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Billet de blog 15 octobre 2024

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Le tribunal de l'enfance neuro-troublante (3)

La Commission chargée de la Catégorisation Infantile, du Tri et de la mise en Filière s'attaque aujourd'hui à deux spécimens particulièrement séditieux et réfractaires : Antoine Doinel, héros des "400 coups" et Arthur Rimbaud, poète dégénéré. Au travail !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égard, ni patience » René Char

Bon, reprise des travaux inclusifs de la « Commission chargée de la catégorisation infantile, du tri et de la mise en filière » (CCITF). Allez, on a du boulot, on enchaine. Didier Salon-Macraud semble particulièrement excité ; son visage suinte l'exaltation. Il bave, transpire, tout rougeaud dans son costard de bureaucrate.

J’appelle à la barre le jeune Antoine Doinel, 12 ans, héros du film « les Quatre cents coups » de François Truffaut !

Illustration 1

Le cas est grave : mensonge, décrochage scolaire, fugue, délinquance, vol.

Là encore, une situation exemplaire, qui représente tous ces enfants blessés au regard réfractaire,  tous ces laissés pour compte qui s’arrachent à leur milieu à travers des sentiers buissonniers, au-delà des normes et de l’ennui quotidien ; tous ces gamins effrontés ayant l’outrecuidance de chercher à rêver, à se réinventer, à toucher la liberté du doigt pour faire face à leur résignation…Ces gosses en lutte avec le monde des adultes, trop conformiste, médiocre et étriqué à leurs yeux, qui partent en quête de nouveaux territoires ; là où cela palpite, là où on peut frémir et ressentir, dans le chaos de la vie.


Comme le souligne François Truffaut, son jeune héros hors-la-loi exprime toute la gravité de l’enfance confrontée à la frivolité des adultes. De fait, le regard enfantin perce à jour, dénonce et transgresse : l’indifférence, le mépris, le surplomb… A cela, il oppose la curiosité pour le monde, l’émerveillement et la lucidité ; la poésie des choses. Toutes ces broutilles qui n’intéressent personne. Ce qui exalte, ce qui fait vibrer. Antoine se révolte par ses rêveries, par ses fugues inabouties, par ces jeux insignifiants pour les gens sérieux. Il regarde vraiment, il ressent, de façon primordiale, en deçà des conventions. Il ose dire "Bonjour Madame" à un curé en soutane...Sacrilège !

Illustration 2

L’enfant est alors condamné, ontologiquement, au non-être, au pas encore, à la violence de l’invisible. Il doit sans cesse s’échapper pour tenter d’apparaître et d’exister, au risque d’être captif d’une spirale de malentendus. Car la « mauvaise pente » n’est finalement que l’aboutissement de l’indifférence des adultes : parents absents et immatures, mère volage, père futile, instituteur brutal…De demande d’attention en tentatives d’affirmation, comment ne pas comprendre les petits larcins d’Antoine comme des appels, à l’instar de la tendance antisociale décrite par Winnicott ? Et s’il contribue sans cesse à aggraver sa situation, c’est précisément parce qu’il n’est qu’un enfant, essayant gauchement de se sortir d’une impasse par un autre subterfuge maladroit. Il espère, à chaque instant, pouvoir être compris…mais s’enferme dans un engrenage d’équivoques, incapable d’anticiper les interprétations accablantes des adultes. Ainsi, il est toujours mis au banc, flanqué au piquet, privé de récréation… De surcroît, lorsque l’enseignant s’avance vers lui, Antoine, dans un geste immédiat, instinctif, porte la main à son oreille afin de se protéger – ce qui suggère des réactions incorporées vis-à-vis de maltraitances physiques récurrentes…Les signes non-verbaux en disent beaucoup lorsqu’il s’agit d’appréhender la sensibilité d’un enfant blessé, sa corporéité, sa capacité à résonner avec l’ambiance.

Illustration 3

On lui reproche son insolence, ses mises en question, son décalage ; il est récalcitrant, et vient ébranler la place à laquelle on le convoque. De pas-de-côté en déviation, le voilà coincé…Tout d’un coup, ce n’est plus un enfant, mais un délinquant précoce, inscrit dans un destin et une mauvaise constitution. Prophétie auto-réalisatrice, le voilà qui, sous influence, en arrive à dérober une machine à écrire, et qui se fait interpeler au moment où il la restitue…La logique implacable de l’assignation déroule alors son script : garde à vue au commissariat, puis placement judiciaire dans un centre d’observation pour mineurs délinquants. Antoine pleure dans le fourgon de police qui le transfère, tel un criminel...Et personne ne prête attention à sa détresse, personne ne l'écoute, personne ne le rassure, personne ne le console...

Mesdames et Messieurs, l’affaire est sérieuse. Qu’allons-nous faire de cette graine de criminalité, de cet enfant dangereux et en danger moral, de cette menace pour l’ordre social ?

Diagnostics ?

Trouble précoce des conduites avec tendances antisociales prononcées !

Sans doute inéducable, irrécupérable, un destin tout tracé

Il faut protéger la société de ce futur scélérat

Orientation ?

Enfermement, dressage et travail – et 400 coups de bâtons, ha ha ha !

A défaut de pouvoir servir de lui-même, on va se servir de lui.

N’oubliez pas de lui prescrire quelques cachetons tout de même, régulateur sédatif normothymique

Ça lui ôtera ses rêveries poétiques, son opiniâtreté et ses velléités de fuite

Damnation, on nous informe que l’inculpé s’est fait la malle, et qu’il contemple la mer, qu’il ressent la caresse des vagues et s’imprègne des embruns : écrasez-le de neuroleptiques ce réfractaire ! Et sinon, on l’attachera ; préparez les contentions !

Illustration 4

Pourquoi François Truffaut nous confronte-t-il ainsi à cette sauvagerie irréfragable de l’enfance ? Tous ces enfants en impasse existentielle, coincés ; car il faut bien les civiliser et les faire entrer dans le moule, afin d’écarter les spectres d’échappement et de rébellion. De L’enfant sauvage, à L’argent de poche, l’enfance désarçonne, par sa résistance et sa vulnérabilité.

« Il y a une sorte de grâce aussi chez Truffaut. Il n’use jamais du pittoresque dans les farces et les mots d’enfants, dans le drame ou dans la comédie. Il filme non de petits cabots apprivoisés par la caméra, mais de vrais enfants, jusqu’aux portes de l’adolescence, en train d’inventer la vie. Il les prend au sérieux, sans s’agenouiller pour se mettre à leur hauteur » Jacques Siclier, le Monde, 20 mars 1976.

Illustration 5

Rappelons-nous Julien Leclou, cet enfant de misère, qui fait les poches et chaparde pour survivre ; tout en subissant régulièrement des réprimandes, alors qu’il n’est qu’un gamin battu…Ce « cas social » recouvert d’ecchymoses finira placé par l’assistance publique, brutalement arraché à sa famille, sans autre forme de procès.

Parmi quelques autres scènes, la jeune Sylvie se retrouve punie en restant seule à la maison tandis que ses parents partent au restaurant. La fillette utilise alors un haut-parleur pour clamer sa famine dans la cour de l’immeuble, et tout le voisinage se mobilise finalement pour lui faire parvenir des victuailles dans un panier…Bel exemple de parentalité collective !

Et puis, dans une cité HLM, une jeune mère laisse son très jeune enfant, Grégory, seul dans l'appartement. Jouant avec le chat, l'enfant tombe du troisième étage... et se retrouve en bas, indemne, en disant simplement « Grégory a fait boum ».

Car les enfants ne sont pas terminés, ce qui explique leur « résilience ». Leur os sont moins rigides, moins soudés, leurs cartilages pas encore développés. Un bébé a 350 os à la naissance, et il n’en restera que 206 à l’âge adulte. Les chocs sont partiellement absorbés par cette souplesse…Quant à ce qu’ils subissent intérieurement, ce qui les colonise psychiquement, on s’en fout…S’ils s’agitent, virevoltent, en état permanent d’insécurité et de qui-vive, on les foutra sous médocs, et tout rentrera dans l’ordre….

Et puis, tant qu’on y est, on va tout de même pas verser quelques larmes sur la condition des enfants et les injustices qu’ils subissent. On devrait les considérer, entendre leur voix, arracher le joug que nous leur imposons ? …Holà ! Faut arrêter fissa de rêver et de divaguer ! Vous voulez l’anarchie et le désordre ? Des hordes de gamins défroqués disséminant le chaos. Un peu de sérieux. Reprenons le travail.

 Mais avant, notre programme va être interrompu par une petite page de publicité

"Nous avons le plaisir de vous annoncer la naissance officielle de l’Institut Hospitalo-Universitaire du Cerveau de l’Enfant, dans un nouveau bâtiment sur le site de l’hôpital Robert Debré, financé à hauteur de 40 millions par l’Etat. Là, une équipe d’experts en génétique, imagerie et neurosciences, pourront recevoir des cohortes d’enfants pour leur faire passer des batteries de tests et d’examens afin de mieux comprendre leurs déviances neurodéveloppementales.

Illustration 6

Dans ce lieu d’excellence, les limites de l’imagerie seront poussées, avec notamment avec l’utilisation de l’IRM 7 Tesla chez l’enfant. Seront investiguées les séquences fonctionnelles qui serviront à la clinique pour le phénotypage anatomo-fonctionnel plus précis des anomalies neurodéveloppementales, dans le but de développer de nouvelles pistes, notamment médicamenteuses. Comme le souligne le Pr Ghislaine Dehaene-Lambertz, « nous créerons une plateforme numérique d’informations, de conseils, de tests et questionnaires, qui servira à des projets de recherche participative et permettra aux parents d’aider leur enfant ». Nous aiderons les enfants à « avoir une parole valide ». « Enfin, nous proposerons des outils pour aider les apprentissages à l’école ».

En effet, « la solution semble toujours se tourner vers le pédago-éducatif alors que la science cognitive peut nous montrer d’autres façons d’enseigner plus fructueuses pour le cerveau ». « Il est temps que nous étudiions de façon plus efficace la façon dont ce cerveau apprend ». Éliminons l’enfant, avec tous ses biais relationnels, affectifs, historiques, sociaux, culturels, pour ne conserver que la pureté d’un dispositif cérébral apprenant. D’ailleurs, « la soif de comprendre peut même se voir à l’imagerie ». Alors, hein, ça vous en bouche un coin !

Certes, « il est vraisemblable que dans beaucoup de cas, nous ne pourrons pas soigner la cause initiale, mais nous pouvons aider les enfants à être fonctionnels pour qu’ils n’aient pas à souffrir de ce qu’ils sont ». Nous allons éradiquer l’enfance !

Nous savons désormais que « les téléconsultations peuvent participer à améliorer la prise en charge de tous » : « le numérique pourrait aider à mieux repérer les enfants »

Vive la Science, vive le Cerveau, Vive la captation de fonds publics au détriment du soin !"

Après ce spot promotionnel, reprenons le cours de notre procès...

Alors, voilà qu’on doit maintenant s’occuper du cas d’Arthur Rimbaud, poète dégénéré, éternel enfant rebelle et vagabond…

Illustration 7

Ce gamin précoce, à haut potentiel intellectuel, est issu d’une famille de la bourgeoise provinciale de Charleville, traditionnelle, conservatrice, mais quelque peu déclassée. Le jeune Arthur vivra une enfance malheureuse, carencée, dans un milieu rigoriste, dénué d’affection ou de consolation. Trouble précoce de l’attachement, de type ambivalent insécure, voire désorganisé.

Le père, Capitaine d’infanterie, ne revenait au foyer que pendant ses permissions, pour se disputer avec son épouse et l’engrosser. Figure paternelle empreinte d’un mystérieux ailleurs, déserteur, parlant l’arabe suite à la campagne d’Algérie…Dans « Les visiteurs du Moi », Alain de Mijolla évoquera un « fantasme d’identification inconscient » à l’égard de ce fantôme paternel, qui « habite » le jeune Arthur et oriente son horizon…Foutaises ! C’est juste une famille déstructurée, sans autorité patriarcale, et qui deviendra même monoparentale ! En effet, alors que le futur poète a 6 ans, le couple se sépare, et le Capitaine Rimbaud disparait pour de bon. Se déclarant veuve, la mère déménage avec ses enfants, dans des conditions assez misérables.

« Et là, c’est comme un nid sans plume, sans chaleur,

Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;

Un nid que doit avoir glacé la bise amère… »

Mme Rimbaud apparait comme une personnalité rigide, dévote, froide et autoritaire, « aussi inflexible que soixante-treize administrations à casquettes de plomb », avec des principes éducatifs très stricts. L’adolescent Rimbaud vit la relation avec cette figure maternelle étriquée comme une condamnation au martyre. Il n’hésite pas à blasphémer, la comparant à une mater dolorosa ruminant son affliction et sa douleur au pied de son fils crucifié. Trop rapidement exilé de l’enfance, Arthur est précocement confronté à la brutalité, à la solitude, et aux privations. Le climat familial l’oppresse. Mais comment faire le deuil d’une « mère morte » ? Comment se libérer de « la bouche d’ombre », de « la Daromphe » ? Comment échapper à cette atmosphère étouffante, voire claustrophobique ? Comment fuir cette grisaille morose et rabougrie ? 

« Tout le jour il suait d'obéissance ; très

Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits

Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.

Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies

En passant il tirait la langue, les deux poings

À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points »

Illustration 8
Portrait d'Arthur Rimbaud, 1872 © Henri Fantin-Latour

Alors, Arthur se plonge à corps perdu dans les études, et il brille, il irradie. Mal accueilli, l’enfant tisse ses propres mondes, déploie d’autres réalités, insuffle du souffle et de l’inspiration ; il crie, il psalmodie, il réenchante. « Rimbaud demeure l’asymptote poétique de l’adolescence créatrice de langue » (P. Gutton, Le génie adolescent, p 141).

Mais rapidement, il n'est plus l’élève sage et étonnamment érudit, mais l'adolescent dévoré par un élan boulimique, par une frénésie effrayante. Tant d'orgueil, tant de violence !

« Comme le mugissement de la mer précède de loin la tempête, cette orageuse révolution s’annonce par le murmure des passions naissantes ; une fermentation sourde avertit de l’approche du danger. Un changement d’humeur, des emportements fréquents, une continuelle agitation de l’esprit, rendent l’enfant presque indisciplinable. Il devient sourd à la voix qui le rend docile ; c’est un lion dans sa fièvre ; il méconnaît son guide, il ne veut plus être gouverné », Rousseau, l’Émile, 1762

Illustration 9

Le jeune poète obtient plusieurs prix d’excellence en littérature. Au collège de Charleville, il confirme ses aptitudes exceptionnelles, son aisance à manier la langue, à s’immerger dans les mots et les formes. Ses bouillonnements intérieurs, il les écrit ; aussi bien en français qu’en latin, il rédige des poèmes, des élégies, des dialogues. Il crée, il s’échappe. Il triture les thèmes classiques, il renverse. Il s’approprie, il façonne. Arthur se fait « voyant », il cherche au-delà des perceptions banales, il perce l’ordinaire, il veut dérégler tous les sens. Alors, il plonge en apnée dans ses désarrois d’adolescent, et en ressort illuminé. Arthur ne laisse rien intact ; là où il passe, la tradition trépasse. Il joue, il balbutie, parsemant ses œuvres d’audaces formelles et d'apophtegmes énigmatiques. Probable maniérisme morbide et tendance antisociale. Il veut « changer la vie », « être absolument moderne » et transformer la vérité. Il cherche à épuiser en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences, jusqu’à en arriver aux étranges inquiétudes…

« Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! »

Ses textes sont parsemés d’idées marginales, anti-bourgeoises et libertaires, qui témoignent de sa dérive perverse et de sa faiblesse de caractère. Fulgurances maladives, révolutionnaires, visionnaires.

Repli morbide dans l’imaginaire et la subversion. Frivolité, infantilisme obstiné.

« On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans ».  Et puis quoi encore ?! On doit avant tout faire ses vœux sur ParcourSup, on doit déjà se vendre, faire fructifier son capital, planifier sa carrière, travailler son réseau.

Mais Arthur, maudit par lui-même, dissident et révolté, prend la tangente. Il se consume, et s’oublie dans la poésie. Il dépeint ses souffrances, qui sont « énormes, mais il faut être fort », il faut refuser, il faut partir. Créer pour ne pas se détruire. Pour faire face au délaissement. Pour affronter la Loi du père absent. Pour s’affranchir de soi-même.

« Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. »

Trouble dissociatif de l’identité, caractérisé.

Arthur est bouleversé par toutes ces effervescences qui l’astreignent, par ces « choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ». Il accueille cette troublante bestialité, en dépit des dégoûts et des perplexités. Arthur s’immerge dans le pubertaire, jusqu’à la lie. Il s’étonne de l’écœurement et du sale, et les embrasse absolument. Il titube, il oscille entre l’abject et le sublime. Il s’imprègne de merveilleux remugles.

Fatalement, il récuse l’ordre et la norme ; il recrache l’injonction à produire, à réussir et à s’accomplir dans les basses besognes de la bourgeoisie triomphante. Il ne sera pas un tâcheron rentable et fréquentable ! Voilà d’ailleurs ce qu’il écrit à son ancien professeur, Georges Izambard, le 13 mai 1871 : « Travailler maintenant, jamais, jamais. Je suis en grève. Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant ». Rendez-vous compte, l’agitateur que voilà ! Pour nous, c’est tout vu ! On va le remettre dans le rang, dans le droit chemin ; au boulot, comme tout le monde, et interdiction de paresser !

Mais il a une autre vision, un autre horizon : pour ce faire, il doit encore fuir, plus loin, pour de vrai.

« Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;

Mon paletot aussi devenait idéal ;

J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;

Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! »

Alors, l’adolescent Rimbaud se met à vagabonder ; il fugue. Voyage pathologique en plein contexte de guerre contre la Prusse. Figure de proue d’une adolescence incontrôlable, errante, il prend la tangente, et fuit vers la capitale pour s’immerger dans l’esprit révolutionnaire. Identifications morbides à la plèbe séditieuse et revancharde. Lors de ses pérégrinations, le voilà incarcéré à la prison de Mazas. Il a 16 ans, on peut le ravaler…

A l’instar de la jeunesse qu’on humilie, qu’on maltraite, dont on abuse ? …

Aurait-il alors subi des humiliations voire des violences sexuelles ? Son cœur supplicié a-t-il été terni par l’ombre des prédations pédophiles ?

« Ithyphalliques et pioupiesques,

Leurs insultes l’ont dépravé ! »

Lui, l’histrion, le funambule, le saltimbanque, est-il une âme chancelante, victime innocente des cruautés silencieuses ? Le voilà « à la vesprée », dégobillant les salissures, recrachant sa nausée et les « jets de soupe », au milieu des immondes quolibets et des « refrains bacchiques ».

« La Mother » le rudoie « chassez-le, qu'il revienne vite ! », et lui réserve une volée de gifles pour célébrer son retour.

Nonobstant, Arthur insiste, il s’enfuit à nouveau, et ne revient qu’escorté par les gendarmes.

Mais il veut se battre, il veut résister, il veut affronter la honte et l’ordre. N’étant pas majeur, on lui interdit de s’engager volontairement dans la Garde nationale, malgré ses véhémentes protestations.

A l’issue du siège de Paris, le poète se rend à nouveau dans la capitale exsangue ; il cherche à entrer en contact avec de futurs communards comme Jules Vallès et Eugène Vermersch, mais aussi avec le milieu des poètes.

Participera-t-il à la Commune ? …Plusieurs témoignages confirment son incertaine présence.

En tout cas, il ne retournera plus au Collège. Refus scolaire anxieux, décrochage. 

« L'ordre est vaincu ! ». Arthur célèbre le « printemps » qui a vu le peuple s’auto-organiser et prendre le pouvoir, dont « les pieds ont dansé si fort dans les colères ».

Ses provocations amusent, puis excèdent le milieu parisien. L’adolescent turbulent et enivré blesse le célèbre photographe Etienne Carait d’un coup de canne-épée. Sa violence mutine crée le tumulte dans le Cercle des poètes zutiques. La disgrâce le menace déjà…

Mais le pire est à venir. A 17ans, le jeune pervers séduit Paul Verlaine, poète satyre et pédophile, pourtant marié et père de famille ! Il se livre, comme Muse et proie. Une liaison tumultueuse s’ensuit, une vie d’errance et de bohème, aux effluves d’absinthe et de stupéfiants. Pour étouffer le scandale, le couple s’éloigne de Paris et s’exile à l’étranger. Non content d’avoir à plusieurs reprises violenté sa famille, Verlaine délaisse son fils et sa femme, qui demande alors une séparation de corps et de biens. Cette passion dénaturée, invertie, décadente, est imprégnée de turpitudes et de violences, jusqu’au point de non-retour. Lors de leur escapade en Belgique, Verlaine, complètement ivre, tire au revolver sur l’éphèbe enamouré, le blessant au poignet. Le pauvre adolescent, apeuré et traumatisé, doit se résoudre à demander une protection policière. Le pédéraste Verlaine est incarcéré à Bruxelles.

Illustration 10

Même si Rimbaud, l’« époux infernal », retire sa plainte, l'enquête à charge est accablante : surtout l’homosexualité « active et passive » davantage que le détournement de mineur…Le prédateur maudit est condamné à deux ans d’emprisonnement  pour blessure avec arme à feu.

Mais l’adolescent est définitivement dépravé, souillé, traumatisé, ayant à jamais massacré son innocence enfantine.

A travers toutes ses pérégrinations et ses errances, n’est-il pas finalement en quête de la loi paternelle ? N’est-ce pas une forme de consolation qu’il recherche à travers cette dépravation incestueuse : Verlaine, figure de père déchu et abandonnique ? Un père-amant en guise de double…pathétique

Promis à un bel avenir, il se saborde…

« Mais la noire alchimie et les saintes études

Répugnent au blessé, sombre savant d'orgueil ;

Il sent marcher sur lui d'atroces solitudes »

Éternel enfant, incapable de devenir un adulte respectable, bourgeois, dans le rang. Il se condamne à la prématurité, à l’inachèvement, à l’inadaptation…Il n’est déjà plus là, ou pas encore. Il reste indéterminé, inidentifiable, autre.

La bureaucratie ne peut le capter et l’arraisonner. Révolté permanent, en réinvention. Un étranger-participant, qui résonne avec le monde. Il s’implique dans le désengagement, il louvoie au milieu des servitudes. Il trahit toutes « les puissances fixes qui veulent nous retenir » (Deleuze).

« En fait, il n’est rien de ce qui nous a faits les héritiers de l’immonde Second Empire - spéculation, colonisation, prédation - qu’il n’ait incendié de son refus, pour qu’entre les flammes se dessine la beauté surprenante de ce qui pourrait être. Aussi imprévisible qu’indéfinissable, cette beauté resplendit alors de se confondre avec ce manque, où s’engouffre le grand vent de l’imagination. Indissociable de la révolte qui la fait naître, il lui revient à chaque fois de s’imposer comme une forme inespérée de la liberté. Voilà pourquoi ce que Rimbaud a dit, ce qu’il a rêvé, ce qu’il a révélé, continue, décennie après décennie, de faire écho chez les très jeunes gens qui n’ont encore abdiqué sur rien » Annie Le Brun, Ce qui n'a pas de prix

Pas d’avenir, pas de carrière…Quel gâchis ! Tant d’investissements en pure perte

 Diagnostics ?

Bon, alors, trouble grave du caractère, avec tendances perverses, moralité déficiente, sexualité déviante, velléités délinquantes, fragilités identitaires. Haut Potentiel Intellectuel avec Hypersensibilité. Trouble oppositionnel avec provocation. Décrocheur et déserteur multirécidiviste. Vagabondage.

Langage non conforme, avec dyssyntaxie.

Conduite à tenir : prescription de neuroleptiques normothymiques à forte dose, rééducation comportementale intensive. La base quoi….

Mesure d’Investigation Judiciaire. Surveillance en Centre Éducatif Renforcé, puis orientation vers une colonie de travail dans nos comptoirs, ou dans la légion étrangère. 

« L'air marin brûlera mes poumons, les climats perdus me tanneront »

A noter également : accointance suspecte avec la « sagesse bâtarde du Coran » : vigilance, à ficher S. Probable islamo-gauchiste.

En tout cas, il faut absolument le désenfanter, le contraindre à s’adultifier et à sacrifier ces élans infantiles de créativité et de subversion. Il doit se rabougrir, rentrer dans le rang, capitaliser et capituler…

Et on lui trouvera peut-être une activité inclusive de réhabilitation psychosociale dans le négoce international…. Le commerce d’armes, ou la traite humaine ; ça rapporte.

« Ainsi se proposent-Ils d’avorter les Rimbaud, et de détourner leurs énergies fines et violentes à leur profit : les Rimbaud créeront des Saisons en Enfer pour l’ennemi, les Charlie Chaplin seront organisateurs du travail, et les Mozart ne seront plus assassinés (assez de gâchis). Ils inventeront la musique qui donne envie de travailler à la chaîne » (Christiane Rochefort, Les enfants d’abord)

Beau travail ! Didier Salon-Macraud est en nage, il suffoque...Mais il respire la satisfaction de la sentence bien appliquée et de la Science enfin prescrite.

A suivre....

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