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Billet de blog 6 octobre 2024

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Ne pas franchir la Croix Rouge !

Les professionnels exerçant sur des CMPP et BAPU de la Croix Rouge Française vont entrer en grève pour dénoncer le saccage induit par des méthodes managériales destructrices. Un combat de plus à mener, pour préserver le soin institutionnel. Soutien indéfectible !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En sus des réformes au niveau national (refonte du cadre réglementaire de fonctionnement des Centres Médico-Psycho-Pédagogiques dit « annexes 32 », négociations relatives à la construction d’une convention collective nationale unique étendue, stratégie nationale Troubles du Neuro-Développement et autres « recommandations » obligatoires), en sus des planifications régionales autoritaires (cahier des charges imposé par l’Agence Régionale de Santé en Nouvelle-Aquitaine, Grand-Est, et Auvergne-Rhône-Alpes, imposition d’une pression d'activité toujours plus intenable via les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens), la destruction des CMPP se déploie également sur un niveau plus local, à travers la gouvernance des organismes gestionnaires. Quel beau feuilleté ! 

Illustration 1
Le cours de l'empire : destruction, 1836 © Thomas Cole


A partir du 7 octobre prochain, les professionnels exerçant sur des CMPP et Bureau d'Aide Psychologique Universitaire à Paris, Meudon et Athis-Mons, se mettront en grève pour dénoncer le management de la direction de la Croix-Rouge Française. Les collègues ainsi mobilisés manifestent leur indignation à l’égard de méthodes gestionnaires de plus en plus envahissantes et destructrices : omniprésence des procédures d’évaluation, menaces de licenciement, introduction de pointeuses pour homogénéiser le temps de travail, etc.

L’organisme gestionnaire mène également une politique de financiarisation et d’investissement de fonds propres, ponctionnant ainsi les moyens censés être dévolus au soin. Cette mise à mal de l’équilibre budgétaire a finalement conduit à un Plan de Sauvegarde de l’Emploi, avec des méthodes managériales violentes exacerbant les risques psycho-sociaux pour les équipes. Cette gouvernance brutale est mise en œuvre par un « sous-directeur de transition », fonction hybride de consultant-manager dépêché pour 4 mois, et rémunéré en honoraires sur le budget des établissements. Sa mission : assainir la situation sur le terrain. Entendre : imposer les outils avancés de destruction du travail institutionnel. 

Illustration 2


Ce week-end, avait lieu à Morlaix une réunion du Collectif de Défense des CMPP bretons. Les professionnels pointaient également les méthodes managériales des organismes gestionnaires : détournement de fonds, mesures intrusives d’audit et de discrédit des pratiques, mise à mal des directions d’établissement par les directions générales, orientations technocratiques hors-sol importées du monde de l’entreprise, mal-être au travail, volonté d’externaliser les équipes, d’ubériser les pratiques, conformément à certaines orientations politiques, etc. Le CSE a dû se présenter au tribunal, mais la mobilisation des équipes a pour l’instant permis de préserver le cadre de travail. Jusqu’à… 

Illustration 3

Une autre collègue, en Région Centre-Val de Loire, me faisait récemment part de son désarroi : directions « paranoïaques » imposant des « feuilles de route » totalement déconnectées de la réalité des pratiques ; démission de professionnels en cascade, sans remplacement ; redéploiement des postes de soignants en neuropsychologues exclusivement mandatés pour la réalisation de bilans, ou en « référents de parcours ». D’ailleurs, il ne faut plus parler de soignants, mais « d’accompagnants d’enseignement »…

Sur un des CMPP où j’exerce, nous allons être empêchés dans notre activité soignante pendant 48H, car nous devons subir l’évaluation externe. L’Agence Française de Normalisation, financée sur notre budget, va donc déléguer deux experts évaluateurs pour vérifier la conformité des procédures appliquées, afin de renouveler notre agrément - ou pas.… Technique de l'accompagné traceur, traceur ciblé, audit système…Les familles, voire même les enfants, doivent être mis à disposition, après avoir été sélectionnées.

Le soin, on s’en fout ; ce qui compte, c’est les protocoles, tout une liste de 157 critères tous plus absurdes les uns que les autres, la contractualisation, le respect formel des droits à l’autodétermination - au fait, ils savent qu’on reçoit des enfants autistes, sans langage, avec d’importants troubles de la relation et du comportement ?…Et des familles à la rue ?…Mais tant qu’ils ont bien signé le Document Individuel de Prise en Charge, ils peuvent crever la bouche ouverte…Obscénité. 

En dépit des procédures managériales maltraitantes, il faut fournir des éléments de preuve stipulant que les professionnels sont régulièrement formés à la bientraitance...et que nous repérons systématiquement la douleur, et que nous accompagnons la fin de vie de façon protocolaire...Quels documents pouvons-nous fournir pour démontrer que nous prenons en compte les risques de chute, de dénutrition, ou de radicalisation ? ...

Mais il faut bien participer à cette mascarade, pour survivre, et espérer pouvoir encore accueillir, entendre, soutenir...

Ensemble, à plusieurs, on peut encore verbaliser l’abject, et le subvertir. Faire avec, comme si, sans se laisser phagocyter. 

Alors, pour les managers technocrates, il faut définitivement réduire les collectifs soignants, éparpiller les équipes…Tous ces relents archaïques de résistance et de mobilisation. Les prestataires de service doivent être isolés, et appliquer docilement des protocoles à la chaîne, en respectant la conformité des process. Sans s’attacher. Sans s’affecter. Sans penser. Chacun de son côté. Interdiction des pas-de-côté. Élimination des regimbements. 

Il faut améliorer la qualité et la performance, par tous les moyens ! 

En parallèle, les prescriptions médicamenteuses à destination des enfants en souffrance s’avèrent de plus en plus massives, de même que les pratiques de contrainte ou d’abandon…Il faut toujours plus assigner, sédater, et normaliser. 
Quant aux parents, ils doivent être entraînés dans leurs habiletés parentales, rééduqués, pour faire face de façon optimisée aux comportements défis de leur progéniture réfractaire.

Compte-tenu des parcours par filières diagnostiques, il n’y a plus de disponibilités et d’attention à l’égard des carences, abus, maltraitances, et autres facteurs socio-politiques…Les mauvais traitements ne sont de toute façon que des comorbidités d’un trouble neurodéveloppemental. Cela ne doit pas être confondu. Circulez ! 

D’ailleurs, il faut continuer à démanteler l’Aide Sociale à l’Enfance et la Protection Judiciaire de la Jeunesse. En prison, à la rue, sous sédation, c’est ton destin ! Invisibilisation ! 

Dans ce contexte, la mobilisation est plus que nécessaire. Il faut soutenir toutes les luttes, informer, médiatiser. S’extraire de la torpeur et se serrer les coudes. Il faut se fédérer davantage ; que toutes les attaques soient désignées, que nous puissions construire des fronts solidaires étendus. Nous ne sommes pas seuls, nous dénonçons, nous nous dressons ! 

Et nous exprimons notre solidarité totale à l'égard des collègues qui vont débrayer, pour défendre un soin institutionnel de qualité

Illustration 4

Lettre de soutien au Collectif de professionnels en lutte Pour le maintien de soins psychiques de qualité à la Croix-Rouge Française

Nous, professionnels exerçant en CMPP/BAPU, apportons notre soutien au mouvement de grève initié par nos collègues des BAPU Luxembourg, CMPP la Passerelle, CMPP Tony Lainé et CMPP Alfred Binet, dénonçant le management de la direction de la Croix-Rouge. En effet, les méthodes managériales appliquées par cet organisme, comme de plus en plus souvent dans le secteur médico-social, sont sous-tendues par des impératifs uniquement gestionnaires, par une gouvernance abusive et maltraitante à l’égard du personnel, conduisant à un accueil dégradé des usagers. 

Nous tenons donc à revendiquer un front de lutte collectif, au-delà de nos lieux de pratique, pour défendre des soins de qualité, une éthique professionnelle, et un respect du cadre nécessaire à l’engagement thérapeutique. 

Nous nous associons au souci d’éviter une précarisation de nos métiers et de nos pratiques, dans une logique de flexibilité, de standardisation, de contrôle, et de rentabilité, alors même que les gestionnaires méconnaissent et méprisent les enjeux de la clinique. 

Nous revendiquons la défense du travail d’équipe, des collectifs soignants, et du soin institutionnel. 

Nous exprimons ainsi notre solidarité et notre implication auprès des professionnels qui entameront un mouvement de grève à partir du 7 octobre, afin de préserver un accueil digne, humain, et respectueux de la détresse des enfants, adolescents, étudiants, et de leur famille. 

Nous demandons à la direction de la Croix-Rouge de prendre en considération les revendications légitimes de nos collègues, et de ne pas détruire des lieux thérapeutiques indispensables sur l’autel d’une logique managériale exclusivement calquée sur un modèle entrepreneurial 

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