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Billet de blog 18 mars 2025

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Attention, enfants ! (1) Hyperactive propagande…

L'hyperactivité infantile est désormais un symptôme social, voire une pathologie de civilisation. Mais que signifie la diffusion ubiquitaire de ce trouble sur un plan anthropologique ? Et de quoi la mise sous psychotropes des enfants est-elle le révélateur ? Enquête approfondie en plusieurs épisodes...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les gosses s’agitent, se dispersent et nous échappent. Ils sont distraits, ils désobéissent ; ils ne veulent pas rester en place. Pourquoi ? Nos enfants ne sont pas là où on les attendrait, définitivement. Ils nous sollicitent, ils nous épuisent…On les voudrait calmes, efficients, productifs. Mais…C’est insupportable ; donc, il faut bien trouver une cause à cela, puis un remède. La Science doit bien avoir une réponse, la médecine doit bien pouvoir traiter. Il faut dissiper le mystère, il faut reléguer le désarroi. Et puis s’absoudre, collectivement, socialement, de nos responsabilités. On n’y peut rien, ils naissent comme cela. On ne les a pas agités, ils le font tout seuls. Il n’y a aucun défaut d’attention de notre part – non, c’est en eux, intrinsèquement. Que d’excitation ! Que d’opposition ! Voilà, amuse-toi à tuer des gens sur ton écran, cela t’apaise…Déverse ta vitalité, quand cela nous arrange…Puis, deviens léthargique pour ne plus nous déranger, reste passif, absorbe des contenus. Là, il faut se tenir. Les enfants ne ressentent rien, ne sont pas affectés – voilà de quoi nous voudrions être convaincus. Mais parfois, leur programme de neurodéveloppement déraille. Problèmes de gène et de cerveau, sans doute. Alors, il faut les traiter, les redresser, les sédater….

Illustration 1
© Tomi Ungerer

Pour cela, on a donc créé une condition pathologique ad hoc, un trouble du neurodéveloppement : le TDAH, trouble déficit de l’attention avec hyperactivité.

Avec une étiquette, on veut simplifier, faire rentrer dans des cases. Se rassurer. Se persuader...On traite, on impose des œillères. C’est prouvé, c’est médical, c’est scientifique.

 Mais peut-être faudrait-il approfondir, vraiment, ces enjeux. De quoi l’hyperactivité infantile est-elle le nom ? Quels sont les déterminants de l’attention ? Quelles sont les conséquences d’une médicalisation des troubles attentionnels de l’enfance ? Dans quelle perspective socio-historique se déploie-t-elle ? Et quelles en sont les arrière-plans anthropologiques, ainsi que les enjeux politiques ?

 En l’occurrence, la complexité épistémologique de l’ « hyperactivité » provient de sa position particulière, à l’intersection du développement psychomoteur, de l’articulation somato-psychique, des représentations sociales de l’enfance, des attitudes éducatives ou pédagogiques, et des enjeux actuels qui traversent la psychopathologie infantile. Entre génétique, biologie, neuropsychologie cognitive, psychanalyse et sociologie, ce « syndrome » cristallise des interrogations essentielles concernant les conceptions mêmes de la « nature » enfantine, ou en tout cas des constructions et des attentes à l’égard de nos rejetons. A quoi il faudrait aussi rajouter les controverses « scientifiques », la couverture médiatique, les dynamiques de propagande et de lobbying, les enjeux idéologiques et de gouvernementalité, les intérêts financiers, le contrôle social et (bio)politique de l’enfance, la généralisation des « perturbateurs attentionnels », les effets de marché, etc. Entre normes et désarroi, ces troubles de l’enfant polarisent alors des débats passionnels, voire irrationnels, à la mesure des fantasmes et des angoisses latentes…

Au-delà des polémiques et des irritations de l’actualité, peut-être faut-il prendre le temps de s’immerger en profondeur, afin de mieux saisir les dynamiques anthropologiques sous-jacentes ? En quoi les enfants font-ils symptômes ? Qu’est-ce que les revendications de plus en plus extensives de prescription en population infantile disent de notre imaginaire sociale ?

Illustration 2

 Le 23 septembre dernier, la Haute Autorité de Santé (HAS) publiait ses dernières recommandations relatives au diagnostic et aux interventions thérapeutiques concernant le Trouble Hyperactivité / Déficit d’attention auprès des enfants et des adolescents, suite à une cosaisine de l’association HyperSupers et du ministère de la Santé et de la Prévention (DGS/DGOS), dans le cadre de la stratégie nationale pour les Troubles du NeuroDéveloppement (TND).

Sans surprise, ces recommandations valident les tendances actuelles, arguant d’un consensus scientifique incontestable : généralisation de la prescription, diminution des contraintes réglementaires et de tous les éléments de prudence ou de surveillance, recours massifs à la dématérialisation pour combler les défaillances instituées en termes de soin…Les enjeux prioritaires seraient donc de rattraper les retards de diagnostic, de repérer plus précocement pour initier sans délai les traitements « validés ». Le véritable scandale, c’est donc tous ces enfants qui s’agitent désespérément, sans pour autant être étiquetés, catégorisés, et médiqués.

Les critères doivent donc être assouplis, de façon à garantir des traitements plus étendus et précoces. Par exemple, il n’y a plus de limite d’âge. De surcroit, le diagnostic reste valide même si des évaluations neuropsychologiques ne repèrent pas de trouble attentionnel caractérisé - vive la rigueur scientifique…Et puis, la démarche diagnostique pourra désormais être effectuée par un médecin non spécialiste, ayant bénéficié d’une formation sommaire aux Troubles du NeuroDéveppement, sur la base d'un simple entretien clinique. Aucune évaluation complémentaire n’est plus requise. De toute façon, un test spécifique avec des résultats dans les zones de normalité n’éliminera pas le diagnostic de TDAH…C’est donc la conviction clinique du praticien « expert » qui prime, sur la base d’une évaluation très sommaire, le plus souvent en une seule consultation - très influencée par le vécu de l'entourage, ou le retour de l'école, ou les convictions de la concierge, ou le militantisme du cousin...Comme le revendique Olivier Bonnot, qui a présidé le groupe d’expert de la HAS, « les diagnostics de troubles aussi fréquents que le TDAH, qui touche 5 % des enfants, doivent sortir du champ exclusif de la psychiatrie ou de la pédiatrie ». Par ailleurs, « les TND [Troubles du Neuro-Développemet] ne sont pas qu’une affaire de médecins », et il convient désormais de former les professionnels de l’enseignement et de l’éducation.

Avec un saupoudrage de formations au lance-pierre, une milice de néo-spécialistes low-cost va donc pouvoir diagnostiquer à tour de bras, garantissant les faux-positifs. En effet, l’absence d’expérience clinique véritable ne permettra pas d’envisager les diagnostics différentiels, et d’imaginer d’autres hypothèses étiologiques ou thérapeutiques. On ne s’intéressera guère aux éléments d’environnement, à l’histoire, aux dynamiques relationnelles…Au-delà des risques de surdiagnostic et de négligence, ces orientations témoignent par ailleurs du peu de considération à l’égard du savoir expérientiel des cliniciens et de la complexité du psychisme.

Proposerait-on à un neurochirurgien de se former en 10 jours, puis de pratiquer des interventions en autonomie ?

 On pourrait se rassurer en considérant, au sein des recommandations, les rares vernis de prudence, avec quelques réserves formelles et hypocrites de vigilance : la prescription de psychostimulant est ainsi préconisée quand les mesures non médicamenteuses seules s’avèrent insuffisantes…En pratique, on sait bien que cela n’est pas appliqué, et que le recours à la médication s’avère très systématique, sans accompagnement thérapeutique – d’autant plus que l’accès à des soins réels est de plus en plus virtuel…Il est par ailleurs constaté que l’initiation d’une prescription est significativement corrélée à une interruption de prises en charge soignantes préexistantes.

 Par ailleurs, d’après la Haute Autorité de Santé (HAS), les seules interventions non médicamenteuses retenues sont la psychoéducation, les TCCE (thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles) -qui ne peuvent agir que sur le retentissement fonctionnel du trouble-, et les PEHP (Programmes d’Entraînement aux Habiletés Parentales) : R. Barkley « Defiant children », Programme multipropulsion de Massé, « The incredible years » de Webster-Stratton », « Positive Parenting Program » de Sanders, Parent-Child Interaction Therapy (PCIT). Ces outils proposent notamment des groupes en visio, des capsules vidéo, etc.

Bizarrement, alors que les facteurs éducatifs sont rejetés sur un plan étiologique, la prise en charge préconisée consiste à rééduquer les parents…Les familles devraient donc reconsidérer leurs pratiques éducatives, sur l’injonction d’experts, alors même que, pendant des années, la psychanalyse a été accusée d’attiser la culpabilité parentale…

 En parallèle, les recommandations soutiennent le développement d’outils numériques permettant l’organisation du parcours et du traitement des personnes avec un TDAH, tels que le recours à la télémédecine, au télésoin, à la téléexpertise. L’inaboutissement actuel des dispositifs de télésurveillance constitue manifestement un regret, de même que l’absence de téléportation. Mais rassurons-nous, des études présenteraient d’ores-et-déjà des résultats encourageants…

Illustration 3

En cas de difficultés d’accès à un médecin formé au TDAH, une consultation diagnostique pourra ainsi être envisagée par téléconsultation à condition qu’un professionnel de santé (médecin, Infirmier en Pratique Avancée, psychologue…) soit présent auprès de l’enfant et puisse assister le spécialiste à distance… Après l’étape de diagnostic, la téléconsultation pourra être proposée seule dans le cadre du suivi.

 Bon…mais, il y a les Recommandations de la HAS en tant que telles, et leurs récupérations, tant médiatiques que technocratiques. Car, ce qui n’est, à la base, qu’un document d’orientation, basé sur un certain état des connaissances et sur une certaine organisation de l’offre de soins, tend à devenir de véritables Tables de la Loi, une Vérité Céleste, intemporelle, infaillible, qui doit désormais s’imposer sans aucun recul…Un authentique cadre idéologique…

 Pour preuve : dans la foulée, toute la presse unanime s’est félicitée d’une même voix de gramophone. Partout, les mêmes éléments de discours, les mêmes argumentaires, la même orthodoxie. La science progresse incontestablement, en dépit de la résistance de certains professionnels réfractaires et ignares. Il faut donc former, et imposer une vision toujours plus dogmatique et imperméable à tout regard critique. La messe est dite, circulez !

Sur le plan tant scientifique que journalistique, on peut tout de même s’interpeller sur la probité, la rigueur et la déontologie dont témoigne ce plébiscite. Ainsi que sur la négligence complète des conséquences à longue terme de telles orientations sur le plan de la santé publique.

Aucune parole divergente, aucune mention des conflits d’intérêts, des doutes, des études contradictoires…Un assentiment généralisé qui devrait à minima paraitre suspect.

En l’occurrence, un seul discours triomphe : 5% des enfants seraient atteints de ce trouble, dont l’étiologie serait à 80% génétique. L’origine neurodéveloppementale ferait désormais consensus dans la communauté scientifique. Ce trouble serait chronique, et persisterait donc à l’âge adulte (même si la prévalence n’atteint pas les 3% dans cette population, pour laquelle les caractéristiques cliniques s’avèrent particulièrement spécifiques et discriminantes : tendance à procrastiner, à être distrait, étourderies, manque de planification, nervosité interne, immaturité…Soit 97% de la population, non ? ....).

 En tout cas, il y a une certitude : les conséquences d’une absence de médication sont graves, indéniablement. Les traitements psychostimulants sont donc nécessaires, efficaces, et sans effets secondaires problématiques. Il faut donc étendre leur utilisation dès le plus jeune âge. Comme le souligne avec gravité le Pr Olivier Bonnot, « il y a une sorte d’urgence dans la prise en charge des enfants TDAH. Ces troubles peuvent avoir de lourdes conséquences sur la vie de l’enfant. Chaque semaine qui passe est une semaine de scolarité perturbée de plus, une pression complémentaire sur la structure familiale » …On voit bien qu’à travers un tel discours, il s’agit de réduire toujours plus le temps clinique d’évaluation, et de banaliser le recours à la prescription…

 Par exemple, bien que l’utilisation du méthylphénidate chez l’enfant de moins de 6 ans soit hors Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) le groupe de travail des experts de la HAS propose que le traitement médicamenteux puisse désormais être prescrit avant cet âge. Pour le justifier, les experts rappellent que le méthylphénidate est un psychostimulant, et non un amphétaminique – attention, partie pharmacologique un peu technique….En effet, il ne libère pas directement la dopamine dans la fente synaptique, mais empêcherait plutôt sa recapture ou son catabolisme – belle pirouette, alors qu’au final, l’effet pharmacologique est tout de même assez proche, en dehors des effets aigus…On estime finalement que le méthylphénidate augmente le taux de décharge général, tandis que l'amphétamine réduit le taux de décharge et inverse le flux des monoamines….Au final, le méthylphénidate est bien un dérivé de type pipéridine, avec une structure de phényléthylamine, relié structurellement aux amphétamines, et augmentant la concentration de dopamine et de noradrénaline au niveau synaptique.

De surcroit, sur le site de l'Institut national de santé publique du Québec, il est rappelé que « la littérature médicale est ponctuée de flous scientifiques sur le vrai risque de toxicité chronique, il est donc impossible d’affirmer l’innocuité de ces médicaments lorsque pris sur une période prolongée ». Nous y reviendrons...

Mais pas d’inquiétude ; tout est sécurisé, efficace, sous contrôle…Nos enfants massivement médiqués ne craignent rien, c’est garanti, ayez confiance. S’ils sont malades, de plus en plus, de plus en plus tôt, il faut bien les traiter…

 Or, il suffit de faire une revue de la littérature scientifique pour se rendre compte que des données probantes contredisent largement ce dogmatisme radieux. Déjà, les estimations épidémiologiques varient largement en fonction des classifications utilisées, de la méthodologie des études, du profil des patients, et du positionnement idéologique de l’évaluateur…Ainsi, la prévalence du TDAH varie considérablement d'un pays à l'autre : en 2012, il était d’environ 10% aux États-Unis (et très variable selon les États) et inférieur à 1% en Grande-Bretagne – ce qui laisse entrevoir la participation de déterminismes socio-culturels non négligeables. Au niveau international, les variations se situent entre 0,4 et 16,5% de la population … Ainsi, les estimations épidémiologiques soulignent le caractère très arbitraire et situé des prévalences nosographiques….

 Indéniablement, les changements récurrents et l'expansion constante des critères diagnostiques, ainsi que l'émergence de sous-types, contribuent à une augmentation exponentielle des taux de prévalence. De surcroit, dans le cas de l’hyperactivité, les comorbidités sont massives, sans pour autant qu’un diagnostic différentiel soit évoqué. Actuellement, il est estimé que jusqu’à 70% des enfants diagnostiqués hyperactifs auraient des troubles associés, avec par ordre de prévalence le trouble oppositionnel avec provocation, les troubles de l’apprentissage (dys), les troubles du spectre autistique et les troubles anxieux. En 2018, 62 % des enfants hospitalisés avec un diagnostic de TDAH recevaient au moins un autre traitement psychotrope dans les 12 mois suivant le diagnostic, en particulier des antipsychotiques atypiques. De façon plus globale, la coprescription d’un psychostimulant avec un autre psychotrope concerne 22,8% des enfants traités pour un TDAH. Ce constat devrait également amener à largement relativiser la spécificité et la fiabilité du diagnostic…

 En outre, de nombreuses études internationales ont mis en évidence les biais et les difficultés relatives à l’estimation de la prévalence du TDAH, montrant notamment que le diagnostic d'hyperactivité initialement posé dans des centres spécialisés était réfuté dans 62 à 78 % des cas après réévaluation. Soulignons également que le diagnostic semble très imprégné des préjugés des évaluateurs, avec une tendance à des surtraitements sur certains groupes d’enfants en fonction de critères sociaux, de genre, ou de racialisation. Des enjeux culturels, l’organisation du système de santé ou de la scolarité, contribuent manifestement à favoriser ou à ralentir le recours aux prescriptions chez l’enfant. Ainsi, la prévalence de la prescription de psychostimulants est 200 fois plus élevée aux USA qu'en Italie (Chan-2023). Or, le système scolaire américain est particulièrement inégalitaire et discriminant, avec un délitement profond des structures publiques – sans compter les problématiques massives de délinquance et de violence…Manifestement, la prescription massive de psychostimulant ne participe pas d’une amélioration globale en termes de réussite scolaire pour les populations les plus défavorisées, ou d’une diminution de la criminalité juvénile…

 Nonobstant, en France, contrairement aux déplorations des associations et des experts, les données épidémiologiques récentes confirment une augmentation massive de la prescription de psychostimulant aux enfants, en dehors du cadre réglementaire. Ainsi, « entre 2010 et 2019, la prescription de méthylphénidate a augmenté de +56 % en incidence et de +116 % en prévalence ».

Illustration 4

La prévalence a quasiment doublé pour les 6-11 ans (+ 98 %) et même triplé chez les 12-17 ans (+ 145 %). Par ailleurs, cette augmentation de la consommation se double d’un allongement considérable des durées de traitement. Il est également souligné l'influence des conditions sociales sur la prescription : les enfants issues des familles les plus défavorisées sont les plus médiqués… Entre 2010 et 2019, 35,2 à 38,8% des enfants diagnostiqués TDAH vivaient dans des familles bénéficiant de la CMU ou de la CMU-C alors que, selon l'INSEE, ces aides ne sont attribuées qu'à 7,8% de la population française. En prenant en compte des éléments de « défavorisation sociales », il s’avère que 40% des enfants diagnostiqués subiraient des difficultés sociales…

De surcroit, la pression scolaire contribue manifestement à cette augmentation de prévalence de la prescription. En effet, on ne supporte plus que les élèves aient besoin de temps pour grandir et apprendre, et on tend de plus en plus à médicaliser l’immaturité, sans prendre en considération les rythmes spécifiques de l'enfance, les contextes, et la singularité des trajectoires développementales. Enfin, des facteurs d’environnement tels que les naissances prématurées, les maternités chez des adolescentes, le faible niveau d’éducation parentale, la pauvreté et la précarité, l’exposition excessive aux écrans pendant l’enfance apparaissent également comme des facteurs de risque corrélés aux troubles attentionnels - sans pour autant que de véritables politiques préventives soient menées, plutôt que d'instaurer un recours de plus en plus systématique à la médication. Laissons les bébés à la rue ainsi que les familles être fracturées par les inégalités et les conditions de vie indigne ; on proposera des molécules pour en traiter les conséquences...

Selon le rapport du Haut Conseil à l’Enfance et à l’Âge publié en 2023, l’augmentation de la prévalence de consommation de psychostimulants chez l’enfant entre 2010 et 2021 est de 148%, et va de pair avec un profond déficit en termes de moyens et d’offres de soin en pédopsychiatrie. En outre, il existe une corrélation significative entre la prescription de psychostimulant et l’interruption de tout soin psychosocial pour l’enfant…

Comme souvent, il est également déplorable que la couverture médiatique de l’hyperactivité infantile ne fasse aucune mention des conflits d’intérêts pourtant manifestes : financement des études par l’industrie pharmaceutique, subvention des services spécialisés et des associations de famille par les laboratoires, lobbying auprès des instances politiques et des médias, etc.

 Par exemple, la journaliste Lilas Pepys peut, dans les pages du Monde, relayer l’information que le méthylphénidate serait « une molécule plutôt rassurante, avec des effets indésirables transitoires, principalement en début de traitement, et non sévères pour la plupart des patients », sans mentionner qu’elle a elle-même été diagnostiquée à l’âge adulte et traitée pour ce trouble, de façon assez prosélyte

A aucun moment ne sont mentionnés les enjeux économiques impliqués, l’industrie du médicament ayant néanmoins financé l’étude princeps concluant à une forte prévalence du TDAH en France (entre 3,5 et 5,6 % en 2008). Imaginez, un médicament prescrit à vie, dès l’enfance…Quelle manne !

Certains experts sont également particulièrement impliqués pour faire la publicité de pratiques de prescription très rentables, sur le plan médiatique et pécuniaire. C’est toujours la même brochette de spécialistes qui monopolise la parole, revendiquant d’ailleurs une hyperactivité prescriptive. A noter que, dans ce domaine, le degré expertise allégué parait inversement proportionnel aux temps de rencontre réels avec des enfants réels…Cependant, ces « experts » ont fait du sujet un fond de commerce et de rétribution médiatique assez rentable, à l’instar de Franck Ramus, se réjouissant ainsi sur le réseau X : « maintenant que la HAS a publié sa recommandation de bonne pratique sur le TDAH conforme au consensus scientifique internationale, France Inter va-t-elle lui donner autant d’écho qu’à Caroline Goldman qui racontait tout le contraire ? ». En effet, le témoignage de cette clinicienne parait bien dérisoire face aux Vérités consensuelles de la Science, notamment lorsqu’elle s’inquiète du fait que « la France serait sur le point de rejoindre les Etats-Unis, où 11 % des enfants sont traités par méthylphénidate ». Pour Mr Ramus, un enfant n’est sans doute qu’un ensemble de données comportementales et cognitives susceptibles d’être inscrit dans des cohortes longitudinales afin d’en extraire des éléments statistiques probants. Et toute expérience en rapport avec une pratique incarnée constitue finalement un biais systématique, conduisant à encourager le recours aux saignées ou aux emplâtres. Peut-être faudrait-il rappeler à notre grand quantificateur que la Science a aussi été instrumentalisée dans des entreprises politiques peu reluisantes ? Et que des critiques épistémologiques très sérieuses remettent en cause la pertinence de l’Evidence Based Medecine dans certaines pratiques soignantes spécifiques…

En 2019, « Le Monde » interviewait le Dr Alexanian, grand spécialiste labellisé en TDAH. Or, cet entrepreneur, très prosélyte et actif pour prescrire massivement du méthylphénidate, a été condamné, en janvier 2024, à deux ans de prison avec sursis et à l’interdiction d’exercer pendant cinq ans pour escroquerie, tromperie, publicité pour des produits illicites et prescriptions irrégulières.

Pour l’intéressé, ce qui lui était reproché n’était que « de l’info et de la pédagogie avec données scientifiques à l’appui ! ». A noter que ce même psychiatre avait également été radié en 2022 suite à des accusations de viol.

Depuis, l’éminent expert s’est reconverti en coach autoproclamé en santé mentale, sur les Champs Elysées….Évidemment, il ne s’agit pas de généraliser de telles dérives individuelles et il est certain que la plupart des praticiens prescrivent avec le souci prioritaire d’améliorer la qualité de vie de leurs patients. Cependant, il est important de souligner les dévoiements favorisés par les dynamiques marchandes et idéologiques.

Autre exemple : les dispositifs de dépistage et de traitement mis en place en Occitanie, encensés dans les pages du Monde, contribuent effectivement à une extension des prescriptions, ainsi qu’à des modalités de prise en charge potentiellement intéressantes sur le plan des financements, tels que des séances du programme Barkley (entrainement aux habiletés parentales) en visioconférence, à destination simultanée de plusieurs dizaines de familles connectées, sur des sessions de deux jours - ce qui permet, au passage, de multiplier les facturations….tout en se prémunissant d’une quelconque implication véritable auprès des familles…Allez, hop, 48H de vidéo, et c’est bon, démerdez-vous, vous êtes formés, rééduqués, optimisés en termes d’habiletés parentales. Il ne reste plus qu’à prodiguer les pilules !

Notons d’ailleurs que les services hospitaliers publics peuvent également bénéficier du « sponsoring » de l’industrie du médicament, par exemple à travers la diffusion de livrets/flyers promotionnels.

Un enquête récente de France Info montre aussi à quel point les spécialistes du TDAH font preuve de sérieux et de rigueur dans leur pratique : « Nous prenons rendez-vous avec un psychiatre spécialiste du TDAH en prétextant que nous avons un enfant de 7 ans un peu agité. Il nous propose une télé consultation à 140 euros. En quelques minutes, il va détecter chez notre enfant un TDAH sans l’avoir jamais vu ni lui avoir parlé. Une vingtaine de questions très générales sur le comportement lui suffisent, par exemple : "a du mal à soutenir son attention au travail ?", "se laisse facilement distraire ? ». Le diagnostic tombe : TDAH. Et pour lui, le méthylphénidate serait la seule solution : "Le seul traitement vraiment efficace c'est un traitement biologique, c'est à dire un médicament. [...] Quand quelqu'un est en hypoglycémie on lui donne du sucre. [...]Les parents peuvent aussi le donner le week-end, s'ils ont une activité particulière, par exemple si vous recevez de la famille avec beaucoup d'enfants pour ne pas que ça tourne au grabuge, si vous allez visiter un musée... Ce médicament permet parfois d'avoir un bonheur de vivre formidable", nous explique-t-il ».

Sans commentaire…

Illustration 5

Au final, tout un écosystème médiatique, institutionnel, « scientifique » contribue à promouvoir le diagnostic et le traitement médicamenteux du TDAH. Ainsi, Diane Purper-Ouakil, professeure de psychiatrie et présidente de la Société française du TDAH, se réjouit que, le 18 octobre dernier, se soit tenue à l’Académie de médecine une journée intitulée « le TDAH, ça bouge enfin »… Il est étonnant de constater le ressassement de cette rhétorique éculée - ce trouble est enfin reconnu et visibilisé, on va enfin rattraper notre retard, le destin des personnes va être enfin bouleversé, les approches seront enfin validées, etc. - alors même que, depuis de nombreuses années, l’hyperactivité est particulièrement présente sur le plan médiatique, politique et des orientations en termes de dispositifs thérapeutiques… « Concrètement, ce trouble est aujourd’hui une thématique à part entière dans la Stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement 2003-2027. Mesure importante de cette stratégie, la création de centres ressources devrait permettre de mieux structurer les parcours de diagnostic et de soins par le renforcement des expertises déjà existantes et le développement d’un maillage pluriprofessionnel disposant de connaissances à jour » …Certes, les mailles se resserrent, difficiles d’y échapper. Par exemple, les professionnels libéraux seront de plus en plus sollicités en première ligne pour le diagnostic et le traitement. Des formations initiales spécifiques aux troubles du neurodéveloppement seront également prodiguées, par exemple dans le cadre de l’Université numérique en santé et sport…Mais il faudra encore « compléter ces initiatives et les développer en particulier pour les professionnels de l’éducation nationale et des universités, de la protection de l’enfance et de la justice ». La « sensibilisation » des équipes pédagogiques sera renforcée, et une formation spécifique sera même rendue obligatoire pour les personnels de l’enfance (crèche, centres de loisirs…).

 Aucune chance d’éviter le repérage…ni d'échapper à la propagande.

Pour couronner le tout, des mesures législatives sont également prises pour soutenir cet effort d’endoctrinement : ainsi, après un long parcours parlementaire, une nouvelle loi a été votée le 16 novembre dernier pour améliorer le repérage et l’accompagnement des personnes avec TND. Elle instaure notamment deux examens de santé obligatoires et remboursés à 9 mois et 6 ans et pérennise l’expérimentation sur les dispositifs de relayage, pour apporter du répit aux aidants.

Les mouvements associatifs exercent également un travail intense de lobbying pour orienter les politiques sanitaires, alors que leur indépendance et leur représentativité devraient pour le moins être questionnées : prix et subventions de la part des laboratoires pharmaceutiques, financement par des dotations privés, conflits d'intérêts de certains membres, etc. 

Illustration 6

La présidente de l'association HyperSupers, Mme Christine Getin, est également nommée au Conseil National des TND. Elle contribue ainsi à la rédaction des recommandations, tout en assumant une activité de plaidoyer consistant à défendre sur le plan politique une conception strictement biomédicale du TDAH, ce qui se traduit par « des rendez-vous au plus haut niveau de l’état, ministères, députés, sénateurs ; la contribution de l’association à un certain nombre d’instances et d’institutions comme : le CNCPH, le Conseil National de la stratégie TND, le Collectif Handicaps, la HAS… »

Lors d’une audition à l’Assemblée Nationale, Mme Getin pouvait affirmer, en toute objectivité, que le traitement ne présentait pas de danger particulier et était très bien surveillé…

Mais ces certitudes assénées sont-elles vraiment légitimes ? Ne conviendrait-il pas de prendre en considération les alertes émanant d’instance indépendantes amenant à relativiser largement ces revendications d’innocuité ?... 

A suivre...

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