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Billet de blog 8 novembre 2024

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Le tribunal de l'enfance neuro-troublante (5)

Il est temps désormais de nous pencher sur l'enfance déviante de certains de nos grands hommes : Saint Augustin, Jean-Jacques Rousseau, Marcel Proust et Jésus Christ...Car notre fond culturel est saturé de perversité infantile : il faut l'en expurger, purifier et corriger tout cela !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Très bien, amenez la suite ! Didier Salon-Macraud semble particulièrement déterminé, malgré la charge qui pèse sur ses épaules de buffles. Il toise l'horizon, de son regard bovin, tambourine le sol, meugle et renifle. Il sait que la « Commission chargée de la catégorisation infantile, du tri et de la mise en filière » (CCITF) devra mener ses travaux jusqu'à son terme, contre vents et marées.

Ah oui, aujourd'hui, on va se pencher sur les péchés infantiles de certaines des grandes figures de notre culture : Saint Augustin, Jean-Jacques Rousseau, Marcel Proust, Jésus Christ...

Car nous devons affronter un bien triste constat...En effet, les petits enfants sont souillés, et commettent des péchés. Ils peuvent mentir, voler, désobéir, tricher, protester, refuser, s'opposer...Ils sont naturellement, neuronalement, déchus et corrompus. Alors, il faut les dépister et les redresser. Allez, mettons-nous au boulot.

Illustration 1

Tiens, tiens, intéressant ce cas, faites entrer l’enfant Augustin d’Hippone, pas encore sanctifié. 
On va donc juger un futur saint, un évêque en devenir, un précurseur qui a pointé sans relâche la culpabilité des enfants, naturellement souillés par le péché originel ? 
En effet…C’est qu’avant de devenir un fervent dénonciateur des corruptions et égarements infantiles, Augustin s’est laissé aller à de déplorables frasques durant ses tendres années. Pour cela, il doit aussi être diagnostiqué et condamné, à des fins de rédemption.

Petit retour sur ses origines. Ce chérubin est d'emblée un mélange, un hybride, pour ne pas dire une contradiction incarnée. Il naît dans une famille punique, c'est-à-dire de civilisation carthaginoise, issue de la classe aisée, mais en voie de prolétarisation. Augustin aurait précocement développé une vive conscience de son africanité, et de toutes ses origines culturelles, romaines, phéniciennes, berbères...Un précurseur de la pensée décoloniale ?...Son père est un païen romanisé, un petit notable locale, d'origine modeste, n'ayant pas fait d'études. Sa mère, Monique, est une femme de tête obstinée et résolue, fervente chrétienne revendiquant sa berbérité. Le couple parental bat de l'aile ; le mari est volage, et son épouse le trouve trop étriqué, intellectuellement limité ; elle a d'autres aspirations...Et, au milieu de tout cela, le pauvre enfant fait l'expérience de ses vices émergents....

Certes, l’adulte repenti fera preuve d’honnêteté, quand il évoquera a posteriori sa tyrannie juvénile : « Aussi, je jetais çà et là membres et cris, comme signes ressemblants de mes volontés, le petit nombre que je pouvais faire, tels que je pouvais les faire, car ils n’étaient pas vraiment ressemblants. Et quand on ne m’obéissait pas, soit faute de comprendre, soit par crainte de me nuire, je m’indignais contre ces grandes personnes qui ne se soumettaient pas, et contre ces hommes libres qui n’acceptaient pas d’être esclaves, et je me vengeais d’eux en pleurant ». Voilà bien le tempérament de l’enfant, une essence de psychopathe ou de dictateur, en dépit de son impuissance – toute ressemblance avec des dirigeants contemporains serait purement fortuite… Et puis, l’enfance souillée du Saint est également marquée par la jalousie, par la suffisance et la gloriole : « J’aimais dans les compétitions l’orgueil de la victoire, j’aimais à sentir mes oreilles chatouillées par les fables fallacieuses pour éprouver ainsi des démangeaisons plus ardentes ». La nature enfantine est intrinsèquement envieuse, corrompue dès l’origine par la faute de ses ancêtres. Il faut donc tuer l’enfance pour espérer une forme de rédemption, écraser tous les résidus grouillants de cette perversité infantile.

« Si petit enfant et si grand pécheur »

Illustration 2

Enfin, Augustin fait l’aveu de ses forfaits adolescents, de sa pure jouissance prise à la transgression : « Dans le voisinage de nos vignes était un poirier chargé de fruits qui n'avaient aucun attrait de saveur ou de beauté. Nous allâmes, une troupe de jeunes vauriens, secouer et dépouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit, ayant prolongé nos jeux jusqu'à cette heure, selon notre détestable habitude, et nous en rapportâmes de grandes charges, non pour en faire régal, si toutefois nous y goûtâmes, mais ne fût-ce que pour les jeter aux pourceaux : simple plaisir de faire ce qui était défendu » … « Je ne les eus pas plus tôt cueillies que je les jetai, sans qu'il m'en restât d'autre satisfaction que celle de mon péché et de ma malice qui me tenait lieu de festin délicieux ». Le pur goût du vice, apanage d’une jeunesse débauchée. Germes constitutionnels de délinquance juvénile !

A 17 ans, Augustin va faire ses études à Carthage. Là, il est saisi, car partout autour de lui bouillonne « à grand fracas la chaudière des amours honteuses » ; dans l'atmosphère urbaine, l'adolescent s'échauffe, se laisse frire par toutes ces infâmes tentations. Il ne résiste pas à l'appel de la chair : « je n’aimais pas encore, mais j’aimais aimer et, par un besoin secret, je m’en voulais de ne pas en avoir encore assez besoin »...

Non, vraiment, coupable, coupable, coupable ! De petits larcins en impardonnables infractions, il faut bien identifier une programmation cérébrale corrompue et défaillante, se déployant inexorablement en l’absence de reconditionnement. Il ne faut laisser se répandre ces « vapeurs grossières et impures qui s'élevaient de la boue et du limon de la chair ». Pénitence, aveux, remords ! Il faut définitivement réprimer ces relents d’une enfance souillée, tentatrice, troublée par la chair. « Ô corruption étrange ! Ô vie monstrueuse ! Ô abîme de mort ! Est-il possible que je n'aie pris plaisir à faire ce qui était injuste, que parce qu'il était injuste ? »
. Seul un trouble du neurodéveloppement pouvait expliquer de telles déviances chez un être finalement rééduqué pour prêcher la vertu avec acharnement, pour proclamer la Cité de Dieu. 
Voilà donc une vision réaliste de l’enfant, l’« âge des pleurs » et de la faiblesse ; un être gâté, intrinsèquement, malade à cause du péché originel, de sa chair et de sa transmission génétique. 
Foutu, dès la naissance. « L’homme, corrompu par sa volonté propre et justement condamné, a engendré des enfants corrompus et condamnés comme lui » (La cité de Dieu, Livre XXI, chapitre, XIV). 

Illustration 3


Alors, il faut punir, rééduquer, redresser ces âmes pourries et tarées : « notre nature viciée n’a plus droit qu’à un châtiment légitime » (« De la nature et de la grâce, réfutation de Pélage »). Les châtiments corporels sont donc une nécessité ontologique, indispensables au redressement et au salut des enfants, ainsi qu’à l’affirmation des hiérarchies et du pouvoir. En effet, « pourquoi, je vous le demande, toutes ces menaces que l’on fait aux enfants pour les retenir dans le devoir ? Pourquoi ces maîtres, ces gouverneurs, ces férules, ces fouets, ces verges dont l’Écriture dit qu’il faut souvent se servir pour un enfant qu’on aime de peur qu’il ne devienne incorrigible et indomptable ? Pourquoi toutes ces peines, sinon pour vaincre l’ignorance et réprimer la convoitise, deux maux qui avec nous entrent dans le monde » (La Cité de Dieu, Livre XXII, chapitre XII). 
Prescrivons une remédiation cognitivo-moralo-comportementale intensive, reprogrammons, évacuons le mal et la tentation ! Catéchisme en continu, injection de Bien à forte dose.
Éliminons les traces de souillure, le désir et l’errance…
Allez, conditionnement, décharges électriques, implants cérébraux, et on en fera bien un Saint ! 


Bon, au suivant !

Et voilà, qu’on amène le jeune Jean-Jacques Rousseau, ce petit pervers débauché ! 

Oui, car cet enfant corrompu confesse le plaisir coupable qu’il a développé en recevant la fessée, et qui a précocement fait le lit d’un érotisme malsain : « Qui croirait que ce châtiment d’enfant, reçu à huit ans par la main d’une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela précisément dans le sens contraire à ce qui devait s’ensuivre naturellement ? ».
Pour être ainsi émoustillé par les pénitences intimes imposées par Melle Lambercier, il fallait bien que la nature enfantine soit déjà pervertie à la base, par une constitution pourrie. Constatez plutôt : « J’avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m’avait laissé plus de désir que de crainte de l’éprouver derechef par la même main. Il est vrai que, comme il se mêlait sans doute à cela quelque instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de son frère ne m’eût point du tout paru plaisant. » …Sale petit pervers, qui trouve du plaisir à l’humiliation, à l’exhibition de son derrière, au scénario masochiste : « Ce qu’il y a de plus bizarre est que ce châtiment m’affectionna davantage encore à celle qui me l’avait imposé. »
Comment pourrait-on tolérer une telle sexualité chez un enfant ?! Souillure, corruption, dégénérescence, perversité ! L’enfant doit rester pur, sauf si son génome est détérioré. Quel devenir pour un tel érotisme dérangé ? « C'est ainsi qu'avec un tempérament très ardent, très lascif, très précoce, je passai toutefois l'âge de puberté sans désirer, sans connaître d'autres plaisirs des sens que ceux dont mademoiselle Lambercier m'avait très innocemment donné l'idée ». 

D'où peut venir une telle dépravation, si ce n'est d'un cerveau précocement troublé ? 

« J'étais né presque mourant; on espérait peu de me conserver. J'apportai le germe d'une incommodité que les ans ont renforcé » (Les Confessions). Encore un souffreteux, un avorton à la constitution défaillante...Il aurait dû être dépisté, du fait de son risque de Trajectoire Non Désirable (TND).

Pour en rajouter, le petit Jean-Jacques se retrouve orphelin à l'âge de neuf jours, lorsque sa mère décède d'une fièvre puerpérale. Son enfance est alors repliée, en compagnie d'un père endeuillé...Encore un futur philosophe qui perd précocement sa mère...étrange tradition qui remonte au moins à Aristote...

« Jeté dès mon enfance dans le tourbillon du monde, j’appris de bonne heure par l’expérience que je n’étais pas fait pour y vivre » (Les Rêveries d’un promeneur solitaire). Pour fuir le réel, il se réfugie dans la lecture intensive de romans ; ça sent le roussi et l'égarement...« En peu de temps j'acquis, par cette dangereuse méthode, non seulement une extrême facilité à lire et à m'entendre. mais une intelligence unique à mon âge sur les passions. Je n'avais aucune idée des choses que tous les sentiments m'étaient déjà connus. Je n'avais rien conçu, j'avais tout senti ». Cette fuite dans l'imagination s'avère morbide, le jeune garçon perdant progressivement le lien avec la réalité : « Je me croyais Grec ou Romain; je devenais le personnage dont je lisais la vie » (Les Confessions).

Illustration 4
Jean-Jacques Rousseau faisant la lecture à son père © Maurice Leloir, 1889

Son père, horloger obsessionnel, sans doute dépassé par le tempérament de cet enfant irascible, s'en débarassera aussi rapidement que possible...Il faut dire que le gamin est animé d'une grande ferveur religieuse, psychologiquement instable, avec une forme de débilité passionnelle...« J'avais les défauts de mon âge; j'étais babillard, gourmand, quelquefois menteur. J'aurais volé des fruits, des bonbons, de la mangeaille ».

On l'oriente finalement en apprentissage, chez un maître graveur, pour lui inculquer un peu de discipline.

Illustration 5
Jean-Jacques chez le pasteur Lambercier, carte postale 1912

Mais, par crainte d'être battu, l'apprenti tête-en-l'air décide un jour de fuguer ; il erre, et se réfugie finalement auprès d'un curé, qui l'enverra alors vers la Baronne de Warens, récemment convertie au catholicisme, et chargée et prendre sous son aile les candidats à la conversion...Celle-ci deviendra sa tutrice et sa maîtresse. En effet, l'adolescent, timide et sensible, recherche pathétiquement de l'affection féminine et maternelle. Il devient alors son "petit", son factotum, son gigolo. Ultérieurement, il s'intégrera sans difficulté dans les ménages à trois de l'aristocrate, qu'il appelle "maman"...Horreur et dépravation !

Illustration 6
première rencontre avec Mme de Warens © Steuben, 1830

Lors d'un emploi auprès de la comtesse de Vercellis, le jeune Jean-Jacques commet également un terrible larcin : il dérobe un ruban rose, appartenant à la nièce de la comtesse, et fait accuser une jeune cuisinière qui est, de ce fait, renvoyée...Ferments de perversion caractérielle, graine de crapule. Menteur, sournois, se sentant persécuté par ses propres faiblesses morales...Alors, il devient paranoïaque, propre à se poser en victime et à jouir de son statut d'incompris esseulé...Ce qui ne l'empêche pas de se vautrer dans la luxure à la moindre occasion...Manifestement, le grand penseur reste habité par une perversité infantile toujours vivace.

Car Jean-Jacques sait bien que la nature de l'enfance est précocement viciée, parce qu’il dépend d’un social corrupteur : « l'enfant est méchant parce qu'il est faible ». Cette vile créature n'a pas d'états d'âme ; il préempte, il capte, il exige : « l'enfant a-t-il moins besoin des soins d'une mère que de sa mamelle ? »...Si on inocule des tendances prédatrices, on contribue à le pourrir davantage : « savez-vous quel est le plus sûr moyen de rendre votre enfant misérable ? C'est de l'accoutumer à tout obtenir ». Voilà, il faut arrêter de dépraver ces gnards avides et gênants, écervelés, sans épaisseur : « n'étant pas capable de jugement les enfants n'ont point de véritable mémoire ». Comment ne pas être ingrats quand on ne vit que dans l'instant de ses besoins ?

D'ailleurs, le grand homme abandonnera lui-même ses cinq enfants, sans même les avoir rencontrés ; par pragmatisme - « je gagne au jour la journée mon pain avec assez de peine, comment nourrirais-je une famille ? » (lettre à Mme de Francueil, 1751) ? Ou par réalisme quant à la réalité de l'enfance ? En tout cas, il n'était pas sans savoir qu'un tel placement aux Enfants Trouvés, hospice pour enfants déshérités et abandonnés, était synonyme de décès prématuré - 90% de ces enfants n'atteignaient pas l'âge de 10 ans...

Comment gagner sa vie, comment devenir un théoricien reconnu, comment mettre en acte ses conceptions novatrices, avec des chiards accrochés au flanc ? « Comment les soucis domestiques et le tracas des enfants me laisseroient-ils, dans mon grenier, la tranquillité d'esprit nécessaire pour faire un travail lucratif ? ». Et puis, les enfants font chier, parce qu'ils perçoivent la réalité en deçà des conventions, des faux-semblants et hiérarchies : « un des premiers soins des enfants est de découvrir le faible de ceux qui les gouvernent ». Insupportables ! Ces ingénus pourraient percevoir les compromissions du grand penseur ?

Jean-Jacques préféra devenir précepteur, construire des théories éducatives novatrices et révolutionner « l'art de former les hommes », plutôt qu'être lesté par sa propre progéniture. Il faut effectivement se décharger de l'attachement affectif pour préserver la tranquillité et la liberté de l'esprit. Ce que pourra allègrement railler Voltaire (en se trompant d'ailleurs sur le nombre d'enfants qu'aura ce « Chien de Diogène », ce « Judas de la troupe sacrée de l’Encyclopédie ») : « Voyez Jean-Jacques Rousseau, il traîne avec lui la belle demoiselle Levasseur, sa blanchisseuse, âgé de 50 ans, à laquelle il a fait trois enfants, qu'il a pourtant abandonnés pour s'attacher à l'éducation du seigneur Émile, et pour en faire un bon menuisier ». 

Cependant, Jean-Jacques, fort de son éphémère expérience de Super Nanny helvétique, prétend révolutionner la pédagogie, en prônant une éducation « négative ». Ainsi, il développe ses préceptes à partir d'un sale gamin aussi privilégié que fictif, Émile, qui n'est pas "maladif et cacochyme" - en parallèle, il déplore le manque d'éducation des filles, à partir d'une autre midinette fictionnelle et dévergondée, Sophie censée être éduquée pour devenir l'épouse d’Émile, et s'accomplir dans la conjugalité et la famille...En termes de féminisme, on a vu plus subversif...

Illustration 7

En tout cas, « L’Émile » est une sorte de justification du laxisme et du laisser-aller en matière d'éducation. Une attaque contre le dressage, la remédiation et toutes les méthodes de rééducation comportementale et cognitive.  Car « l'enfance a des manières de voir, de penser, de sentir qui lui sont propres ; rien n'est moins sensé que d'y vouloir substituer les nôtres ». Il faudrait donc laisser « mûrir l'enfance dans l’enfant »...Et puis quoi encore ?! Alors qu'il est désormais prouvé scientifiquement qu'il faut proposer aux familles des programmes d’entraînement aux habiletés parentales. Les entrepreneurs parentaux doivent effectivement déployer un renforcement positif efficient, s'intégrant dans des stratégies de coaching et de management pour améliorer le rendement. Pour ce faire, il faut repérer les moments où les déviants infantiles présentent un comportement adapté, et faire un effort particulier de valorisation dans ces occasions. Ainsi, il convient de développer l'habileté à prêter attention aux conduites normalisées. Car les coachs infantiles modifieront davantage le comportement déviant de leur investissement en récompensant les postures attendues. Ainsi, il faut savoir surprendre son produit en le gratifiant lorsqu'il est en train de bien se comporter, en proposant des récompenses et en mettant en œuvre un système de renforcement positif plus puissant - points et gratifications. Il faudra évidemment renouveler régulièrement les tâches et les récompenses, afin d'éviter la lassitude et la baisse de productivité. De surcroît, il sera également nécessaire de développer des ordres efficaces, pour augmenter l'efficacité et la compliance. Faites ci, faites ça, appliquez nos recettes validées pour gérez votre enfant ingérable, et puis démerdez-vous....

« Donner des conseils est une mauvaise chose, en donner des bons est une catastrophe ! » Oscar Wilde

Les neurosciences ont prouvé que la bonne parentalité est celle qui s'exerce dans les classes bourgeoises occidentales - curieusement, aucun protocole de recherche n'a cherché à évaluer le profil cérébral de l'arrogance, de l'hypocrisie, de l'absence d'empathie ou de décence des privilégiés...Or, plutôt que d'investir dans des services collectifs de qualité en termes socialisation, d'éducation et de scolarisation, il faudrait désormais promouvoir de brèves et lucratives rééducations parentales. Les parents, précarisés, insécurisés, disqualifiés et culpabilisés, doivent effectivement assumer leurs responsabilités, s'ils n'optimisent pas la qualité de leur production. De fait, une parentalité sous-optimale entrave le développement normalisé du cerveau infantile. Il faut donc que les parents des classes défavorisés se ressaisissent, soient plus proactifs et efficients, surtout ceux qui enchaînent les petits boulots précaires et ubérisés, sans aucun soutien social. Grâce à la concordance entre le discours néolibéral et une certaine instrumentalisation des neurosciences, on peut finalement justifier la réduction des prestations familiales, dans la mesure où les enfants n'ont besoin que de parents compétents et responsables, dont les aptitudes managériales peuvent être optimisées par quelques séances de réhabilitation éducative...

Il faut dorénavant appliquer les préceptes pédagogiques qui fonctionnent, et qui ont d'ailleurs fait leur preuve en éducation canine !

Alors que ce taré de Jean-Jacques préconise une forme de lâcher-prise, comme si on pouvait laisser les petits pervers déployer librement leur curiosité malsaine et leur pulsionnalité débridée. Un précurseur de la psychanalyse, un hérétique à brûler ! « Nous naissons sensibles, et, dès notre naissance nous sommes affectés de diverses manières par les objets qui nous environnent »...Faut pas exagérer, c'est surtout le programme neuro-génétique qui détermine le développement infantile. Ce pédagoque novateur veut rompre avec les traditions ; il milite contre l'emmailottage des nourrissons ! Fadaise, il faut entraver précocemment la motilité des enfants, à coup de gilets lestés, de sédatifs, de contention. Il faut les attacher, les restreindre, les immobiliser, les formater ! 

Rompant avec les traités pédagogiques de l'époque, Rousseau inverse le regard et place l'observation de l'enfant avant toute conception des méthodes ou des finalités de l’éducation. Il s'agit bien là d'une revendication d'ignorance, qui ne prétend pas proposer un savoir déjà construit et applicable. Au contraire, il faudrait pouvoir déconstruire les protocoles, les recettes, afin que puissent émerger la singularité et l'invention subjective...Rester disponible à l'imprévu, à ce qui surgit. Donner l'hospitalité aux jaillissements de sens ! Certes, cela suppose de se laisser déranger et bousculer. C'est éprouvant...et les préceptes totalisants sont tellement confortables...alors que les enfants viennent sans arrêt nous déstabiliser et nous surprendre...Faut-il laisser une place à cette source vive ?

« La première éducation doit donc être purement négative. Elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité ». « Il faut vouloir ne pas éduquer. Il faut laisser l’enfant s’éduquer tout seul ». « La seule habitude qu'on doit laisser prendre à l'enfant est de n'en contracter aucune »...

Illustration 8

On dirait surtout que ce précepteur flemmard veut justifier le fait de ne rien faire, de se tourner les pouces en attendant que cela grandisse tout seul, que cela respecte intrinsèquement la morale et les bonnes mœurs...Laissons l'enfant constater que le feu brûle, que la rivière noie, que les baies empoisonnent, que les policiers tabassent...S'il survit, il aura appris...

Il faut dire que Jean-Jacques est balèze pour énoncer des principes qu'il ne respecte pas, et qui n'ont pas été respectés dans sa propre existence. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ; un véritable expert technocrate...Ainsi, les mères sont sommées de s'occuper au plus tôt de leur marmaille : « cultive, arrose la jeune plante avant qu'elle meure : ses fruits feront un jour tes délices ». Quant au père, il devrait réaliser une triple tâche : « il doit des hommes à son espèce, il doit à la société des hommes sociables ; il doit des citoyens à l'État. Tout homme qui peut payer cette triple dette et ne le fait pas est coupable »...Le mec ose tout ; mais Jean-Jacques, tu la sens bien cette culpabilité qui doit te ronger profondément les entrailles ? Bon, je vous le dis, en vérité, c'est bien sur les mères qu'on continue à s'acharner, en les accablant toujours, en les disqualifiant, en les obligeant...Cependant, il y a encore du chemin avant de pouvoir se libérer de la culpabilisation, car la perversion reste l'apanage des hommes dominants, et oui !

Mais, pour en revenir à notre précepteur révolutionnaire, le type ne semble pas particulièrement empêché d'exister ; et il ne brille pas par son humilité. Lui, il sait comment élever les bambins flottants, stupides, ayant besoin de son jugement éclairé  : « En sortant de mes mains, il ne sera, j'en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre ; il sera premièrement homme ». OK, mais sur ParcourSup, il sera pris sur quelle filière ? En gender Studies sur la construction de la masculinité ?...

Illustration 9

Bon, mais penchons-nous à nouveau sur l'enfant Jean-Jacques, sur ce petit tordu prématurément éveillé à un érotisme débauché. A l'évidence, il faut castrer chimiquement cet enfant gauchi, lui bloquer la puberté à ce monstre pulsionnel, libidinal et vicieux, à ce pervers juvénile amené à devenir, sans aucun doute, un inverti, un jouisseur, un fétichiste rongé par des troubles paraphiliques effrayants ! 

Et puis, on va le rééduquer avec de bonne vieilles méthodes comportementalistes aversives, de quoi lui faire passer le goût de la liberté et de la découverte ; discipline et mauvais traitements pour redresser le bois pourri. On va lui jeter des pierres, quand il se baladera en djellaba. On va réduire ses intérêts restreints, ses comportements indésirables ; et il va bien finir par obéir et se soumettre....

Dégoûtant, on poursuit !

Voilà donc le jeune Marcel Proust, celui qui créera son avatar perverti, le narrateur de la Recherche du temps perdu...Commençons par l'auteur dégénéré : fils d'un père catholique, médecin, et d'une mère issue de la grande bourgeoisie juive, ayant refusé de se convertir à la religion de son mari...Milieu cultivé, influent ; et sans doute impie. D'ailleurs, Marcel Proust revendiquera son droit de ne pas se définir par rapport à une religion et de rester une sorte d'électron libre. L'enfant Marcel, quand il naît, est si "débile" et rabougri qu'on craint qu'il ne soit pas viable...On l'entoure de soins, on lui témoigne une affection parfois envahissante, on le surprotège. Ainsi, il vit ses premières dans un univers ouaté, nimbé de la tendresse d'une mère adorée. On sait avec quelle impatience, avec quelle angoisse, ce freluquet attendait chaque soir le baiser maternel...Ce n'est pas ainsi qu'on construit des vrais mecs, virils et insensibles ! L'écrivain attribuera sa constitution fragile aux privations subies par sa mère au cours de sa grossesse, pendant le siège de 1870, ainsi que par le choc émotionnel éprouvé lorsque, pendant la Commune de Paris, le Dr Proust est blessé par balle...Et le neurodéveloppement, on en fait quoi ? Le fait est que la santé de l'enfant reste très fragile ; il souffre de graves difficultés respiratoires, avec un asthme inquiétant. Le printemps devient pour lui une saison d'enfer, du fait des pollens. A 9 ans, au retour d'une promenade au bois de Boulogne, Marcel manque de s'étouffer, sauvé in extremis dans un dernier sursaut. La menace de la mort plane alors en permanence...« On ne guérit d'une souffrance qu'à condition de l'éprouver pleinement ». Masochiste !

A l'instar de la Nature, l'ordre social devrait pourtant sélectionner, et éliminer sans ambages ses rejetons frelatés et inutiles. En parallèle, ce gamin chétif et souffreteux, réfugié dans les jupes maternelles, développe une intelligence et une sensibilité précoces, témoignant de son caractère dépravé et déviant. A l'école, il est régulièrement absent, il reste avec maman. Il fréquente des jeunes filles, s'énamoure platoniquement, joue et déploie une virilité précocement atrophiée avec des tendances inverties. Et il redouble sa classe de cinquième, le cancre, préférant apprendre par cœur Victor Hugo et Alfred de Musset, lectures séditieuses, hors programme, non évaluables...Cet adolescent est soucieux de connaissance, de vérité, il manifeste un goût du monde qui va jusqu'au besoin, tout en restant tourné vers son intimité. « Le seul, le vrai, l'unique voyage c'est de changer de regard ». Cet enfant est une sorte de négatif des jeunesses fascistes ; ce n'est pas avec ce genre d'individu taré qu'on va pouvoir instaurer une société saine, vigoureuse et docile !

Et puis, il récuse notre intelligence instrumentale, opératoire, orientée vers la réalisation, vers une connaissance conventionnelle. « Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence. Chaque jour je me rends compte que c'est en dehors d'elle que l'écrivain peut ressaisir quelque chose de nos impressions, c'est-à-dire atteindre quelque chose de lui-même et la seule matière de l'art. Ce que l'intelligence nous rend sous le nom de passé n'est pas de lui » (Préface de Contre Sainte-Beuve). Lui, il veut recréer des impressions d'enfance ; ce conservateur suranné est définitivement tourné vers ce passé qui ne passe pas....  « À côté du passé, essence intime de nous-mêmes, les vérités de l'intelligence semblent bien peu réelles » 
(Contre Sainte-Beuve). On va pourtant te le mesurer ton QI, à coup de psychométrie !

Illustration 10
Marcel et son frère Robert, 1876

Et voici donc le double de Marcel, narrateur de « La recherche du temps perdu », autre enfant à la sensibilité exacerbée, potentiellement monstrueuse, anormale et explosive. Il est manifestement débordé par ce « déchaînement de la vie spirituelle ». Un tempérament rebelle, qui ose percevoir l’hypocrisie et la cruauté du monde adulte et qui, à sa façon rêveuse et lascive, défie les normes étouffantes et aseptisées. Le voilà qui, tout en restant pathologiquement dépendant de ses liens affectifs, cherche à déconstruire certaines prescriptions convenues et pathétiques dans le monde des adultes. Le voici qui découvre la puissance subversive du désir, et les injonctions sociales à la brider, la domestiquer, la dissimuler, derrière les apparences de respectabilité. 
Cet enfant, toujours à côté, qui observe en marge, et impose son regard acéré. Il a le culot et l’impudence de désigner la cruauté brutale du jeu social, le conformisme bêtifiant, l’hypocrisie qui règne en maître absolu…Il observe le petit manège des bassesses et des méchancetés harcelantes : « c’était de ces choses à la vue desquelles on s’habitue plus tard jusqu’à les considérer en riant et à prendre le parti du persécuteur assez résolument et gaiement pour se persuader soi-même qu’il ne s’agit pas de persécution ». Non mais, pour qui se prend-il cet impertinent, qu’il se taise, qu’il cesse de regarder et de comprendre ! Qu’il devienne compromis, comme nous, qu’il se replie et accepte aussi de s’éprouver « déjà homme par la lâcheté ». Il faut arrêter de dénoncer l’arbitraire parental, de vibrer de ressentiment, de haine et d’amour entremêlés. 

Et puis, il rêvasse, ayant le toupet d'affirmer que cet onirisme va déconstruire nos vérités logiques... « Le rêve était encore un de ces faits de ma vie qui m'avait toujours le plus frappé, qui avait dû le plus servir à me convaincre du caractère purement mental de la réalité » (Le Temps retrouvé). Le voilà qui se laisse affecté par des impressions fugitives, par ses sens dérégulés ; « un toit, un reflet de soleil sur une pierre, l'odeur d'un chemin me faisaient arrêter par un plaisir particulier qu'ils me donnaient, et aussi parce qu'ils avaient l'air de cacher au-delà de ce que je voyais, quelque chose qu'ils m'invitaient à venir prendre et que malgré mes efforts je n'arrivais pas à découvrir ». Il éprouve un plaisir irraisonné à divaguer de la sorte, bercé par « l'illusion d'une sorte de fécondité ». Il ferait mieux de produire, ou de faire des études de management....Mais c'est un fieffé tire-au-flanc, un oisif invétéré qui se repaît de contemplations et de lectures : « il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré ». Et puis, il s'ouvre à l'étrange, à l'altérité. Il pointe l'inconsistance de notre identité ; « il y a des moments où on a besoin de sortir de soi, d'accepter l'hospitalité de l'âme des autres ». C'est ça, et se laisser submerger par une vague migratoire tant qu'on y est ?! Non, il faut rester soi, complètement, se prémunir de tout ce qui peut nous altérer. Nonobstant, ce narrateur décadent reste au chevet de son enfance ; il veut retrouver, il se laisse envahir par tous les spectres infantiles qui rôdent. Il veut fuir ses responsabilités, se désadultifier ; exhumer la ferveur et l'émerveillement. Car « l'adolescence est le seul temps où l'on ait appris quelque chose »...Faut se calmer, vraiment ; l'enfantin doit être dépassé, anéanti, pour devenir un bon bureaucrate !

Heureusement, voilà qu’il pointe également ses propres excès infantiles, en tant qu’être « né sensible et nerveux », malade de ses gènes et de son cerveau, une sorte de pantin tyrannique – oui, c’est bien ce qu’ils sont…Voilà, qu’il assume sa fragilité maladive, déviante et constitutionnelle, sa conscience trop aiguë, traduisant un fonctionnement cérébral dérangé ; mais il a l’outrecuidance d’en faire une source de créativité. Espèce de neurasthénique ! Tu vas les bouffer les convenances et les petits arrangements, puis tu vas ravaler ta morgue et ta sensibilité. Comme nous, tu dois te destiner ; sors de ton costume d’intransigeance, à poil comme tout le monde. Arrête de nous observer comme un ethnologue, de nous transpercer par tes phrases et ta distance ironique. Tu crois qu’on va t’aimer pour toi-même, pour ta singulière façon d’être et d’éprouver ? Tu vas devoir te normaliser, rentrer dans le moule, et arrêter de nous toiser de ton regard pénétrant d’enfant. Oublie cela, on va le redresser ; tu ne dois plus libérer ton imaginaire poétique et tes ressentis débridés. Dysrégulation émotionnelle. Cesse de laisser s’exprimer l’enfance, de trouver des mots pour articuler l’expérience et le devenir. Ta prophétie neurodéveloppementale, on s’en charge, on va te régulariser. Trop sensitif, trop libéré. Nous jugulerons l’écoulement incontrôlé de cette acuité et de ces percées. Ces flux et ces émergences seront canalisés. Silence. Obéissance. Normalisation. Cette éclosion, sublime et sidérante, cette épine d’aubépine, on la recouvrira de pesticide. Traitement, psychotropes. C’est pas des madeleines que tu vas bouffer. 

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Marcel Proust à 15 ans, photographié par Paul Nadar

Diagnostics !

Trouble d’hypersensibilité - à réduire ! - manifestement associé à un attachement morbide et à des angoisses de perte
Potentialité perverse, avec recherche d’emprise. Risque d’obsessions amoureuses et d’enfermement de jeunes femmes. 
Fétichisme concernant des phrases musicales et des fragments colorés de tableaux
Trouble du rapport au temps et de la mémoire involontaire. 
Dyspraxie neuromnésique : quand il trébuche, il retrouve l’enfance et le Temps. 
Mégalomanie. 
A enfermer dans sa chambre, et à faire se coucher de bonne heure, pendant longtemps ! Et proposer aussi des stages de virilisme, car cette sensibilité féminine exacerbée est absolument intolérable ; il faut reconstruire sa masculinité, en faire un vrai mec de cet androgyne maladif. Un peu de scoutisme ne lui ferait pas de mal, il faut courir en plein air, couper du bois, apprendre la hiérarchie et le respect du chef, et faire cuire de la viande. Un peu de rugby aussi, les valeurs de l’ovalie vont lui rentrer dans le derrière ; il va arrêter de se cacher à l'ombre des jeunes filles en fleur...Allez, faut que ça suinte du toxique ! Bienvenue en Enfer !

Allez, enchaînons…Tiens, en parlant de damnation et de Pandémonium, voilà notre prochaine victime. 

L’enfant Jésus Christ, fils de Dieu, rien que ça. Probable délire de filiation, en rapport avec une Gestation Pour Autrui chez une adolescente mineure. En l’occurrence, sa génitrice, la jeune Marie, n’a que quinze ans lorsqu’elle lui donne le jour à Bethléem, et Joseph n’est même pas son père biologique…Ça sent l'abus sexuel transmué en divines inséminations …De surcroit, le gosse naît en exil, sur la route, dans l’abri précaire d’une bergerie, alors que ses « parents » doivent aller se faire recenser : un migrant, déraciné…

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Famille dissolue, recomposée, ne pouvant que pervertir l’enfant par de telles mystifications. Fruit de l’immaculée conception, pourvoyeur de miracles et autres mystères…Il faut dire qu’à peine né, on l’adore, on le flagorne le morveux ; et il est immédiatement pourri gâté par des cadeaux royaux ; or pour le roi des rois, encens pour le prêtre de tous les prêtes, et myrrhe, pour honorer son sacrifice. Franchement, les bonnes fées auraient pu s’abstenir. Voilà comment on fabrique un mégalo qui délire à plein pot, avec un narcissisme flamboyant et des idées messianiques…Quant au masochisme…trop de passion, il faut arrêter avec l’enfant Roi ! 

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Dès l’enfance, ce divin Jésus fait les quatre cents coups avec sa petite bande. Une vraie petite canaille qui fait tourner en bourrique les adultes. Un jour, il utilise ses dons de prestidigitation pour métamorphoser ses camarades de jeux en chèvre…Et, à une autre occasion, il modèle des petits oiseaux en terre et les faits s’envoler. Tours de passe-passe et autres arnaques…

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Bon, intéressons-nous plus précisément à ce pré-adolescent de douze ans, qui accompagne ses parents se rendant en pèlerinage à Jérusalem pour la Pâque. Jusque-là, l’enfant Jésus aurait été un enfant repli de sagesse, bien comme il faut. Il est manifestement passé entre les grilles du repérage précoce et de tous les dispositifs de dépistage déployés par Hérode. Y-a des trous dans la raquette ! Il faudra donc renforcer les plateformes de diagnostic, d’identification et de tri dès la toute petite enfance.
Mais le programme neuro-génétique attend souvent les affres de l’adolescence pour dérailler et exprimer ses tares restées latentes…et puis, c’est vrai que toutes ces Procréations Divinement Assistées et ces familles recomposées, on sait pas trop ce que ça peut donner sur le long terme. 
Mais revenons-en aux faits.
Au moment du retour, l’enfant Jésus a tout simplement fugué, cette graine de délinquant. Pendant trois jours, ses parents angoissés le recherchent en vain. Finalement, le sale gosse est retrouvé au Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi, comme si de rien n’était. Et « tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses ». Plutôt que d’écouter, le gamin désinhibé s’autorise donc à gloser, à seriner ; il prétend incarner la parole : « je suis le Verbe », et puis quoi encore. Tu vas surtout retourner apprendre la conjugaison ! Pauvres parents, bouleversés, culpabilisés : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » …Vous pensez que Jésus aurait pu être affecté d’éprouver ainsi ses parents, qu’il aurait exprimé ne serait-ce qu’une esquisse de repentir ? Eh bien, pas du tout, il leur répond, plein de suffisance et de mépris : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » …

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Mais pour qui se prend-il ce gosse irrévérencieux ? Pourquoi vient-il nous déranger ? Il prétend nous libérer…mais des rebelles peuvent-ils être heureux ? Les êtres humains sont génétiquement programmés pour se maintenir dans leur bêtise et leur perversité innées, dans la peur, la soumission et la consommation. Rappelons-nous, encore, la leçon du Grand Inquisiteur des Frères Karamazov de Dostoïevski. 
« Ils ne pourront jamais être libres, attendu qu’ils sont faibles, vicieux, nuls et mutins ». « Jamais ils ne sauront faire le partage entre eux ». La liberté du choix est un fardeau, de « nouveaux éléments de souffrance dans le domaine moral de l’homme ». 
Alors, pourquoi cet enfant veut-il nous enfoncer dans l’embarras et la perplexité, nous léguer des soucis et des problèmes insolubles ? Les êtres humains sont des esclaves, quoiqu’ils aient été créés rebelles. Il faut réprimer cette puissance infantile, cet orgueil d’enfant et d’écolier. 

« Ce sont de petits enfants qui se soulèvent contre leur pion et le mettent à la porte de la classe. Mais la mutinerie de ces gamins aura un terme, elle leur coûtera cher.  Ils renverseront les temples et ensanglanteront le sol. Mais ces enfants imbéciles finiront par comprendre que tout en étant des révoltés, ils sont des révoltés impuissants, incapables de supporter leur propre révolte. Versant de sottes larmes, ils sentiront enfin que celui qui les a créés rebelles a voulu sans doute se moquer d’eux ». Voilà la vérité, notre réalisme contemporain. 
Ces petits enfants, il faut aussi qu’ils en arrivent à se réjouir d’être « conduits comme un troupeau et de se voir enfin arracher du cœur le présent fatal qui leur avait causé tant de souffrances ». Diagnostics, filières, destins. Neuro-développement. Chacun à sa place, tant qu’ils n’auront pas compris cela, ils seront malheureux. 
Qu’ils restent de chétifs enfants, « ils deviendront timides, ils tiendront leurs yeux fixés sur nous et, dans la frayeur, se serreront contre nous, comme des poussins s’abritent sous l’aile de leur mère.  Ils éprouveront devant nous de l’étonnement, de la terreur, et penseront, non sans fierté, que nous sommes bien forts et bien intelligents pour avoir pu dompter tant de millions de rebelles invétérés ». 
« Il y a trois forces, les seules qui puissent subjuguer à jamais la conscience de ces faibles révoltés, ce sont : le miracle, le mystère, l'autorité ! ». 
Nous avons maintenant la Science, la Management, et le Marché ! 
Ce Jésus est un agitateur, qui restera bien trop proche de la puissance subversive de l’infantile. Non mais écoutez-le : « si vous ne retournez pas à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ; quiconque accueille un petit enfant tel que lui à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille » (Matthieu 18. 3, 5.6). Et puis encore : « Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Matthieu (25, 34-40)). A ce compte-là, on va finir par griller en Enfer ! 

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Revenons-en plutôt aux fondamentaux de la Bible, et de la lettre aux Hébreux de Paul de Tarse : « Celui que le Seigneur aime, il le corrige, et il châtie tout fils qu’il agrée. C’est pour votre correction que vous souffrez. C’est en fils que Dieu vous traite. Et quel fils que ne corrige pas son père ? » (Hébr., 12. 5-8 ; 11). Voilà, les rééducations comportementales justifiées par les preuves ! 

Sans correction ni remédiation cognitive, ce genre d’enfant va sans doute devenir un agitateur révolutionnaire, un rebelle anticapitaliste avant l’heure, prônant la fraternité, la sobriété et la paix. Beuark ! 
Il va devenir dangereux, écoutez-le : « Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu » (Mat. 19, 24 ; Marc 10, 25 ; Luc 18, 25)…Il colporte des archaïsmes que l'on voudrait définitivement étouffer : « Ne te détourne pas de ceux qui pleurent, afflige-toi avec les affligés » (L’Ecclésiastique, VII, 34)...Assez de ces attitudes de femmelette, de cette culture de l'éplorement et de la vulnérabilité. Nous voulons produire des êtres performants, sains et robustes. Les troublés, il faut les dépister, les repérer, leur faire passer un IRM et des bilans standardisés. Leur cerveau est déviant. Leur microbiote est perturbé. Nous les redresserons ! Pas de grabuge...

Or, quand ce Jésus rentrera dans le temple, à la Pâque, et qu’il trouvera des vendeurs de bœufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs assis, il va piquer une grosse colère, taper du pied, s'agiter comme un sale gosse ! Graine d'anarchiste ! Trouble oppositionnel, provocations !

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Le Christ chassant les marchands du Temple © Jan Sanders van Hemessen

Alors, est-ce qu’on doit le laisser chasser les marchands, et renverser les tables, refusant que la « maison de son Père » devienne un lieu de trafic et de corruption ? Par cet acte de rébellion, faudra-t-il le laisser condamner également les cultes sacrificiels et autres formes d’idolâtrie ? Il va vraiment commencer à nous soûler, l’empêcheur de tourner en rond. 
Qu’il crève, et que son père le sacrifie une bonne foi pour toute ! Abandonné, trahi ! et on lui fera croire qu’il a racheté nos péchés, l’andouille cloué sur sa croix… Allez, qu'il tende l'autre joue, qu'il clame l'amour et la fraternité, qu'il prône le dénuement et le collectif ! Son discours était, et reste, trop dérangeant, trop subversif, trop révolutionnaire, pour être toléré dans son intégralité...Voilà, l'institution ecclésiastique l’a donc transformé en dogme pour en atténuer la force et la portée. Maintenant, on peut aller tranquille à la Messe le dimanche, et continuer à s'en mettre plein les poches au détriment des plus vulnérables. Le destin tragique de ce révolté constitue au fond le « témoignage ultime, radical, de sa fidélité à la vérité de son amour pour les hommes. Il n’a pas renoncé par peur. Il a aimé jusqu’à accepter la douleur et la mort » (Frédéric Lenoir). Une bonne leçon pour tous ceux qui voudraient suivre son exemple ! Voilà, vous avez compris : il vaut mieux s'agenouiller plutôt que se lever, rejeter plutôt que tendre la main....Soumettez-vous !

Bon, en ce qui concerne cet enfant Jésus, le cas est limpide. 
Trouble manifeste des habiletés sociales, neurodivergence type Asperger. Théorie du saint esprit dysfonctionnelle. Délire de filiation. Trouble de l’attachement. 
Impulsivité avec dysrégulation émotionnelle.
Si on n’agit pas rapidement, le type va devenir un agitateur subversif, un révolté. Il risque de fonder un mouvement. On va en faire un simple handicapé, inadapté, à remédier. Il sera plus heureux ainsi, bien inclus, normalisé. 
Proposition thérapeutique : méthode rééducative comportementaliste intensive par crucifixion. 
S’il résiste, s’il persiste ? On a aussi des protocoles validés d’éradication. 
« Quoi qu’il en soit, demain je Te condamnerai et Te ferai périr dans les flammes, comme le plus pervers des hérétiques ». 
« Je Te ferai périr parce que Tu es venu nous déranger. Si en effet quelqu’un a mérité plus que personne notre bûcher, c’est Toi. Demain je Te brûlerai. Dixi. »

Voilà, on récupère son message, on le détourne, on en fait une église instituée. De sa petite secte de rêveurs séditieux, on construit une entreprise mondialisée d’évangélisation. On crée des clergés, des inquisitions ; on l’impose l’orthodoxie. On rééduque, on bêtifie. Et le tour est joué ! 

Bon, on en a fini pour aujourd'hui...Didier Salon-Macraud s'éponge le front. Il ploie mais ne cède pas. Il sait qu'il doit encore éliminer tous ces remugles d'enfance qui rejaillissent, même chez les plus grands hommes. Il faut réinstaurer de l'ordre, purifier le patriarcat, construire des êtres définitivement libérés de leurs déviances infantiles.

A suivre....

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