enjeux émotionnels qui pourraient les entraver concrètement dans leur disponibilité aux apprentissages.
Pour toutes ces raisons, il parait absolument indispensable de garantir, en cette rentrée particulière, un cadre de sécurité affective, de continuité, d’attention, à même de repérer les besoins spécifiques des enfants, et de leur apporter une réponse ajustée. La stabilité du lien enseignant / groupe classe, la présence d’effectifs raisonnables dans les classes, une relative homogénéité dans l’âge des élèves paraissent ainsi des conditions tout à fait indispensables.

Or, la décision du rectorat, de passer de 6 classes de maternelle (soit 2 classes par niveau avec une vingtaine d’élèves par classe) à 5 classes ne peut que bouleverser tous ces pré-requis : augmentation du nombre d’élèves par classe, désorganisation des dynamiques de groupe instaurées depuis la rentrée, rupture du lien noué avec les enseignants, accentuation de l’hétérogénéité d’âges et de niveaux, avec création obligatoire de classes systématiques à double niveau. Le cas échéant, les enseignants ne pourraient manifestement plus accorder une attention singulière vis-à-vis de chaque enfant et déployer une pédagogie différenciée, tout en prenant en compte le collectif. Les enfants vivraient ainsi une mise à mal de leur attachement et de leur organisation de classe, susceptible d’attiser une insécurité encore plus forte. Évidemment, ce sont les enfants les plus fragiles, tant sur le plan de leur vécu émotionnel, de leur stabilité existentielle et de leur trajectoire développementale, qui pâtiraient le plus de cette décision gestionnaire, que je n’hésiterais pas à qualifier de maltraitante.
Les enfants doivent-ils devenir les variables d’ajustement de politiques iniques, favorisant les inégalités, la rupture de confiance des familles avec l’institution scolaire, et l’abandon des élèves les plus fragiles?
L’école Louise Michel est un établissement qui reçoit une population d’enfants issus de milieux socio-économiques et culturels très diversifiés, ce qui en fait aussi la richesse. Cependant, comme dans l’ensemble du département de la Seine Saint Denis, les inégalités scolaires sont ici plus criantes, inadmissibles, et nécessitent des décisions politiques à la mesure du défi de l’école républicaine et de ses idéaux de mixité et d’égalité. A moins de vouloir encore plus mettre à mal l’institution publique, d’entretenir la fuite des familles aisées vers le privé, et de mettre un terme à un projet de société visant au vivre-ensemble, au respect, à l’accueil, à l’ouverture, et au refus des déterminismes fatalistes. Sur cette école, comme partout à Montreuil, il n'y a pas d'ATSEM au-delà de la Petite Section de Maternelle pour épauler le travail des enseignants. Par ailleurs, des enfants en situation de handicap sont accueillis dans les classes, avec un encadrement très restreint.
Nos enfants ont besoin de considération, d’attention, de stabilité, de réassurance, de motivation, de reconnaissance, de bienveillance. Les enseignants également. Comment peuvent-ils s’investir dans une mission difficile, si leur hiérarchie ne prend pas en compte leurs conditions réelles d’exercice en mettant à mal le cadre minimal qui leur permettrait de transmettre et de susciter l’envie d’apprendre?
Si la réussite des élèves est vraiment la priorité du rectorat et du ministère, il serait donc nécessaire de revenir sur une décision qui désavoue très clairement cette mission au nom d’objectifs comptables tout à fait indécents, en sacrifiant la qualité de l'accueil scolaire et l'avenir de nos enfants.

Malheureusement, le rectorat reste sourd à la mobilisation des parents d'élèves et des enseignants ; voilà les seuls mots d'ordre qui comptent : effectifs, restriction, gestion, inclusion...Quant aux conséquences réelles, on repassera....

D'ailleurs, j'aurais également pu aborder les enjeux épidémiologiques concernant la prévention de la propagation virale, en évoquant les recommandations de Santé Publique France, du Haut Conseil de Santé Publique et du Centre Européen de Prévention de de Contrôle des Maladies : de faibles densités d'effectifs par classe et l'application effective des mesures d'hygiène réduisent drastiquement le risque d'émergence de clusters en milieu scolaire. Mais visiblement, la prévention n'est pas une priorité de l’Éducation Nationale. On pourra toujours confiner si besoin....

Bonne rentrée à tous!

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