Après avoir analysé certains faits épidémiologiques et évoquer quelques hypothèses explicatives, je souhaiterais désormais appréhender les conséquences éventuelles d’un tel phénomène de surdiagnostic des troubles du spectre autistique. Ainsi, j’aborderai dans un premier temps les enjeux sur le plan social, politique et institutionnel, avant d’approfondir ultérieurement les dynamiques identitaires et anthropologiques, et j’essaierai enfin d’analyser quelques répercussions au niveau de la recherche scientifique.
Sur le plan des collusions entre la sphère politique, des groupes d’intérêts et de pression, certains diktats idéologiques, l’instrumentalisation de la science, la gouvernance autoritaire à la sauce du New Public Management, les logiques de marché, la désinstitutionalisation plateformisante et « inclusive », et les pratiques concrètes du soin, le champ de l’autisme est particulièrement révélateur.
De fait, comme le souligne un certain nombre de chercheurs, « ces savoirs et ces représentations, notamment les catégories nosologiques et les mécanismes physiopathologiques censés être sous-jacents aux symptômes, sont mobilisés dans les pratiques professionnelles, mais aussi dans le travail politique visant à modifier les règles qui encadrent ces pratiques et dans la médiatisation des discours ».
Dès lors, les tendances qui cherchent à faire reconnaître et à étendre certaines catégories diagnostiques, à travers un travail de problématisation, sont aussi bien susceptibles « d’engendrer une niche de marché, mais également un processus politique pour faire reconnaître le type de prise en charge ad hoc ».
Et, « cette politisation passe par la mobilisation de valeurs (« la santé », « le bien-être des patients », etc.) ou par un processus de technicisation, c’est-à-dire d’arguments techniques, « indiscutables », « scientifiques », bref une forme de politisation dépolitisante. Ce qui implique le recours à une expertise professionnelle, puis sa validation par l’État (notamment pour l’inscription du traitement au remboursement, pour la mise en œuvre de recommandations à l’usage des professionnels de santé, voire de politiques plus ambitieuses, etc.). Lorsque la décision politique intervient, elle institue de fait des règles qui sélectionnent certaines pratiques et catégories comme légitimes ».
Il y a donc là un véritable processus de « marchandisation d’un trouble », qui suppose au préalable la reconnaissance, la mobilisation et la réglementation des pouvoirs publics, afin de créer un véritable marché régulé aux bénéfices des prestataires « validés »
Dès lors, il faut pouvoir admettre que certaines conditions socio-historiques particulières ont pu contribuer à rendre « désirables » - aussi paradoxal que cela puisse paraitre- certains diagnostics, et en particulier celui d’autisme.
Car, outre les enjeux identitaires, les représentations collectives et les significations imaginaires qui investissent tel ou tel trouble, avec telle ou telle valence, il convient aussi d’appréhender des réalités très concrètes.
Par exemple, voici ce que peut évoquer le Pr Laurent Mottron à propos du l’augmentation massive de la prévalence de l’autisme : « la nature des outils diagnostics, l’obtention de services scolaires uniquement en fonction d’un diagnostic, l’existence de classes spéciales pour cette condition, la recherche d’un diagnostic ciblé plutôt que de tous les diagnostics possiblement présents chez un enfant sans hypothèse préalable, contribuent également à une augmentation artificielle des diagnostics d’autisme » à travers des critères diagnostiques « devenus triviaux ».
Ainsi, « les écoles feraient pression sur les médecins pour obtenir le diagnostic d'autisme qui débloquera les budgets dont elles auraient besoin pour offrir des services à cet enfant « autiste » ». Dès lors, on peut désormais comprendre que des parents « pleurent quand on enlève un diagnostic d'autisme » …
A l’évidence, la médicalisation et la problématisation d’un trouble infantile « hégémonique » supposent au préalable un travail de marketing, des stratégies de lobbying et l’allocation de financements, tant au niveau des organismes de recherche en vue de publications, que des relais de vulgarisation et de formation, mais aussi des instances politiques à même de « réorienter » les pratiques de terrain – par exemple, le 11 décembre 1996, la « loi Chossy » était promulguée en France pour garantir un accompagnement spécifique des autistes, et reconnaître l’autisme en tant que « handicap » ; et en 2016, une proposition de loi déposée par le député Fasquelle et soutenue par près d'une centaine de députés Les Républicains avait cherché à interdire toute pratique psychanalytique dans le traitement de l'autisme.
De surcroit, c’est toujours le discours biologique, cantonné à des déclinaisons très réductrices de la génétique et des neurosciences, qui est revendiqué comme seul critère d’autorité, participant alors à une naturalisation dépolitisante des catégorisations diagnostiques.
« Du coup, les enjeux qui sous-tendent la production et la médiatisation du discours de la psychiatrie biologique deviennent considérables. Il ne faut alors pas s’étonner de trouver dans ce discours de multiples distorsions, interprétations abusives et médiatisations erronées ».
Comme le souligne B. Chamak, les associations de familles de patients sont également devenues un acteur important du champ, en revendiquant une expertise spécifique, y compris dans le travail politique associé à l’établissement des catégories validées et priorisées. Ainsi, les pressions exercées à ce niveau ont contribué au « décollage du marché ».
« Les familles sont ainsi un maillon essentiel d’un champ où différents acteurs (les firmes pharmaceutiques, l’école, les assurances sociales, l’État) interagissent pour la généralisation du diagnostic et du traitement médicamenteux si le lobbying industriel est efficace ».
Certaines associations de parents sont d’ailleurs directement gestionnaires d’Etablissements médico-sociaux – « Sésame Autisme » assure la direction de 82 établissements en France, et « Autisme France » en gère 20, avec des conceptions parfois très rigides et normatives des modalités de prise en charge…
Comme le souligne Lise Demailly, « les associations de parents ont un rôle d’autant plus crucial dans la définition publique du problème de l’autisme, avec un impact idéologique sur les médias et le pouvoir politique, que les principaux intéressés sont pour l’essentiel muets socialement et que les connaissances scientifiques ne sont ni stabilisées ni consensuelles. Ces associations sont menées par des parents des classes moyennes ou supérieures, compétents pour mobiliser les ressources juridiques au niveau local, national ou international, utiliser les médias et les réseaux, intervenir auprès des députés ou des universités, exiger par exemple une modification d’un programme d’enseignement universitaire. Elles sont parvenues à faire de l’autisme un problème public et non plus seulement de santé publique, en argumentant à partir des taux de prévalence qui s’élèvent et d’un « retard français » vis-à-vis de pays nord-américains. Elles se sont aussi emparées du slogan « pratiques fondées sur les preuves », nouant des alliances avec des chercheurs en neuroscience (comme Frank Ramus, directeur de recherche au CNRS) ».
A l’évidence, ce lobbying médiatique, relayé par certains porte-paroles de la Cause autiste, aboutit à des répercussions très concrètes sur le plan économique, comme par exemple le remboursement des séances ABA, l’émergence de plateformes de coordination au détriment des institutions thérapeutiques, la perspective d’un financement des « personnes » et non plus des lieux de soins, la volonté de faire « dérembourser » certains actes psychothérapeutiques, etc.
Au fond, on assiste là à une « convergence d’intérêts objectifs avec les « modernisateurs » de la nouvelle gestion publique, attachés à la maitrise des coûts (la dépsychiatrisation), à la rationalisation gestionnaire du médicosocial (implantation des outils du nouveau management public, tutelle affermie, transformations des établissements d’hébergement en services mobiles moins coûteux) et à la promotion de la société « inclusive » (plutôt qu’égalitaire) ».
Car, en parallèle, sous prétexte d’évaluation, de rationalisation et de modernisation, des modalités spécifiques de financement s’imposent progressivement aux institutions sanitaires (réforme du financement de la psychiatrie) et médico-sociales (Seraphin-PH), ainsi que la multiplication d’indicateurs « qualité » (ANAP), favorisant toujours plus la tarification à l’acte, les prises en charge courtes et à haut taux de renouvellement, les interventions calibrées et normalisées.
A ce niveau, le discrédit et la délégitimation du soin institutionnel et des approches psychodynamiques constituent surtout une opportunité politique pour renforcer des stratégies managériales visant à réduire les moyens des services publics. Par exemple, une journée de soins en psychiatrie coûte trois fois plus cher qu’un hébergement en médicosocial. En outre, le virage ambulatoire et les impératifs inclusifs permettront de réaliser de substantives économies, en ramenant toutes les personnes en situation de handicap à domicile. Quant à la privatisation de l’offre confiée à des prestataires externes, elle conduira à un désengagement progressif de l’État en faveur de la responsabilisation et de la "liberté" des usagers - surtout pour les plus dotés sur le plan du capital symbolique et culturel.... Et, pour les familles épuisées, menacées de se consumer, on leur proposera quelques solutions temporaires de répit, des permissions pour souffler, afin qu’elles puissent reconstituer leur force de travail avant de repartir sur le front…
A cet égard, le développement des plateformes diagnostiques, et de coordination / orientation, est particulièrement révélateur.

Voici par exemple ce que peuvent en dire leurs thuriféraires : « La création de "Plateformes d'orientation et de coordination" (POC), leur passage au Parlement, de l'argent, des Cahiers des charges pour les services, des décrets d'application pour la Sécurité sociale : un arsenal de mesures d'une grande complexité s'est enchaîné entre 2020 et 2021. En effet ces plateformes doivent coordonner des soins qui sont alors garantis entre 0 et 6 ans ». Il est alors prétendu qu’après des décennies de pertes de chances pour les enfants souffrant de TND, ces dispositifs seraient salvateurs…Pour information, je travaille sur un CMPP au sein duquel, il y a plusieurs années, des cliniciens pouvaient encore intervenir en crèche, ou à domicile, avec des rôles de prévention et d’intervention thérapeutique précoce, à travers notamment les méthodes d’observation du bébé. Il était alors possible, au sein des institutions, d’envisager des pratiques créatives, hors-les-murs mais reliées à la dynamique institutionnelle, afin de faire face à certaines problématiques sanitaires. Or, toutes ces initiatives ont été balayées, rendues impossibles, du fait de réformes gestionnaires et de réduction concrète des moyens. La part dévolue aux soins rétrécit inexorablement à mesure que croissent les contraintes administratives liées au remplissage d’indicateurs, liées à la nécessité de respecter les protocoles, de réaliser des évaluations standardisées, etc. En outre, nous sommes de plus en plus bridés par la nécessité de « valoriser » les activités cliniques rentables sur le plan de la tarification, sous peine de mettre en péril le financement même de l’institution.
Dès lors, pourquoi ne pas allouer de véritables moyens aux institutions historiques, leur permettant de diversifier leurs interventions, et de contribuer efficacement au repérage et aux interventions précoces, plutôt que de créer une nouvelle strate administrative, hors-sol, venant tout simplement siphonner les moyens d’équipe compétentes et motivées, faisant face à une pénurie chronique et instituée ?
On n’organise pas l’accès à des soins de qualité en maniant l’affect et le mensonge: « Sans ces plateformes, ils (les petits enfants abandonnés) restent dans les bras de leurs parents, grands-parents, de leurs frères ou de leurs sœurs, attendant des soins qui ne viendront que bien plus tard ». Il existe pourtant des CMP petite enfance, des dispositifs de prévention en périnatalité, des CAMSP, des CMPP qui ont l’agrément pour accueillir des bébés et mettre en place des consultations préventives parents / enfants, avec la possibilité d’interventions pluridisciplinaires – abords sensori-moteur, psychothérapeutique, groupal…- mais aussi d’évaluations spécifiques. Par exemple, sur un des CMPP où je travaille, nous proposons des groupes préscolaires, des groupes d'observation orthophonie / psychomotricité, à destination des enfants présentant des troubles précoces de la socialisation et de la communication. Or, seules des institutions peuvent proposer ce type d'approche groupale, permettant d'appréhender les interactions entre pairs, avec des cliniciens différenciés, dans un cadre ouvert. Et ceci constitue à la fois une forme d'évaluation au plus près des difficultés réelles, en situation, mais aussi une démarche authentiquement soignante....
Certes, la pénurie de moyens a concrètement mis à mal les capacités d'accueil et d'intervention précoces de ces équipes, mais il s'agit là des conséquences de politiques délibérée, induisant inévitablement un "travail empêché" (Yves Clot) mais aussi des "rencontres entravées" du fait de contraintes gestionnaires - il est certain que sur des plateformes, sur des centres experts, sur des dispositifs d'évaluation ou d'interventions ponctuelles et standardisées, on ne risque pas de se sentir engagé dans le lien, de s'ouvrir à l'altérité, de plonger dans les abimes de la souffrance, d'assumer une responsabilité, d'être impliqué, affecté, touché, altéré, mais aussi atterré et indigné...
Cependant, voilà le type d’affirmations que peuvent asséner nos prosélytes éclairés : « que le manque chronique de budget, qui est partagé avec toutes les disciplines dans toute la Santé publique, serait la raison ultime des pertes de chances d’enfants petits ayant des pathologies très graves, et notamment les TSA TND, c'est faux ».
Au fond, il s’agit là de reprendre l’orthodoxie managério-technocratique des ARS : faites plus, avec moins de moyens, en vous réorganisant… (Ces gens-là pensent vraiment que nous travaillons dans une espèce de bazar confus et déstructuré, mélangeant l’improvisation au dilettantisme, imprégné d’un soupçon de complaintes et de dolorisme…).
Voici en tout cas leur sentence : « Tous ces services manquent d'interdisciplinarité, d'échanges, de partage ». Quelle méconnaissance, quel mépris, quelle condescendance !
Comment peut-on proférer de tels jugements sans la moindre appréhension de la réalité du travail clinique et institutionnel. Que ce soit sur les HDJ, les CMP / CMPP, CAMSP, IME, ITEP, il s’agit toujours d’une dynamique d’équipe, sur un mode transdisciplinaire, s’articulant par ailleurs avec tous les partenaires extérieurs (services médicaux, PMI, crèches, écoles, ASE, etc.). Cependant, il s’agit à chaque fois de tisser une cohérence, du lien, de la contenance, de recueillir la pluralité des regards et des ressentis, de rassembler plutôt que d’éparpiller, de morceler, de fragmenter…
Pour nos modernisateurs éclairés, les plateformes participent d’un « processus égalisateur irréversible ». Je tiens à rappeler que, dans leur philosophie, les institutions soignantes étaient pensées sur le mode de l’accueil et de l’hospitalité inconditionnels, permettant notamment à des familles non régularisées, précarisées, en difficultés pour investir un suivi en libéral et pour « entrer » dans des dispositifs mal formalisés, de trouver un havre, sans être d’emblée rebutées par une coordination administrative et bureaucratique assez absconse….
Oui, cette mission d’accueil est mise à mal, par des attaques systématiques, délibérées, entravant les disponibilités, tant sur le plan des contraintes et conditions concrètes, que des représentations véhiculées du fait d’un discrédit permanent. Mais, ce qui est sous-entendu c’est qu’il y aurait tout simplement une opposition systématique à tout interdisciplinarité de la part des équipes institutionnelles ( ?!) ainsi qu’une propension à ne pas vouloir surmonter les obstacles…
Pour les encenseurs des plateformes, les protestations ne pourraient venir que de professionnels « compétents dans leur propre sphère d'activité limitée, mais qui ne sont pas confrontés en pratique à ces détresses-là (sauf exception – et dans ce cas, nous ne doutons pas qu'ils seront convaincus par l'avancée du processus) ». Il faut contenir une certaine colère, voire une certaine agressivité lorsque l’on découvre de tels propos.
Alors, en tout cas, je peux vous affirmer que « ces détresses-là », nous y sommes confrontés, quotidiennement, que nous luttons chaque jour contre des inepties, des injustices, et des prérogatives hors-sols iniques, que notre « sphère d’activité » est malheureusement très étendue et que, pourtant, nous ne sommes pas, mais alors pas du tout, convaincus par « l’avancée du processus ». Ceux qui profèrent ces paroles sont-ils, eux, compétents au-delà de leur sphère d’activité ? Et que dire de leurs œillères, de leurs aveuglements idéologiques, voire de leurs intérêts manifestes ?
Il faut reconnaître qu’ils ont un argument choc : « plusieurs plateformes sont déjà en action, et positivement ». Positivement ? Cela sort d’où ? C’est une déclaration d’intention ?
En ce qui me concerne, sur le terrain, les retours d’expérience sont beaucoup moins probants, pourrais-je même dire négatifs ; délais, dispersion, manque de cohérence…. D’ailleurs, le directeur de la plateforme de Paris vient de quitter ses fonctions…Quelques faits pour soutenir vos incantations ?
Alors, chers réformateurs, menez vos « combats et vos escarmouches », soutenez vos « services impliqués dans des innovations », mais faites-le sans désavouer l’engagement et l’implication des équipes, et sans pensez que nous allons vous soutenir dans vos désirs de démantèlement de nos héritages, de destruction de nos idéaux, et de privatisation des « soins ».
Il est certain que des travailleurs atomisés, esseulés, prolétarisés, contraints de s’adapter à des diktats normatifs pour être rémunérés au lance-pierre auront peu de moyens de contestations, de résistance, d’échappement, de pas-de-côté, de créativité, de rencontres - c’est-à-dire de clinique...Contrairement à des collectifs institutionnels, à des équipes solidaires, incarnées, vivantes, traversées par des conflictualités et des débats, par des luttes et des élans.
N’oublions pas que le modèle des plateformes ce sont Uber, Tinder, Amazon, etc. En l’occurrence, il s’agit là de « fluidifier » la mise en lien entre l’offre et la demande, à des fins de consommation immédiate, éphémère, privée, décollectivisée - quitte à bafouer au passage le droit, la dignité et les régulations sociales les plus élémentaires...
De l’anti-rencontre, de l’anti-commun et, évidemment, de l’anti-soin....
Et les praticiens qui seront enrôlés dans ces plateformes devront nécessairement se soumettre à des contractualisations normatives, proposer exclusivement les méthodes validées par appel d’offre, devenir des prestataires dociles et interchangeables face à l’expertise des usagers et à l'agenda politique - le client est roi et il évaluera la prestation tarifée en ligne en attribuant commentaires et étoiles en fonction de la satisfaction de son désir...
Le dernier communiqué d'"Autisme France" en date du 30 avril 2021 ne dit pas autre chose :
"Aucune association d’usagers ne veut de pratiques psychanalytiques qui font de la France la risée du monde. La loi de janvier 2002 donne le libre choix des prestations à l’usager, pas aux professionnels".
"Les usagers que nous représentons ne veulent pas de la “pluralité des approches” qui sert à masquer le recours à la psychanalyse et le refus de mettre à jour les connaissances des psychologues"
"Les familles ont suffisamment longtemps subi la violence des pratiques non scientifiques.Les psychologues qui contractualiseront avec les plateformes doivent répondre aux besoins des personnes.Ces besoins sont définis dans les recommandations diagnostiques et de bonnes pratiques de la HAS, qui ne sont pas une option, et sont reprises dans tous les cahiers des charges des ARS".
Toujours cette même morgue, cette même prétention à représenter les "Familles", cette même haine de la pluralité, ce même désaveu du réel, ce même souci autoritaire du réglementaire, façon Politburo, faisant fi de tous les impératifs éthiques, de la responsabilité déontologique des cliniciens, mais aussi des réalités légales - les recommandations de la HAS et les cahiers des charges des ARS ne sont pas opposables...
Comme le suggérait récemment Patrick Landman, à travers cette chasse aux sorcières et ce détournement de la science à des fin idéologiques, se noue finalement l'alliance improbable - mais seulement à première vue - du maccarthysme et du lyssenkisme, soit l'infâme chimère composée des relents paranoïaques et sécuritaires du capitalisme et des effluves d'une idéologie totalitaire à la mode stalinienne...
De toute façon, le mot d’ordre est clair : tout critique est interdite - même si, sur le plan étymologique, cette disposition dérive du terme grec kritikē (κριτική), signifiant « (l'art de) discerner ».
« Vous les critiquez (les plateformes) ? Ce sera votre perte. Ne l'oubliez pas : la démocratie, c'est la loi du nombre. Et le nombre en l'occurrence n'est pas du côté des soignants mais des patients et leurs familles »
Et oui, car il y a, évidemment, l’arrogance de parler au nom de toutes les Familles et de tous les Patients - n’allons tout de même pas envisager que s’exprime là un point de vue situé, partial, intéressé, nimbé de certitudes généralisantes et méprisantes…
Ainsi, voilà la vérité révélée, intouchable, certifiée : « il y a ceux qui travaillent au quotidien auprès de très jeunes autistes et leurs familles : pour ceux-là, les Plateformes sont un progrès majeur, une offre secourable face au grand vide qu'ils affrontaient jusqu’alors »
Tout de même, il faut le faire pour transformer à ce point la réalité…Le vide c’est pourtant l’ignorance des conditions objectives et de leurs dynamiques historiques…
De fait, nos modernisateurs innovants, persuadés de détenir le monopole du progrès, ne voient manifestement le problème que par le petit bout de la lorgnette.
Car ils font fi des réalités concrètes rencontrées par certaines familles, et notamment celles qui sont le plus en difficulté, cumulant les facteurs de vulnérabilité, invisibilisées, précaires, mal logées, en situation d’immigration, sur des territoires déshérités…
Comme le soulignent Brigitte Chamak et Béatrice Bonniau, « l’enquête en Ile-de-France sur les enfants dits « sans solution » à domicile publiée en juillet 2012 par le Centre d’études, de documentation, d'information et d'action sociales (CEDIAS) indique qu’en Seine-Saint-Denis, le nombre de ces enfants « sans solution » est 15 fois plus élevé qu’à Paris ».
En outre, ces familles isolées ne disposent souvent pas du capital social et culturel pour avoir accès à l’information concernant les dispositifs de prise en charge et l’accès à des droits spécifiques.
Dans ces situations particulières, les études sociologiques de terrain montrent l’importance cruciale d’avoir des lieux de soins stables, pérennes, rassemblés, rassurants, contenants…
« Les parents de milieux populaires qui se sont exprimés au cours de cette étude, et qui, pour la plupart, ne font pas partie d’associations de parents, réclament des établissements publics spécialisés quand l’école refuse leurs enfants ». « La majorité des parents exprime leur reconnaissance vis-à-vis des services publics et des professionnels qui les ont aidés ».
Dès lors, « les témoignages recueillis en Seine-Saint-Denis relativisent ceux médiatisés par les parents qui s’expriment sur Internet et les positions de certaines associations de parents qui jettent le discrédit sur la pédopsychiatrie et les structures publiques. Une disparité entre les demandes des parents de milieux et de niveaux socio-économiques différents est constatée ».
Il existe ainsi une discordance importante entre la réalité des besoins de familles qui subissent au quotidien les conséquences du manque de places et d’institutions thérapeutiques publiques pour leur enfant, et les revendications des associations les plus visibles relayés par les modernisateurs managériaux, qui revendiquent un processus de désinstitutionalisation à marche forcée en faveur de plateformes de services, et qui exercent un lobbying acharné auprès des responsables politiques.
Ainsi, « ce qui était pris en charge par la collectivité devient un marché privé qui profite de la détresse des parents. Il en découle un accroissement des inégalités pour obtenir des services car les parents sont souvent amenés à recourir à une offre libérale quand ils le peuvent ».
Au final il s’agira de saupoudrer quelques « aides à la personne », quelques prestations éphémères, quelques prises en charge éparpillées et ponctuelles, tout en développant la formation des parents afin qu’ils s’occupent à domicile de leur enfant autiste – avec de gracieuses « solutions de répit » dans les moments les plus dévastateurs…
On perçoit bien que ce tour de passe-passe consiste au final à « détourner » les financements destinés initialement aux populations les plus fragilisées, tant sur le plan psychique, médical que social.
Et là se déploie véritablement une logique de filières, de tri, et de gestion de flux, de démantèlement des institutions publiques, de contractualisation et de responsabilisation individuelle, d’oubli des antagonismes sociaux concrets et des vécus incarnés en faveur de fictions idéologiques, caractéristique de la biopolitique néolibérale…
L’Etat pourra alors se féliciter de sa politique inclusive, alors qu’il n’aura contribué qu’à invisibiliser davantage la souffrance, au bénéfice des publics les plus « rentables » en terme de représentation médiatique et de rétributions électorales envisageables. En diluant la réalité tragique de l’autisme à travers une surmédiatisation orientée, les gouvernements successifs gagnent sur tous les plans : ils ont finalement réussi à envisager de substantielles restrictions budgétaires tout en faisant progressivement disparaitre la problématique réelle non seulement de l’autisme, mais aussi de tout un ensemble de manifestations psychopathologiques et de souffrance psycho-sociales…D’un coup de baguette magique, cela n’existe plus !
Dès lors, il convient de s’interroger : outre ces enjeux socio-politiques, économiques et idéologiques, quels peuvent être les bénéfices pour les « usagers » de ce remaniement des pratiques diagnostiques et « thérapeutiques » ?
A suivre....